XVI. Par toutes les forces de l'univers !

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 La sphère blanche brillait sous le soleil et la brise. Le tournoi avait lieu en extérieur, dans les jardins, près du pradanier gigantesque qui frôlait le sommet de l'académie. Le public se massait contre les cordes dessinant un vaste quadrilatère. Une tente arrondie aux airs de chapiteau abritait les candidats angoissés. Liz claqua une bise sur la joue de son frère, salua Jal et Lidwine, passa une main sur sa robe pour lui redonner la couleur bleue mate des étudiants et prit la main de Lénaïc pour l'entraîner vers la tente. Les professeurs de l'académie s'installaient sans se presser dans les loges qui leurs étaient réservées, à l'exception de deux d'entre eux qui se positionnèrent aux angles du champ clos pour arbitrer. Goulven Divef entra dans le clos et imposa le silence d'un simple geste.

  • Bonjour mes chers élèves et mes chers collègues ! Le tournoi va pouvoir commencer ! Vous savez tous que les élèves à réussir ce tournoi, c'est-à-dire à surpasser tous les sorts de trois autres candidats, pourront entrer dans nos classes spéciales, réservées aux meilleurs, et supervisés par nos professeurs les plus compétents. Certains des mages du palais royal de Lonn et même des autres royaumes sortent de ces classes. Cette année, vingt-quatre élèves ont décidé de tenter leur chance, confiants en leur magie et leur imagination. Je vous rappelle aussi que tout emploi agressif de la magie est absolument interdit. Le tournoi peut commencer. L'ordre des duels sera tiré au hasard par le professeur Irina.

 C'était une jeune femme aux cheveux blonds coupés courts, osseuse, au regard brûlant, qui ne souriait pas. Elle resta impassible quand le directeur lui banda les yeux. Il se mit à marcher derrière la ligne d'élèves qui s'était spontanément formée. Jal et Vivien ne pouvaient s'empêcher de fixer Liz, fébrile, en troisième place.

  • Stop, lâcha soudain la professeure aveugle.

 La main de Divef se trouvait au-dessus de la tête d'un jeune homme petit et ramassé, aux gestes et déplacements étonnamment rapides.

  • Méléagant Dortess.

 L'étudiant s'avança pour atteindre le centre du clos. Il n'y avait aucune expression visible sur son visage. Le directeur recommença son petit chemin, avec une lenteur énervante qui faisait se crisper les étudiants sur son passage.

  • Stop.
  • Jana Nuix.

 La jeune femme, cheveux châtains clairs très longs et silhouette menue, alla rejoindre son adversaire désigné avec une nervosité qu'elle essayait de dissimuler. Les deux duellistes se saluèrent d'une poignée de main, conformément à l'usage, et Jana, en tant que la plus jeune, commença.

 Elle avança vers les cordes qui ceignaient le clos et posa sa main dessus. En quelques secondes, elles se mirent à luire et miroiter comme si elles étaient faites d'or pur. La brillance se propagea sur les pieux qui les maintenaient, puis sur le sable qui recouvrait le sol. Le clos entier resplendissait à présent et éblouissait les spectateurs. Puis elle ferma les mains et tout reprit instantanément sa couleur naturelle. Méléagant eut un léger spasme des sourcils qui devait indiquer la forte impression faite par les pouvoirs de l'étudiante. Il s'accroupit et posa les mains au sol. Le sable s'illumina, l'or grimpa sur les poteaux et serpenta sur les cordes, puis grimpa même sur la robe de Jana qui se retrouva vêtue comme un statue resplendissante. Le tissu avait pourtant conservé sa souplesse. Puis il fit envoler l'or en un claquement de doigt. Jana dut s'avouer vaincue. Elle retourna se placer dans la ligne des candidats, tandis qu'on désignait une nouvelle adversaire pour Méléagant. Ce fut Maïwenn, une étudiante un peu plus âgée, aux cheveux teints en rouge tressés en arrière, aux traits anguleux.

