XIII. Sur ma Lune et sur ma vie, deuxième partie

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 Tous les autres mages sortirent alors derrière eux et se distribuèrent d’un pas synchronisé tous autour de la cour, adossés à la muraille. La plus proche de Jal se trouva être Isis, qui le reconnut et lui adressa un sourire encourageant.

 Sur un signe de la main de Mathurin, tous se baissèrent pour poser leurs mains sur le sol. Une seconde de silence s’ensuivit et d’un seul coup s’élevèrent du sol exactement 107 sièges taillés dans le roc. Les mages se relevèrent sans la moindre marque d’essoufflement. Jal les envia plus que jamais. Dire que dans quelques années, Liz serait peut-être capable de ce prodige... Il s’assit dans le fauteuil le plus proche et Vivien juste à côté. Il s’efforça encore une fois de repérer l’escrimeuse derrière lui, mais le mage Mirant l’interrompit à nouveau. Jal commençait à réellement angoisser à l’idée que son amie ait pu rentrer chez elle la tête basse.

  • Merci mes chers collègues. Commencez, s’il vous plaît, ma chère Arabelle.

 Il fit quelques pas pour donner le porte-voix à la jeune femme, intimidée par le nombre et l’attention extrême des candidats. Elle prit l’objet d’une main mal assurée et fouilla dans le coffret pour en tirer un écusson qu’elle retourna.

  • Lisette Noife.

  Sa voix tremblait, elle dut répéter le nom pour que la jeune fille d’origine modeste qui avait bousculé Jal un peu plus tôt se lève. Elle sortit des rangs d’un pas hésitant, sans un regard en arrière, et grimpa les quelques marches menant à l’estrade. Elle posa les pieds sur la nappe cérémonielle et arriva devant Mathurin Mirant qui lui sourit paternellement et poussa devant elle le Code du messager. Épais, relié de cuir de dragon lorin rouge gravé de doré, tranche décorée d’un filigrane, l’ouvrage avait vu défiler les siècles sans perdre de son aura. La fille tendit la main et frissonna en touchant la couverture. Arabelle lui tendit le porte-voix.

  • Moi, Lisette Noife, Lonnoise, je jure sur ma Lune et sur ma vie de respecter le Code du messager tout le temps que durera mon engagement.

 Puis Lisette tendit ses mains à Mathurin qui prit ses poignets et dessina autour d’un cercle dans l’air.

  • Que ce sort te brûle et te marque à jamais si tu faillis à ta parole.

 La jeune fille sursauta d’une façon très nette et observa ses poignets. Mais Sa Majesté Oswald s’éclaircit la gorge. Elle s’avança vers lui et s’agenouilla. Le roi de Lonn dégaina lentement son épée, sobre et longue, sans fioriture ni dorure, son épée de combat, et en toucha chaque épaule de la nouvelle messagère.

  • Lisette Noife, nous, roi du royaume de Lonn, vous nommons messagère et chevalière de la Plume et de l’Épée.

 Arabelle lui remit alors l’écusson où elle avait lu son nom. La jeune femme le prit avec émotion et l’accrocha à son corsage. Puis elle traversa la nappe, déposa une pièce et une fleur en offrande, envoya un baiser vers le ciel pour remercier sa Lune, et redescendit sur terre.

  Jal observait avec une attention décuplée chaque étape de la cérémonie, attendant son tour. Les aspirants venus de l’intérieur et de l’extérieur alternaient. Personne de la connaissance de Jal n’avait encore été appellé. Il jeta un oeil de côté sur son cousin, qui gardait un visage impassible. Pourquoi être resté en sachant que son nom ne serait jamais prononcé ? Espérait-il un retournement de situation miraculeux ? Cela ne lui ressemblait pas.

