Défi 36 : "Les flammes du passé"

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En entrant dans ce bar, je savais le risque que je prenais. La possibilité de ne plus pouvoir revenir en arrière. Mais je le devais. C’était bien plus fort que moi, j'avais besoin d'y aller. ça m’obnubilée depuis des semaines maintenant, j’y pensais la journée, j’y pensais la nuit, j’en rêvais, j’en cauchemardais. Il fallait que j’aille le voir. Une dernière fois.

En le voyant, je sentis mon visage devenir écarlate, mes mains devenir moites, mes jambes flageoler, mon regard se brouiller. Il était loin, derrière le comptoir, occupé et je n'étais pas sûre qu'il m'ait vu. Discrètement, faisant semblant d'être très intéressée par une des bières en exposition, je jetais des coups d'œil par dessus mes lunettes pour vérifier s'il m'avait vue. Alors soudain, je sentis un regard insistant dans ma direction. Je m'interdisais de regarder vers lui, sachant ce qui pouvait se passer, mais cette pression invisible sur moi me déstabilisait. Et puis, j’étais venue pour cela au final... Je pouvais me transformer en éléphant dans un magasin de porcelaine en quelques secondes, je le sentais, il me m’était dans tous mes états après toutes ces années encore. Mon ventre se tordait, ma tête me faisait mal, mes mains tremblaient, j'avais des coups de chaud. Dans un effort surhumain mais tellement salvateur, je levais la tête. Et nos regards se croisèrent. Enfin. Il me sembla que toute la pièce disparut en l'espace d'un dixième de seconde. Il n'y avait que nous. Lui et son regard noisette, sa chevelure lui tombait sur les yeux, sa barbe lui mangeait la moitié de son visage, et son esquisse de sourire malicieux se dessinait discrètement. La musique du bar nous enveloppait d’un cocon nacré, Snow Patrol me donnait le tournis. Je le vis hocher de la tête dans un signe de politesse et avant que je n’aie le temps de faire ce signe stupide de coucou avec ma main, notre lien oculaire s'était rompu. Un client était passé devant moi et nous avait coupés. Mais que pouvais-je faire d'autre maintenant que d'aller à sa rencontre ? Il fallait que j'achète quelque chose et que j'y aille. Mais pour ça il allait me falloir de la force, du courage, du cran, du self contrôle... bref rien que je n'avais dans mon sac à main.

Je tournais et virais dans les rayons. Je découvrais des marques de bières inconnues, des formes de bouteilles de vin improbables. Je errais, je me questionnais, devais-je aller à sa rencontre ? J’étais venue pour ça mais j’étais terrorisée. Comment après toutes ses années il pouvait encore me rendre accro ?

J’avais continué de l’observer au loin pendant ma déambulation de zombie et j’avais senti régulièrement des regards dans ma direction. Se demandait-il ce que je faisais là ? Dans un bar ? Alors que je ne buvais pas d’alcool ? Regardant à acheter des bouteilles ? Quel comble ! Trouvait-il que j’avais changé ? Grossi ? Vieilli ? Lui manquais-je ? Me revoir lui faisait-il le même effet qu’à moi ? Finalement et lâchement, je me dis que je n’avais rien à faire ici. Que j’allais faire une erreur. Qu’il fallait que je sorte, je commençai à manquer d’air. Et au moment où j’allais passer la porte, je sentis une main se glisser dans la mienne. Je me stoppai net. Je n’osais même plus bouger, plus respirer. Je pouvais m’évanouir à tout moment.

« Tu allais partir sans me dire bonjour ? »

Sa main brûlait la mienne. Sa voix me transperça. Mes jambes me lâchèrent. Je sentis que je sombrais, que je tombais quand une nouvelle brûlure. Au niveau de ma hanche. Une autre, au niveau de mon dos. Mon dieu, je brûlais, tout mon corps, entièrement, incandescent. Je perdais pied, le feu en moi me faisait me consumer.

« Viens t’assoir, je t’amène un verre d’eau »

J’évitais son regard, m’installais sur un tabouret à son comptoir en essayant de reprendre mes esprits. Il fallait que je récupère mes moyens avant qu’il ne revienne. Mince, trop tard. Mon dieu qu’il était beau. Je sentais encore ses mains fortes et douces sur moi.

