XVII. Les mains de la sorcière, deuxième partie

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 Il entendait vaguement ses sanglots résonner sous la voûte, mais ne la voyait pas.

  • Va-t'en ! lâcha une voix altérée dans un coin.

 Il écarta les branches dans la direction de la plainte. Liz était blottie au sol, derrière un énorme plant de joujyn, le visage enfoui dans ses mains et le dos courbé. Il s'approcha et posa une main sur l'épaule secouée par les pleurs de sa cousine.

  • Calme-toi Liz, c'est moi, Jal.
  • Va-t'en, murmura-t-elle sans grande conviction.

Il s'accroupit devant elle.

  • Je ne partirai pas.

 Elle releva la tête pour le regarder et parut trouver ce qu'elle cherchait dans les yeux gris perle de Jal. Elle tomba en larmes sur son épaule.

  • Jal ! Je suis un horrible monstre !
  • C'est faux ! C'était un mouvement de colère involontaire, et tu le sais aussi bien que moi. Ce coup t'a échappé, c'est tout.
  • Mais ça ne devrait jamais arriver ! J'ai failli tuer Anselme ! J'ai failli le tuer !
  • Tu l'as aussi sauvé. Il ira mieux dans quelques temps.
  • Mais pourrais-je un jour le regarder dans les yeux ? Il va m'en vouloir à vie ! Me détester ! C'était un ami ! Je n'aurai jamais dû lui en vouloir...
  • Il a besoin de toi pour guérir.

 Il admira intérieurement l'altruisme de sa cousine : elle s'inquiétait pour Anselme, mais pas une seconde elle n'avait songé à la sanction qu'elle encourait. Il la serra contre lui.

  • Je suis désolée... je vais arrêter la magie, c'est trop dangereux pour les gens autour de moi... Tu n'as pas peur de moi, maintenant que tu as vu de quoi je suis capable ?
  • Non, je n'ai pas peur. J'ai confiance en toi.
  • Je pourrais t'enflammer d'un claquement de doigts ! Je me déteste !
  • Mais tu ne le feras pas, et je le sais. Moi, je t'aime beaucoup.

 Un hoquet de rire lui échappa au milieu des larmes.

  • Jal, tu es incorrigible !
  • Je sais, répondit-il en ne pouvant s'empêcher de sourire. J'ai conclu un marché avec Viv, nota-t-il, il ira à Ymmem innocenter Yoann, et moi je vais rester ici pour m'occuper de ton cas.
  • Hein ?! Mais tu es messager maintenant ! Il faut que tu partes en mission !
  • Je ne vais pas te laisser ici dans cet état. Je peux refuser les missions en cas de force majeure.
  • Ah.

 Elle eut un frisson que Jal ne sut pas interpréter ; puis elle se recula un peu pour le dévisager.

  • Et Lénaïc ?

 Sa voix s'était soudainement raffermie.

  • Il a réussi. Il a affronté une elfe, Dravidel, Méléagant et Hortensia. Il a été brillant.

 Elle abaissa ses paupières.

  • C'est bien. Je ne me le serai jamais pardonné s'il avait refusé de combattre à cause de moi. Au moins, un de nous aura réussi.
  • Tu sais que tu vas être bannie de l'académie ?

 Liz renifla et ses larmes revinrent brusquement.

  • Que vais-je devenir ? Ils vont me mettre en prison !
  • Je suis là pour empêcher ça, petite princesse. Et il faut qu'on trouve un moyen pour que tu continues à apprendre à maîtriser ta magie. Tu ne peux pas rester comme ça.

 Il se leva et lui tendit la main.

  • On verra ça plus tard. Lève-toi, on a encore besoin de toi dehors.

 Elle leva ses yeux gris emplis de larmes, presque identiques à ceux de son cousin, les essuya de sa manche et prit la main.

 Lénaïc et Vivien venait vers eux lorsqu'ils passèrent la porte. Liz poussa un petit cri et courut vers Lénaïc pour lui prendre les mains. Elle lui adressa son premier vrai sourire joyeux depuis l'incident.

  • Tu as réussi ! Oh, Lénaïc, je suis tellement fière de toi ! Bravo !

 L'étudiant paraissait à la fois gêné, inquiet et ravi.

  • Je me suis tellement inquiété pour toi. Que vas-tu faire à présent ?

