XXIV. Un coup au cœur, deuxième partie

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 Elle soupira et chassa une mèche de cheveux bruns qui tombait sur ses yeux. Il respirait calmement, lentement.

  • Umeå, veille sur lui.

 Liz vérifia encore son pouls et parut soulagée. Elle reporta son attention sur le visage de son cousin, soupira, lui pressa la main bien qu'il ne sente rien et tourna son regard vers Mildred Artanke, assis sans un fauteuil, le flanc entaillé. Le regard de la magicienne ne laissait passer rien qui ressemble à de la pitié ou de la compréhension. Non. Il avait la froideur et le poids d'une lame d'acier.

  • Vous n'êtes pas pardonné, Artanke. Je n'ai pas réessayé de vous tuer par égard pour votre fille, mais croyez bien que ce n'est pas fini. Vous avez sciemment fait courir un grand danger à moi, mon cousin et mon frère. Vous le payerez de ma main.

 Tous sentaient que ces menaces ne se lançaient pas en l'air. Personne n'avait oublié la fantastique puissance qu'elle avait manifesté. Hovandrell, silencieuse dans un coin, que tout le monde avait oublié, prit alors la parole.

  • Je m'associe à l'humaine Bertili. Je considère Jal comme un humain de confiance, et par lâcheté vous êtes responsable du danger qu'il court à présent. Ne vous attendez à aucune bienveillance de ma part.

 Il ne réagit pas. Il pressait ses mains sur l'entaille qu'il portait au côté.

  • Vous, seigneur Artanke ? interrogea Lénaïc qui ne comprenait pas.
  • On t'expliquera plus tard, jeta Liz, détournant son regard méprisant du père de Lidwine.

 Il aurait presque voulu sourire. Liz avait la rancune dure, surtout quand il s'agissait de sa famille.

  • Lénaïc... pouvons-nous rester ici ?
  • Je crains qu'il n'y ait pas suffisamment de place. Ta rue n'est pas loin, rentre chez toi. Tu reviendras demain. Je te réponds de la vie de Jal Dernéant jusqu'à demain à l'aube.

 Elle déglutit et acquiesça. Puis elle sembla se souvenir de quelque chose et vissa ses yeux gris dans le bleu cristallin de ceux du magicien. Il y eut un silence intense. Quelque chose de magnétique circulait dans la pièce. Elle réussit à sourire. Le sourire de Liz. Si vivant, joyeux, plein de rire et de soleil, éclatant de malice.

  • J'ai confiance en toi.

Puis elle fit demi-tour.

  • Lidwine ? Que devenez-vous ?
  • Monsieur Fauxoll... J'habite trop loin d'ici. Je ne veux pas m'éloigner de mon camarade messager. Avez-vous une idée ?...
  • Vous pouvez venir chez moi. A quelques pas, place de la Dernière Loi.
  • Merci, elfe Hovandrell.

 L'escrimeuse aussi faisait peine à voir, avec ses traits creusés, la fatigue qui ralentissait ses gestes, son visage noirci par la fumée du brasier allumé par Liz, des lambeaux de vêtements pendant dans son dos. Le sang coagulait et se craquelait sur les lacérations de ses bras. Son regard épuisé passait à travers les objets et le gens sans s'y arrêter. Son père se leva, indécis, et s'approcha. Elle retrouva sa vivacité pour l'arrêter d'une main.

  • Rentre chez nous, Père. Tu n'as pas à rester ici.
  • De toute façon, je n'accepterais pas de l'héberger, lâcha Hovandrell.
  • Elle vit la plaie dont le sang débordait sur les doigts de son père.
  • Lénaïc, tu lui permets de se soigner ?

 L'étudiant s'endormait presque debout. La guérison l'avait vidé de ses forces. Il opina vaguement. Mildred saisit une bande de tissu, de la charpie et s'en entoura l'abdomen rapidement.

  • Ma fille, je suis dé...
  • Stop. N'ose pas prononcer ces mots.
  • Je te défendais ! Ne m'en veux pas, je t'en prie.

 Elle rappela ce qu'il lui restait de fermeté pour river ses yeux verts dans ceux de son père. Elle détacha les mots, implacable.

  • Comment as-tu pu croire que j'étais la plus en danger de nous deux ?
  • Mais...
  • J'avais pour moi le fil de Devra. Le pauvre Jal n'a même pas de magie. Alors, si, je t'en veux. S'il meurt, je ne te le pardonnerai pas. S'il survit...

 Elle jeta un coup d’œil au corps recouvert d'une couverture.

  • J'y réfléchirai.