 Elle ferma les yeux et se concentra, puis lentement un tourbillon se forma sous ses semelles et la souleva, doucement, jusqu'à la maintenir en suspension à un mètre du sol dans une parfaite stabilité. Elle rouvrit les yeux et étendit les bras pour ne pas perdre l'équilibre. Puis un fin sourire fendit son visage pointu. De toute évidence, elle adorait ça. Son adversaire l'imita avec un peu moins d'aisance, vacillant. Il la regardait dans les yeux, essayant de se donner un air bravache qui ne faisait pas illusion. La jeune femme eut un sourire presque cruel et relâcha la puissance de son tourbillon, qui l'éleva d'au moins quinze mètres de plus, puis elle s'inclina en avant et se propulsa en-dehors du clos, pour aller se déposer tout en douceur sur une branche du pradanier. Méléagant pâlit, hésita une seconde. Il paraissait prêt à tenter de la suivre, mais il pencha dangereusement vers l'avant et déglutit. Il renonça et redescendit prudemment se poser sur le sable. Maïwenn sourit d'un air de victoire et d'un coup de pied, se laissa flotter jusqu'en bas avec une tranquillité parfaite. Le jeune homme baissa la tête et retourna dans les rangs. Une nouvelle duelliste fut désignée, une étudiante grande et forte, avec un chignon noir, nommée Elmira Frayu.

 Après la poignée de main, la jeune femme réfléchit un instant et posa ses deux mains au sol. Un long grondement s'éleva de la terre. Les spectateurs commençaient à s'inquiéter. Maïwenn ne recula pas. Elle aurait peut-être dû, car une large fissure s'ouvrit dans le sol, d'où jaillirent quelques flammes et une fumée sombre. Elmira semblait maîtriser les flammèches, car elles ne sortaient que lorsqu'elle agitait les doigts, et les escarbilles esquivaient mystérieusement elle et Maïwenn. Elle referma la fissure avec effort et dissipa la fumée d'un petit souffle de vent. Son adversaire toucha la terre, elle s'ouvrit presque aussitôt avec bruit, dessinant un cercle complet autour d'elle bouillonnant de fumées jaunâtres et grises, lourdes, qui s'élevaient autour de sa silhouette indistincte. Peu à peu, dans un grondement terrible, le cercle où elle se trouvait s'éleva pour former un piédestal environné de flammes et de jets de laves tourbillonnants. Elle les fit se rétracter avec précaution dans le sol, aplanit l'élévation et referma la fissure. Elmira rentra dans le rang sans demander son reste. Maïwenn restait la seule en lice à avoir conservé l'arène durant deux duels. On lui désigna Lénaïc comme adversaire.

 Intimidé, il entra dans l'arène, mais le regard de Liz fixé sur lui sembla le rasséréner. Il affronta Maïwenn du regard en la saluant, elle lui sourit avec un air de défi très particulier. Lénaïc étant plus jeune, il tendit le premier les bras. Il avait fermé les yeux. Son visage exprimait une sérénité parfaite lorsqu'une énorme vague deux fois plus haute que lui s'éleva spontanément du sol et fonça vers la jeune femme. Par réflexe, elle croisa les bras devant son visage pour se protéger, mais l'eau l'évita mystérieusement : la vague se fendit en son milieu pour mourir de l'autre côté du clos sans avoir laissé une seule goutte éclabousser le bas de sa robe. Maïwenn baissa les bras et réalisa qu'elle ne courait plus aucun danger. Un peu vexée, elle abaissa les bras de toutes ses forces, paumes ouvertes, vers Lénaïc, d'un mouvement qui souleva ses cheveux et le bord de sa robe. Deux vagues naquirent des deux coins derrière elle, pour filer vers lui comme si elles allaient se croiser sur lui. Il resta droit comme un I, les minuscules tsunamis passèrent en effet sur lui sans l'avoir touché. Il s'inclina en cachant un léger sourire, car même s'il avait été surpassé, il savait qu'il avait démontré plus d'assurance. Maïwenn était donc la première admise dans les classes spéciales. Elle put donc rejoindre les gradins des spectateurs, avec à son chapeau d'étudiante le bouton de diamante qui indiquait son appartenance à l'élite.

 Après quelques autres prodiges, ce fut enfin au tour de Liz. Elle devait affronter Xénon, un étudiant athlétique qui venait de vaincre un autre jeune homme. Plein d'arrogance, il essayait d'oublier que Liz possédait aux yeux de tous le potentiel le plus puissant. Elle prit sa main sans la moindre crainte et la serra avec énergie. Il tendit les mains vers le pradanier qui étendait ses branches au-dessus d'eux. Au bout d'un petit moment d'efforts, le pradanier se couvrit de fleurs hors-saison à une vitesse accélérée. Liz eut un léger sourire indulgent dont elle n'avait sans doute pas conscience, et effectua un geste circulaire des bras dans l'air. Le jardin de l'académie tout entier prit son air de printemps ; toutes les fleurs s'ouvrirent d'un seul coup, sur toutes les pelouses et tous les arbres. Elle poussa même le zèle jusqu'à faire passer un léger souffle de vent qui fit voler une myriade de pétales variés sur tout le clos. Liz adressa un adorable sourire qui parut très agaçant à son adversaire, et se retourna pour lancer un clin d’œil à Lénaïc qui le fit fondre. Comme elle flambait de magie ! Xénon la foudroya du regard et quitta l'arène.

