XX. L'amertume du doute

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 Il n'y avait personne à la porte de la caserne. Cela inquiéta un peu le jeune messager. Lidwine aussi fronçait les sourcils. Il poussa la porte du plat de la main, elle pivota sans que personne ne réagisse. Il fit quelques pas dans la cour. Hendiad Londren émergea d'un bâtiment, la démarche plus encore raide qu'à l'ordinaire. Olympe arriva derrière lui, courant pour le rattraper.

  • Capitaine ! Je vous en prie ! Capitaine !

 Très calmement, il se retourna, dégaina son sabre olaan et arrêta son second en le posant sur sa gorge. Elle s'immobilisa, terrifiée. Elle connaissait sur le bout des doigts la puissance de son supérieur, il pouvait la décapiter d'une simple contraction des muscles.

  • Second Vorbad, énonça-t-il d'une voix froide, ma réponse est décidée et irrévocable. Vous ne serez pas pardonnée.

 Elle n'osait pas même respirer. Ses yeux suppliaient pour elle. Puis elle remarqua les nouveaux venus dans la cour. Le capitaine Londren suivit son regard et les reconnut. Il retira sa lame et Olympe s'effondra au sol à genoux, reprenant son souffle. Il rengaina et se dirigea vers eux sans changer d'expression.

  • Pourquoi êtes-vous ici ?

Lidwine s'inclina, la main sur la garde de Devra, comme une escrimeuse, mais Jal la prit de vitesse pour répondre.

  • Je crois que dame Artanke aimerait s'exercer un peu. Quand à moi, je voudrais pouvoir interroger les bandits qui ont tenté de m'enlever, ou au moins que vous me disiez...

 Hendiad désigna de son bras ganté le second Olympe, toujours à terre et qui relevait les yeux vers eux. Jal n'arrivait pas à démêler l'expression de son visage.

  • Le second Vorbad a laissé s'échapper deux des prisonniers.

 Jal sentit très nettement son sang se glacer.

  • Lesquels ?
  • Les dénommés Zack et Samuel.

 Le Sadique et l'Elfe. Les pires, évidemment.

  • Quand cela ?
  • La nuit dernière, pendant la fête.
  • Par les Neuf Lunes... laissa échapper Liz.
  • J'ai envoyé tout le monde à leur recherche. Mais les autres prisonniers sont à votre disposition.
  • Vous les avez déjà interrogés ?

 Olympe se relevait et tentait de reprendre son assurance. Ses pupilles mordorées furetaient partout, mais son visage avait repris la dureté du granit que Jal avait déjà remarquée.

  • Je m'en suis chargée... Je peux répondre à vos questions si vous le souhaitez.

 Le regard d'Hendiad se durcit encore, à la limite de l'impossible, mais Olympe le brava. Elle levait le menton, la main posée sur sa rapière. Jal intervint pour désamorcer la tension.

  • J'en serai ravi. Voulez-vous nous laisser ? demanda-t-il à ses amies.

 Lidwine parut intriguée, presque offensée qu'il ne convie pas, mais il fut ferme.

  • Je t'en prie, Lidwine. J'y tiens.

 Elle se tourna vers Hendiad, mais ses sourcils froncés laissaient clairement deviner qu'il ne perdait rien pour attendre. Liz suivit les deux combattants, Londren allait vers la salle d'escrime sans lâcher de son regard incisif son second.

  • Venez.

 Elle tourna les talons d'un geste sec et il lui emboîta le pas. Ils entrèrent dans le bureau où elle l'avait elle-même interrogé quelques jours plus tôt. Olympe paraissait décidée à se limiter à son travail, Jal rengaina donc ses questions sur la menace de Londren.

  • Ont-ils accepté de mentionner leur employeur ?
  • Ils disent qu'ils recevaient ses ordres par lettres. Ils ne connaissent qu'un faux nom.
  • Depuis quand me suivent-ils ?
  • Ils vous espionnent depuis votre arrivée à Lonn, cependant il n'est pas exclu que d'autres mercenaires du même employeur vous suivent depuis que vous avez quitté votre demeure.

 Il soupira.

  • L'attentat de Lidwine Artanke, le premier jour où je suis venu, est-il de leur fait ?
  • Oui. Cela a un rapport avec leur chef, ils devaient ralentir votre retour avec la messagère Artanke, j'ignore pourquoi. Ils n'ont pas eu pour but de la tuer. Mais Baudoin Ernase, chargé de vous surveiller, a constaté que vous teniez à elle et a pensé qu'elle pouvait servir de monnaie d'échange pour vous convaincre d'abandonner le concours. Ils ont donc enlevé votre cousin par la suite, espérant qu'il leur avouerait où se trouvait la dame. Ils ne savaient pas le lien de parenté qui vous reliait, ni que vous risqueriez votre vie pour le sortir de là. Puis ils ont attaqué l'étudiante Liz Bertili, un échec là encore.
  • Savent-ils si d'autres attaques sont encore à craindre ?
  • Par ma faute, il risque d'y en avoir... Mais je ne pense pas qu'une autre équipe soit sur vos traces.

 Jal inspira profondément. Il avait essayé, de toutes ces forces, de contenir cette question. Mais il devait savoir.

  • Ont-ils à un quelconque moment laissé entendre un lien avec la famille Artanke ?

 Pour la première fois, elle vissa ses yeux mordorés dans les siens.