« Tu te sens mieux ? »

Je hochais la tête en silence, mon nez dans le verre, évitant prodigieusement de le regarder. Le silence était lourd, insoutenable. Il était accoudé au comptoir, face à moi et il attendait que je l’affronte. Je le savais. Je le sentais. Il fallait que je me reprenne. Il fallait que j’assume que je soies venue. Il fallait…

« Ça me fait plaisir de te voir »

Je fonds. Je succombe. Je ne me contrôle plus. Sa voix si suave. Si rauque. Animale. Je me cramponnais au comptoir pour ne pas chavirer, et j’osais le regarder. Enfin. Nous étions à 10cm l’un de l’autre, le comptoir pour m’empêcher de lui sauter dessus. Le tabouret pour m’empêcher de m’évanouir de nouveau. Je savais qu’il allait falloir parler. Il n’allait pas attendre comme cela pendant des heures, il travaillait après tout. Je me plongeai dans son regard en souriant. Cette couleur si magnifique. Il était tellement beau, il le devenait de plus en plus en vieillissant, comment c’était possible ? Je pris une nouvelle gorgée et je finis par lui répondre

« Moi aussi »

Je cru que j’allais me mettre à pleurer au moment de parler. Un chat avait élu domicile dans ma gorge et avait sorti les griffes à chaque syllabe prononcée. Il sourit et je continuai à le trouver de plus en plus beau. Il savait l’effet qu’il me faisait, il savait me retourner en un regard, en un sourire. Son air malicieux était figé sur son visage. J’avais toujours été si vulnérable face à lui.

« Que fais-tu là Camille ? »

Et voilà que j’allais devoir m’expliquer. J’avais préparé mon discours depuis des jours et maintenant, je me retrouvais silencieuse. Je perdais mes mots et tout ce que je voulais lui dire. Je me retrouvais comme une petite fille devant son maitre qui allait se faire disputer. Je repris une gorgée d’eau pour me donner du courage qui ne venait pas, pour essayer de retrouver un peu d’esprit qui était parti 10 ans en arrière. Il s’avança un peu plus près, son visage n’était qu’à quelques centimètres, je pouvais sentir son souffle chaud. Je rebus une gorgée et je me lançai

« Je vais me marier »

Son regard ne me quitta pas mais je sentis un léger mouvement de recul. Ses jambes avaient-elles flageolé ? On ne voyait rien avec ce foutu bar. Il avala sa salive lentement et me répondit

« Félicitations »

Je ris nerveusement. Ca sonnait faux, ça sonnait creux. Ca avait une intonation amère.

« Tu ne le penses pas »

« Effectivement. Que fais-tu, vraiment là, Camille ? »

A chaque fois qu’il prononçait mon prénom je sentais l’enfer se rapprocher de moi. Allais-je réussir à le dire finalement ?

« Je… »

Je raclai ma gorge bruyamment. Puis je finis par me lancer. La tête la première. Face à l’immensité de l’inconnu

« Un mot de toi et je le quitte »

Voilà, c’était dis. Je l’avais sorti. Et je sentais les flammes de l’enfer brûler mes pieds sur ce tabouret décidément trop dur.

Il resta là, stoïque, face à moi. Son regard plongé dans le mien. Et j’eu l’impression que mon cœur allait s’arrêter. Que mes poumons allaient s’essouffler. Que j’allais vaciller. Ce silence. Ce temps qui s’écoulait sans réponse, sans réaction. Avait-il entendu ce que je venais de dire ? Il était là, face à moi, ses yeux plongés dans les miens, semblant sonder mon âme et mes pensées les plus intimes. Je piquai un fard, sentant que je venais de faire une énorme erreur. La plus grosse de ma vie, qui sait ? Après un temps qui me parût interminable et face à son silence de plomb, je pris mon courage à deux mains. Je me levai de ce tabouret trop haut, faisant attention à ne pas tomber. Je déposai un billet de 5 euros sur le bar, faisant attention à ne pas pleurer. Je n’osais le regarder, par honte, par peur, à cause de mes larmes qui commençaient à perler ? Et je me dirigeai vers la porte. Rapidement. Faisant attention à ne pas tomber. Je tremblais, de tout mon corps, je commençai à convulser de tristesse. Alors que j’ouvrais la porte, un grand bol d’air me happa. Je respirais la bouche grande ouverte, telle une nageuse en apnée qui revenait à la surface. Le soleil m’éblouissait et faisait couler mes chaudes larmes sur mes joues rougies par la honte ou par le froid. Je fis un pas de plus et m’accrochais à cette rambarde. Alors que j’essayais de reprendre mes esprits, de remettre en ordre mes sentiments, j’entendis à quelques centimètres derrière moi

« Je décolle demain pour la Thaïlande, tu viens ? »

& les flammes m’envahirent.

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