 Les candidats s’enchaînèrent encore, Jal commençait à craindre qu’on ne l’ait oublié. Il vit passer Karen Alenia. Il sentait la tension monter dans ses nerfs. Il faillit bondir sur son siège lorsqu’Arabelle haussa les sourcils et lâcha dans les sonorités cuivrées du porte-voix :

  • Jal Dernéant !

 Il remarqua seulement à cet instant combien sa voix avait pris de l’assurance depuis le début de la cérémonie. Il se leva, instable sur ses jambes, incapable cette fois de contenir son sourire. Il sentit son cousin lui donner une bourrade pour le pousser vers l’estrade. Il traversa les rangs, suivis par des dizaines de paires d’yeux. Il monta les marches et se retourna pour embrasser du regard tous les aspirants et les messagers assis à le regarder à ses pieds. Il vit Vivien qui ne le lâchait pas des yeux. Il lui adressa un signe de tête grave et marcha sur la nappe. Arabelle et Mathurin l'attendaient. Jal avança vers ce dernier et l’anxiété revint à la charge. Il ne savait pas comment le sort se comporterait avec lui. Il admira une seconde le Code du messager, écrit dans des temps reculés, et posa sa main dessus. La douceur de la couverture le surprit, ainsi que l’énergie qui s’en dégageait, comme une sorte de tension. Le livre était chaud. Jal entendit les mots qu’il avait tant de fois répétés sortir seuls de sa bouche :

  • Moi, Jal Dernéant, Ranedaminien, je jure sur ma Lune et sur ma vie de respecter le Code du messager tout le temps que durera mon engagement.

 Il était convaincu jusqu’au fond de l’âme de ces mots rituels. En prononçant ces mots, il renonçait à tous ses droits sur la terre d'Herzhir. Sa sœur Imre hériterait du domaine entier et il l'acceptait volontiers. Puis il tendit ses mains au mage avec une appréhension dont il espérait qu’elle ne se verrait pas, surtout si Lidwine le regardait quelque part dans l’assistance. Plus il s’efforçait de ne pas faire attention à ce qui se passait, plus il y pensait. Le mage saisit ses poignets avec une force insoupçonnée et murmura une formule que Jal n’entendit pas.

  • Que ce sort te brûle et te marque à jamais si tu faillis à ta parole.

 Comme un fouet, le sort entoura ses poignets et infligea à Jal une secousse, comme un éclair, tandis que le sort s’enfonçait dans sa chair. Il leva ses bras, persuadé qu’il y trouverait une terrible brûlure. Mais non, sa peau était intacte, fraîche. D’ailleurs la sensation d’étau disparut presque aussitôt. Jal remercia Mathurin d’un signe de tête et avala sa salive pour faire avec solennité les deux pas nécessaires pour arriver devant le roi Oswald. Il posa un genou en terre avec un profond respect et courba la tête. Il écouta avec une telle attention que ses oreilles fourmillèrent et savoura la moindre sonorité des mots.

  • Jal Dernéant, nous, roi du royaume de Lonn, vous nommons messager et chevalier de la Plume et de l’Épée.

 La lame en question, lourde, froide, se posa sur chacune de ses épaules. Il se releva, éclatant de fierté. Son cousin ne put s’empêcher d’avoir un sourire attendri. Il n’avait jamais vu ce cher Jal aussi grand, aussi mature, aussi rayonnant. C’était un homme, maintenant. Un messager, un chevalier. A cause de leurs deux ans de différence, Vivien avait toujours considéré le Ranedaminien comme son petit frère. Mais en cet instant, il paraissait plus grand que lui. Jal passa alors devant Arabelle qui déposa dans sa paume un écusson aux couleurs des messagers. Jal le fit tourner dans sa main. L’inscription Jal Dernéant brillait dans le métal neuf. Il sourit à Arabelle, qui lui glissa :

  • Pour le seul messager sans magie du royaume, mais pas le moins brave.

 Il inspira, attacha le blason en argent à la sangle de son sac et se pencha pour déposer son offrande, puis murmura :

  • Grande Lune Umeå, merci.