  • Que voulez-vous dire ?
  • Je vais être clair avec vous, second Vorbad...
  • Vous pouvez m'appeler Olympe.

 Elle souriait presque.

  • Je vais être clair, Olympe. Ma cousine Liz a reconnu dans le blason des Artanke celui qui figurait sur le carrosse qui a tenté de l'enlever. Alors je vous pose la question : y a-t-il une chance pour que la famille Artanke... soit commanditaire ?

 Il avait du mal à croire que ces mots insensés sortaient de sa bouche. Olympe y réfléchit un instant.

  • Cette information change pas mal de choses. Il est également possible que leur carrosse ait été volé à cette fin... Mais l'éventualité de leur culpabilité s'envisage aussi. Nous ne pouvons pas en être sûrs. Une autre possibilité que j'entrevois, ce serait qu'une fois constatée leur proximité avec vous, vos agresseurs aient décidés de les soudoyer ou d'utiliser un quelconque moyen de pression pour les forcer à agir ainsi, ou simplement à prêter leur carrosse, sans qu'ils soient volontaires.

 Jal s'absorba dans ses pensées. Il pria Umeå pour que Lidwine n'ait rien à voir là-dedans.

  • Comment les deux autres se sont-ils évadés ?

 Olympe eut une moue douloureuse.

  • J'étais... j'étais à mon poste, mais je regardais la fête par la fenêtre. Un soldat a raccompagné Zack dans sa cellule après son interrogatoire, je n'ai pas vérifié la fermeture comme je l'aurais dû. Il m'a attaquée magiquement, ligotée, pris mes clés pour libérer son compagnon Samuel. Il allait ouvrir les autres portes, mais j'ai réussi à me libérer de mes liens. J'ai pu les blesser, mais leur ami encore prisonnier m'a saisie la cheville et immobilisée le temps qu'ils fuient.
  • Lequel était-ce ?
  • Un certain Maximilien.
  • Où ont-il pu aller ? Si vous les avez blessés, j'imagine qu'ils ont besoin d'une planque. En ont-ils parlé ?
  • Il y avait un endroit où ils devaient retrouver leur fameux chef en cas de problème. C'était en-dehors de la ville, dans un château abandonné, une ancienne demeure de nobles. Le château de Ghyzdal.
  • Ghyzdal. Très bien. Merci pour votre précision et votre concours, Olympe.
  • C'est mon travail, messager Dernéant.
  • Je... bonne chance avec le capitaine Londren.
  • Merci, répondit-elle, sombre soudain.

 La lame affûtée sur sa gorge ne lui avait pas laissé une excellente impression. Jal prit congé et descendit vers les salles d'armes. La plus grande contenait deux gardes en entraînement. Hendiad, Lidwine et Liz se trouvaient dans une annexe.

 Jal écarquilla les yeux en entrant. Liz affrontait le capitaine, avec une longue rapière scintillante faite de magie pure qui émergeait de sa paume. Le sabre de Londren glissait le long, faisant jaillir des étincelles. Puis, sans prévenir, la lame de lumière se laissa traverser et le capitaine faillit perdre l'équilibre. Ce court instant avait suffi à Liz pour remettre en joue le capitaine, avec cette rapière incandescente à nouveau solide, au niveau de sa nuque découverte par son mouvement de surprise. Elle affichait déjà un sourire triomphant, mais Hendiad releva son sabre d'un coup sec, si rapide, si impératif que Liz n'eut pas le temps de réagir. En un seul mouvement, son arme avait écarté la rapière magique, et pointé la gorge de la magicienne dans une courbe minutieusement calculée. Elle finit par réaliser qu'elle avait perdu et éteignit son épée étincelante qui rentra dans sa main.

  • Bien joué, magicienne. Je n'avais jamais combattu d'une manière si déstabilisante. Vous faites partie des rares à m'avoir touché, même si c'était avec une technique un peu... iconoclaste.

 Il la libéra et inclina la tête en signe de profond respect. Liz souleva le bord de sa robe en révérence.

  • A votre tour, félicitations. Je me croyais extrêmement puissante, vous venez de me donner une bonne leçon d'humilité.

Lidwine à son tour se leva du banc d'où elle assistait au combat.

  • Je suis très impressionnée ! Je n'avais jamais réussi à mettre en danger le capitaine Londren. Votre technique pourrait venir à bout d'épéistes confirmés.

 Jal fit quelques pas pour entrer dans leur champ de vision et applaudit.

  • Quel triomphe, petite sorcière ! Et magnifique parade, capitaine.

 Le regard digne d'un oilan de Lidwine se posa sur lui avec une terrible acuité.

  • Il faut que nous parlions, messager Jal.

 Il n'aima pas ce titre, soudain. Elle devenait hostile et la défiance qu'il percevait dans ses iris verts lui perça le cœur. Il hocha la tête avec lenteur.

  • Oui, Lidwine, il le faut.

 Elle se détendit très légèrement. Liz les considérait tous les deux avec inquiétude. Jal infusa dans son regard : « Je m'en occupe, ne te mêle pas de ça ».

  • Merci beaucoup pour cette séance, capitaine Londren.
  • Je vous en prie, messagère, ce fut un plaisir.
  • Ne soyez pas trop dur avec Olympe Vorbad, supplia Jal avant de suivre Lidwine qui l'entraînait dans la salle voisine de sa poigne de fer.

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