 Goulven Divef désigna Hortensia, l'une des plus âgées et des plus expérimentées des étudiantes. Elle ratait l'entrée des classes spéciales depuis trois ans et une véritable rage brillait dans son regard. Elle ne serra aucune main. Sans égard pour l'âge de Liz, elle lui expédia une magie de feu pure qui fut bloquée à mi-chemin par Irina qui avait réagi à la vitesse de l'éclair.

  • C'est à Liz Bertili de commencer, Hortensia.

 La jeune femme lança un regard venimeux à la professeure et baissa les bras. Liz n'avait pas frémi. Elle laissait peser un regard noir sur son adversaire. Puis une idée sembla lui venir. Elle renversa la tête vers le ciel, ferma les yeux et ouvrit les doigts vers le zénith. Les spectateurs scrutaient son visage, puis remarquèrent soudain que la lumière baissait. Bouche bée, ils constatèrent que les nuages s'amoncelaient et masquaient la lumière de cette radieuse journée. Jusqu'à l'horizon, un lourd couvercle gris recouvrit la voûte céleste. Un vent froid se leva et secoua les fleurs écloses, fit frissonner l'assistance et resserrer les capes. Les cumulus devinrent noirs, un éclair les déchira et tonna avec force, puis les premières gouttes de pluie s'écrasèrent sur le sable et les bancs. La pluie augmenta et, poussée par le vent, fouetta le jardin. Les arbres tremblaient ; seuls quelques éclairs ramenaient un peu de lumière, la pluie brouillait les contours. Au milieu de ce déluge chaotique, seule Liz restait parfaitement imperturbable. Son expression n'avait rien perdu de sa quiétude. Avec des mouvements solennels et d'une grâce qu'elle ne soupçonnait probablement pas, elle dirigeait son orage comme un chef d'orchestre.

 Soudain, elle baissa la tête, rouvrit les yeux, et écarta les bras d'un geste péremptoire. Les nuages s'écartèrent et disparurent instantanément, le vent tomba, le soleil gicla renouvelé sur la ville. Jal cligna des yeux, ébloui par le retour de la lumière. Ses vêtements étaient secs, pas une seule goutte ne tombait de ses cheveux. Liz replaça ses cheveux derrière ses oreilles avec tout le calme du monde, affichant un air satisfait, et toisa son adversaire. Hortensia écumait ; elle savait qu'elle ne pourrait jamais égaler une telle prouesse. Elle tenta tout de même d'appeler quelques nuages, mais seule une brume humide flotta calmement entre les arbres. Elle tourna les talons sans un mot. Vivien regardait sa petite sœur, prêt à exploser de fierté. Jal ne pouvait s'empêcher de teinter son sourire d'un peu d'amertume. Pourquoi lui avait-elle volé cet héritage de magie ? Aussitôt il se maudit d'avoir eu cette pensée et applaudit Liz pour compenser. Elle le repéra et lui sourit, flattée, ce qui redoubla encore sa honte.

 On désigna à Liz un troisième adversaire, un étudiant qui ressemblait assez à Lénaïc, avec des lunettes rondes qu'il confia à Jana qui semblait être une amie. Il entra et serra la main à l'étudiante presque amicalement. Liz avait un an de plus, il entama donc aussitôt son tour en désignant la magicienne d'un doigt autoritaire. Elle se souleva sans pouvoir l'empêcher. Il parut s'amuser beaucoup à la faire voler au-dessus du clos, puis du public, sans qu'elle puisse rien contrôler.

  • Repose-moi ! Lâche-moi tout de suite ! Aaaaaah, pas là !

 Elle avait failli heurter le tronc d'un plitonier. Son adversaire souriait nonchalamment.

  • Tu ne risque rien, je maîtrise !
  • Je m'en moque ! Pose-moi au sol !

Elle était rouge de colère de ne rien pouvoir maîtriser ni riposter. Il finit par la faire atterrir sur le sol en douceur. A peine eut-elle retrouvé son équilibre que, furieuse et humiliée, elle jeta un terrible souffle vers l'étudiant. Il vola sur au moins quatre pas et heurta de plein fouet la barrière de l'arène, avant de retomber inerte au sol.

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