 Elle lâcha ses mains et lâcha d'une voix posée :

  • Je vais me rendre. Ils jugeront ce qu'il leur plaît, mais je veux pouvoir soigner Anselme.

 Son frère intervint alors.

  • Liz, je suis navré mais... je vais devoir partir...
  • Je sais, Jal m'a expliqué. Tu as raison, il ne faut pas laisser Yoann dans cette panade. Lui, il souffre depuis cinq Quanta. Moi, mes problèmes commencent tout juste. Et puis Jal et Lénaïc sont là. Ne t'en fais pas, grand frère, je vais me débrouiller.

 Et tous retournèrent en direction du clos. Ils avaient l'impression de s'apprêter à livrer bataille, tous ensemble.

  Toutes les têtes se tournèrent vers eux. Irina et Goulven Divef les premiers arrivèrent vers eux. Le directeur paraissait atterré et vint vers Liz, mais cette dernière recula et s'adressa plutôt à Irina. Jal se demanda pourquoi elle se méfiait à ce point de Divef, et rangea cette question dans un coin.

  • Liz Bertili, suivez-moi. Le tournoi est terminé, nous allons juger votre cas avec tous les professeurs de l'académie.

 Le directeur se retourna vers les gradins.

  • Le spectacle est terminé ! Évacuez !

 Les spectateurs se levèrent, intimidés par son ton énervé et peu à peu s'en allèrent. Il redirigea alors son regard vers les jeunes gens devant lui.

  • Vous, vous pouvez rester.

 Il saisit le bras de Liz avec une dureté qui étonna tout le monde, sauf visiblement la jeune magicienne, et l'entraîna vers l'intérieur. Irina soupira et leva un bras.

  • Allez aider Jana et ramenez Anselme. On aura besoin de la magie de Liz pour le soigner complètement.

 Ils acquiescèrent et soulevèrent le blessé inconscient, avec l'aide de Jana, pour rentrer dans l'académie.

  Liz avait disparu. Irina leur donna des instructions pour déposer Anselme sur une banquette. Jana resta assise à son chevet ; elle n'osait pas le soigner, la magie de Liz était encore active et elle connaissait les risques d'interférence. Les trois garçons s'assirent, torturés par l'incertitude, l'inquiétude et l'espoir par bouffées. Jal ne pouvait s'empêcher de songer que Lidwine ne savait pas ce qui venait d'arriver. L'attente pesait ; Vivien finit par se lever.

  • C'est insupportable, j'étouffe.

 Il alla jusqu'à la porte et descendit les quelques marches flottantes, disparaissant ainsi du champ de vision de son cousin. Le Vorodien revint quelques instants plus tard. Jal releva vaguement les yeux.

  • Il pleut.

 Personne ne réagit et Vivien se laissa retomber sur les coussins. A aucun moment l'étudiant assis à côté d'eux n'avait montré le moindre intérêt pour quoi que ce fut ; mais Jal remarqua son front plissé et moite. Il devait s'imaginer tous les scenarii possibles dans cette pièce.

  • Ils l'ont emmenée dans la salle des secrets ?
  • Non, ils sont dans l'amphithéâtre.
  • Je ne connais pas.
  • C'est une grande salle avec une scène et des gradins, où se produisent toutes les cérémonies et grands événements, sauf ceux qui impliquent de la magie spectaculaire, qui se passent à l'extérieur.
  • Tu connais les professeurs. Tu crois qu'elle a des chances ?

 Il resta immobile, la tête penchée vers le sol, et les deux messagers crurent qu'il n'avait pas entendu. Au moment où Vivien s'apprêtait à le relancer, il les fixa pour lâcher :

  • Je ne pense pas. Liz a un fort capital sympathie dans l'école, mais pas énorme auprès des professeurs. Irina plaidera pour elle, c'est sûr, et sans doute Octavie, mais ça ne suffira pas. Jal fronça les sourcils.
  • Et Divef ? Il ne la défendra pas ?
  • Sûrement pas !
  • Je ne comprends pas... J'ai eu l'impression qu'il l'appréciait, et puis c'est tout de même la championne de votre académie.

 Lénaïc soupira une fois encore, comme s'il venait de prendre une décision importante.

  • Divef n'est pas aussi intègre qu'il en a l'air, et Liz le sait.
  • Je me souviens, elle ne voulais pas que je lui parle de mon anomalie.

 Lénaïc hocha la tête.