 Joyeux, sur un petit nuage, il regagna sa place. Vivien gardait le regard fixe, droit devant lui.

  • Voilà, tu es messager.
  • Je n'arrive pas à y croire.

 Le Vorodien hocha la tête.

  • J’ai toujours su que tu réussirais.

 Un silence s’ensuivit, où Arabelle Joyant appela le suivant.

  • Je ne sais toujours pas si Lidwine a réussi, je ne l’ai pas vue, s’inquiéta soudain le messager fraîchement nommé.
  • Frék, je n’ai pas pensé à regarder. Bah, elle finira par être appelée, si elle a réussi.

 Jal hocha la tête.

  • Tu es très élégant, tu sais, le complimenta-t-il pour changer de sujet.
  • Merci. Toi aussi, d’ailleurs.

 Vivien avait choisi un costume rouge avec des festons gris perle sur les basques, des chaînes d’argent pendant le long des bras, un col rabattu à boutons de nacre et des dentelles aux manches. L’arrondi à l’arrière recouvrait des chausses en cuir d’ordimpe teintées d’un rouge savamment délavé et lacées par derrière avec une cordelette aboutée de perles de bois. Tout l’avant de la veste s’ornait de broderies symétriques de fil blanc, dessinant de longues ondulations. Ses bottes avaient été cirées et récurées et il portait également une nouvelle cape rouge sombre, mieux assortie que son habituelle cape verte. Celle-ci avait été taillée dans un tissu plus léger, moins chaud et plus élégant. Une fine broderie grise en décorait l’ourlet. Son chapeau éternel avait changé de plume, c’était celle d’un oilan, connu dans toute la Longarde pour être un impitoyable prédateur.

 Jal, lui, préférait le bleu. Sa jaquette le proclamait : le tailleur avait fourni un large camaïeu, d’un bleu profond pour l’étoffe, des broderies noires en arabesques sur toute la surface, des boutons de bois précieux, un col à dentelles bleues plus claires, une doublure couleur ciel d’été, un feston étroit noir également, et le col caché par une écharpe blanche d’une étoffe très fine. Son pantalon resserré par des coutures d’une nuance plus sombre, et bordé d’une dentelle, permettait une liberté de mouvement et de couleurs plus large que des chausses. Valte à son côté avait été nettoyé et repolie de frais, elle brillait comme neuve. Ses bottes aussi, recousues de nouvelles décorations, des rondelles de bois et des écailles bleues de librales. Sa cape rouge, elle, n’avait pas changé mais il l’avait brossée de frais. Son chapeau neuf à large plume blanche qui palpitait à chaque mouvement participait à la noblesse de son port de tête. On aurait dit deux princes en voyage. L’écusson de messager flambant neuf étincelait sur sa poitrine, à la sangle de son sac. Il hésita et finit par le détacher pour le placer sur le nœud de son écharpe.

  • Tout le monde s’est mis sur son trente-et-un, constata Vivien en jetant un coup d’œil circulaire aux alentours.
  • Tu voulais impressionner quelqu’un ? demanda Jal avec un sourire, espérant dérider un peu le jeune homme.
  • Tu sais bien que je suis fiancé.
  • Oh, je sais, tu t’en inquiètes beaucoup d’ailleurs !
  • Alors que toi, inutile de te poser la question, glissa finement Vivien.

 Jal dut s’avouer vaincu sur ce point : il espérait un peu que la demoiselle Artanke admire sa prestance avec ce nouvel habit.

  • Ne t’en fais pas, pour mon mariage, j’aurais une tenue encore plus magnifique, rétorqua le jeune homme.
  • C’est probablement Aurine qui va s’en occuper, elle adore se mêler de tout !

 Vivien grimaça douloureusement. Leurs rires s’interrompirent soudainement quand Arabelle la mage annonça de sa voix désormais claire et forte :

  • Lidwine Artanke !

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