 Il la regarda encore, mais elle resta ferme. Mildred Artanke s'en alla. Liz endossa sa cape brune.

  • Bonne nuit, elfe Hovandrell, dame Lidwine. Bonne nuit, Lénaïc. A demain.

 Elle baissa les yeux sur son cousin.

  • Tiens bon, Jal.

 Elle mit sa capuche et sortit. Lénaïc avait tendu la main pour la retenir mais la porte claqua. Il laissa retomber son bras. Hovandrell décroisa les siens.

  • Je vous emmène, humaine Artanke ?
  • Oui, s'il vous plaît. Monsieur Fauxoll, veillez sur Jal. Je sais qu'il vous faisait confiance. Il se trouve que je tiens énormément à lui. Je vous en prie, faites attention. S'il s'en sort, je vous en serais éternellement reconnaissante.

 Il s'inclina.

  • Je ferai tout mon possible pour le sauver, vous le savez.
  • Et je vous en remercie. A demain, donc.

 Elle releva la capuche de sa houppelande trouée et suivit Hovandrell qui salua d'un signe de tête l'étudiant et partit. Lidwine déglutit encore et regarda Lénaïc jusqu'à ce que la porte coupe le contact visuel. Puis elle rentra la tête sous sa capuche et suivit l'elfe à travers les ruelles sombres.

 Le lendemain, Jal vivait toujours mais son état ne présentait aucune amélioration. Lénaïc se fit rassurant comme il le pouvait. Au moins, la plaie ne semblait pas s'infecter. L'étudiant récupérait doucement son potentiel magique, Liz également, mais le messager ne reprenait pas conscience. Lidwine craignait que son sort pour l'endormir ne soit responsable, mais Lénaïc lui expliqua qu'à cause de la blessure au poumon, le cerveau du messager manquait encore d'oxygène. Il fallait attendre. Lidwine se tordait les mains près du jeune homme inconscient.

  • Vous n'avez pas assez de magie pour le soigner ?
  • J'en ai, mais son état est encore trop fragile pour lui infliger un sort. Il n'est pas encore stable. Mais si cela peut vous rassurer, sa vie n'est plus en danger. Il va s'en sortir, ce n'est plus qu'une question de temps.

 Le soulagement lui coupa les jambes et elle tomba à genoux au sol.

  • Sieur Fauxoll... Je ne vous remercierai jamais assez. Vous avez sauvé sa vie...

 Sa voix se brisa. Elle pleurait. Liz s'était jetée au cou de son ami étudiant.

  • Lénaïc, c'est merveilleux ! Merci, merci ! Tu es un génie ! Tu l'as sauvé, tu l'as sauvé !

 Il rit, hésitant, et finit par resserrer ses bras sur la magicienne et enfouir son visage dans ses cheveux noirs.

  • Calme-toi, Liz. Dans quelques jours, il sera debout et tu pourras lui sauter au cou, promis.

 Elle le lâcha, ses yeux gris perle brillaient comme les huit Lunes en une seule.

  • Toi aussi, tu es un foutu vainqueur, mon vieux.
  • Et toi une sacrée championne, sourit-il tendrement.

 Lidwine serra chaleureusement la main du jeune magicien.

  • Nous nous souviendrons de vous.

 Puis elle se retourna vers Liz.

  • Puisque l'inquiétude n'est plus notre souci premier, Liz, je peux vous accompagner voir le mage Mirant, qu'en dites-vous ?
  • Vous prendriez cette peine ?
  • Jal s'y était engagé, il n'est pas en état de le faire. Je pense qu'il ne m'en voudrait pas de prendre soin de vous. Et personnellement, je me sens responsable de vous puisque je suis la seule dans cette ville, avec monsieur Fauxoll qui doit rester au chevet de ce cher Jal, à pouvoir vous aider.
  • Très bien. Dans ce cas, ce serait avec joie. A tout à l'heure, Len, on revient.

 Il sourit.

  • Je vous en prie, mesdemoiselles, allez. Je m'occupe de tout.

 La magicienne cligna de l’œil et salua. Ce jour-là, le soleil était revenu, elle portait une tunique violette brodée et une mante en laine. Elle était ravissante. Lénaïc, lui, avait revêtu sa robe bleue d'étudiant. Quand à Lidwine, elle avait mis sa robe bleue, au col souligné d'or, une veste ouverte d'un bleu plus sombre, un chapeau à plume de voyageur, et bien sûr son épée au côté. Ses cheveux avaient été tressés en deux nattes reliées derrière sa tête. L'inquiétude envolée avait rendu à ses traits leur pureté et leur délicatesse habituelle. Elle attendait Liz en penchant la tête.