  • Elle a eu raison. Goulven Divef aurait été capable de t'enfermer pour t'étudier. Il fait des expériences... étranges, dans les laboratoires du sous-sol. Je n'y ai jamais pris part, je ne suis pas digne d'intérêt pour lui, mais je sais que Liz y a eu droit. Elle déteste Divef, de toute son âme, croyez-moi. Je ne sais pas exactement ce qu'elle a subi, mais je ne veux plus que ça lui arrive jamais. S'il avait su, je pense que tu y serais passé. Ce qu'elle a fait tout à l'heure risque d'une part de lui enlever son meilleur cobaye, mais surtout il a peur qu'on ne remonte jusqu'à lui. Il doit se débarrasser d'elle.

 Jal grimaça, choqué. Vivien écarquillait les yeux.

  • Frék alors, il joue bien ce salopard ! J'y ai vraiment cru à son numéro de professeur paternaliste ! s'énerva Jal. Il faut qu'il paye !
  • Du coup, il vaut peut-être mieux qu'elle sorte de son influence. C'est peut-être un mal pour un bien, cette exclusion.
  • C'est pour ça qu'elle avait plus peur pour Anselme que de son propre châtiment...
  • Mais tu as raison, Jal, il va payer. Pas seulement pour ma sœur, mais pour tous ceux et celles qui l'ont aussi vécu, clama Vivien.

 Debout, les yeux vengeurs, il vit arriver Irina d'un pas doux.

  • Messeigneurs...
  • Mage Irina, s'inclina le Vorodien, surpris et gêné.

 Son cousin l'imita aussitôt, inquiété par son regard triste, et Lénaïc souleva son chapeau.

  • Professeure, quelles sont les nouvelles ?
  • Cela dépend de ce que vous attendiez, lâcha la dame en s'asseyant à côté de son élève.

 Elle paraissait réellement fatiguée, affligée surtout, et le visage qu'elle leva vers eux affichait une expression coupable.

  • Liz sera bannie de l'académie, cela c'est certain. Mais il faut que je vous informe de la mauvaise influence que Goulven avait sur elle...
  • Nous savons, dame Irina. Il vaut mieux qu'elle quitte cet endroit. Merci pour votre sollicitude.

 Elle ne parut pas réconfortée pour autant.

  • Nous avons à présent besoin de votre témoignage pour savoir si Liz doit être emprisonnée. Goulven a évoqué l'idée de lui imposer des gants de contention, qui l'empêcheraient d'utiliser la magie. Les autres professeurs paraissent plutôt de son côté, même si ce n'est pas pour les mêmes raisons.
  • On arrive, affirma Vivien sans jeter un seul regard à ses camarades.

 Jal ne lui en tint pas rigueur ; il connaissait l'inquiétude profonde de son cousin pour Liz et la ressentait aussi. Il sentit son ventre se nouer. De sa faconde prochaine allait peut-être dépendre l'avenir de sa chère cousine. Lénaïc déglutit lui aussi et emboîta le pas à Irina.

 Elle marchait d'un pas martial, les sourcils froncés, et leur ouvrit la porte de l'amphithéâtre. Vivien entra et son premier réflexe fut de chercher du regard sa sœur. Elle était assise près de la scène, la tête baissée, dans une attitude contrite, mais releva la tête comme si elle ressentait l'entrée de son frère, et ses yeux gris perle croisèrent ceux, brun chaud, de Vivien. Elle parut un peu rassurée et redressa le dos. Jal le poussa légèrement pour voir l'intérieur de la salle. Les bancs, à l'exception du premier rang, n'accueillaient aucun public. Le directeur les toisait, debout sur l'estrade. Maintenant qu'il savait ses agissements, son regard malsain le frappa. Comment avait-il pu ne pas s'en rendre compte plus tôt ?

 Les professeurs de l'académie, assis au premier rang, se retournèrent vers les nouveaux arrivants. Jana également figurait juste au-dessus de Liz. Irina les guida pour s'asseoir au rang d'au-dessus, à l'opposé de Liz, puis leur adressa un dernier regard d'encouragement avant de rejoindre ses collègues. Jal redirigea son attention vers l'estrade où évoluait Divef lorsqu'il tonna :

  • Messagers Jal Dernéant et Vivien Bertili, élève Lénaïc Fauxoll, vous avez été appelés comme les trois personnes connaissant le mieux l'accusée. Nous avons besoin de votre témoignage.
  • Quelle est votre question ?

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