  • J'arrive !

 La magicienne la suivit dans l'avenue. Elle marchaient et plaisantaient comme de vieilles amies, presque comme des sœurs. Quelques jeunes hommes se retournaient sur leur passage en voyant passer ces deux sublimes demoiselles. Liz chantait. Elle avait piqué une fleur cueillie sur un bac à une fenêtre dans ses cheveux.

 Les portes du palais étaient fermées. Lidwine posa une main sur la grille et regarda à l'intérieur.

  • C'est vrai... Flora Hechid a été assassinée hier soir. Le palais sera fermé.
  • Mais alors Mathurin Mirant sera en deuil. Ce n'est peut-être pas bien le moment...
  • Tant pis, soupira Liz. De toute façon je ne me sens pas de commencer des cours tant que Jal n'est pas encore rétabli.
  • On rentre...

 Elles firent demi-tour, mais la voix du capitaine Londren les rappela.

  • Mademoiselle Artanke ?

 Lidwine salua, la main sur Devra.

  • Capitaine.
  • Vous êtes allés à Ghyzdal, hier soir, n'est-ce pas ?

 Elle ne répondit pas. Londren saisit la grille et Lidwine recula.

  • J'ai vu le feu. Je me doutais que Dernéant ferait des siennes. C'était bien vous ?
  • Il fallait que nous arrêtions les responsables de nos malheurs. Et c'est fait. Celle qui dirigeait les brigands était Eurielle de Loi.

 Le capitaine croisa les bras, appuyé sur la grille.

  • La fille du conseiller ?
  • Je crois, oui.
  • C'est une accusation grave...
  • Elle est morte.
  • Ah. Faut-il y voir le tranchant de votre lame ?
  • Non, il faut y voir la puissance de Liz Bertili.

 Il fronça les sourcils en considérant la petite magicienne.

  • Elle ? Contre la magicienne confirmée qu'est Eurielle de Loi ?
  • Elle a sous-estimé mes forces, sourit Liz, d'un sourire très particulier, presque cruel.

 Impressionné, Hendiad inclina la tête.

  • Samuel, l'évadé, est mort aussi. C'était un elfe renégat et son peuple s'est vengé.

 Lidwine avait beaucoup de respect pour Hovandrell.

  • Pour le château, je suis désolée, c'est moi aussi, avoua Liz. C'était pour protéger notre fuite. C'était infesté de mercenaires là-haut.
  • On pense qu'il y avait un autre meneur dans l'ombre. Seul un membre de la famille de Jal pouvait connaître son anomalie.
  • Je vois. Vous avez donc décidé d'outrepasser mon ordre formel.

 Il n'était pas difficile de sentir la menace. Mais Lidwine leva le menton et toisa le capitaine des gardes.

  • Oui. Car vous étiez occupés à une mesure de sécurité nationale, mais nous ne pouvions pas laisser échapper les instigateurs de ces attentats. Nous avons découvert que mon propre père avait été manipulé par eux, et qu'ils servaient la Chape.
  • C'est bien Dernéant qui vous y a entraînées ? Il est incorrigible, celui-là. Envoyez-le moi, qu'il s'explique.
  • Vous n'aurez pas à prendre cette peine. Jal Dernéant a été grièvement blessé lors de notre fuite. Une flèche a percé son poumon. Il a frôlé la mort d'un cheveu. Un ami étudiant en médecine l'a sauvé, il est actuellement inconscient.
  • Ce jeune homme tutoie les Lunes quand ça lui chante... Compte-tenu des circonstances, je pense qu'il a été suffisamment puni de sa témérité.
  • Vous avez même un peu de respect pour ce courage insensé, je me trompe ? glissa Lidwine, d'un sourire aussi affûté que sa lame.

 Le regard de Londren reprit aussitôt sa dureté habituelle.

  • C'était stupide et irrespectueux.

 Il allait les quitter, mais Lidwine le rappela.

  • Capitaine ! Je vous en prie, dites-nous comment va Mathurin Mirant ?
  • Il est dévasté. Il aimait beaucoup Flora et il a peur pour les autres.
  • Où est-il ?
  • Chez lui. Et maintenant filez !
  • Quand reviendra-t-il ?
  • Le palais a été sécurisé, il revient quand il veut. Filez !
  • Vous avez attrapé le tueur ?
  • Nous avons un suspect. Dégagez maintenant.

 Il caressait la garde de son sabre et les deux jeunes femmes s'éloignèrent rapidement.

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