XII. Mais que fait la police ? Première partie

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Foutue magie ! pensa le jeune homme en reprenant ses esprits. L’instant d’après, il prit conscience de ses mains liées dans son dos, des courbatures qui parcouraient sa colonne vertébrale et de l’obscurité autour de lui. Puis il réalisa que l’obscurité n’existait que dans les brumes de son inconscience, qui commençaient à se dissiper. Ses pupilles reprenaient peu à peu l’habitude de la lumière ; les images apparurent lentement.

 Il se trouvait dans une pièce qu’il ne connaissait pas, sans fenêtre mais éclairée par un lustre de fortune et des chandelles posées sur une table basse. Des hommes discutaient à voix basse, installés sur des bassines retournées. Deux d’entre eux avaient des bandages, un sur la cuisse et l’autre à la joue. Jal reconnut les blessures infligées par sa propre lame. Il n’avait donc pas rêvé, il s’était à nouveau fait enlever par cette bande de déséquilibrés !

 Il décida de rester immobile et silencieux le temps d’en apprendre un peu plus. Il y avait cinq hommes autour de la table et il manquait celui auquel l’aspirant messager avait blessé le flanc droit. Pour la première fois, il voyait leurs visages dans la lueur mouvante des chandelles. Un chauve qui lui tournait le dos s’énerva brusquement dans un éclat de voix qui fit sursauter tout le monde, y compris Jal. Heureusement personne ne le remarqua, tous occupés à se protéger eux-mêmes.

  • Il en a de bonnes, le chef ! On est sept et on a toute la ville sur le dos, maintenant ! Les mages, les gardes royaux et le satané Londren, l’académie et les familles Bertili, Artanke et Dernéant !
  • Six, nota le balafré du visage, Octave est hors course.
  • Raison de plus !
  • On a réussi à le capturer, remarqua le plus jeune d’entre eux.
  • Pas grâce à toi, siffla le Chauve.
  • Mais Olin a raison, on l’a eu, intervint à nouveau le Balafré. C'était le but. On ne va pas s'arrêter là !
  • D’accord, mais maintenant, qu’est-ce qu’on en fait ? Le chef ne veut pas qu’on le tue, mais moi je suis prêt à lui désobéir. Il ne se rend pas compte de la difficulté que ça va être de l’asservir et de l’exfiltrer. Surtout maintenant qu’il est revenu sur les listes et que tous les mages le connaissent. C’est un coup à se retrouver tous au cachot !
  • Un coup derrière la nuque, les catacombes, et on n'en parle plus, lâcha sinistrement un individu avec un visage émacié et de longs cheveux lisses.

 On aurait dit un elfe, mais ses oreilles arrondies confirmèrent à Jal son humanité. Un frisson parcourut le dos du Ranedaminien dans le coin de la pièce.

  • Zack et moi, on a failli réussir, la dernière fois, protesta le Balafré.
  • Vous l’avez laissé filer en croyant qu’il était mort, grogna le blessé à la cuisse, vous êtes des abrutis !
  • Il a réussi à tuer Baudoin, rappela soudain le dénommé Olin avec tristesse.
  • Rien que pour ça, on devrait l’étriper, renchérit le Chauve.
  • Le chef nous l’a interdit, bon sang ! rappela le Boiteux. Si vous avez envie qu'il vous tombe dessus, ce sera sans moi !
  • Tu as peur du chef ?
  • Autant que toi du cachot !
  • Il va falloir prendre une décision, lâcha l’Elfe. Qui vote pour qu’on le tue ?

 Le Ranedaminien ferma les yeux. Que faire ? Une réelle panique s’infiltrait dans sa poitrine. Il rouvrit les yeux avec appréhension. Le Chauve et l’Elfe levaient la main bien haute, le Balafré et le Boiteux boudaient plus ou moins, et le jeune Olin semblait en proie à la plus profonde hésitation. Dans sa réflexion, il se tourna vers Jal ligoté à terre dans le coin, et, ce dernier ne fermant pas les yeux assez vite, il se leva en s’écriant :

  • Il est réveillé !
  • Frék !

 Tous se levèrent brusquement et le Chauve se jeta sur lui. Jal n’eut que le temps de fermer les yeux et de se convulser dans un mouvement dérisoire de défense arrêté par ses liens.

  • Attends, Louÿs ! On a des choses à se dire.

 Louÿs le chauve arrêta son mouvement sur l’interjection du Boiteux, mais il saisit le prisonnier par les cordes qui retenaient ses poignets et le souleva pour l’approcher de la lumière. Jal remarqua alors son propre chapeau à plume blanche posé sur la table.

  • Regarde-moi cette pauvre petite chose ! Il doit avoir vingt ans, pas plus. Que veux-tu que le chef fasse de ça ?
  • Il a tué Baudoin et expédié Octave sur une paillasse, rappela le Balafré. C’est lui qui m’a fait ça et qui a taillé Maximilien.

 Louÿs eut alors une grimace difficile à interpréter et posa Jal sur le sol près de la table basse.

  • Zack lui a dessiné la rune la dernière fois ?
  • Oui, mais il n’a pas eu le temps de l’activer. Le plongeon l’a effacée depuis longtemps, expliqua le Balafré, son ancien ravisseur.
  • Tu nous entends, gamin ? le secoua Louÿs.
  • Il a l’air tout à fait réveillé, nota l’Elfe avec son regard froid.
  • Ou… oui, articula Jal la gorge plus sèche que jamais.

 D’un regard, le grand chauve qui semblait le plus autoritaire rassembla ses sbires autour de la table.

  • On ne va pas le tuer sans savoir le plan, reprit le Balafré. Si on fait capoter un truc, ça pourrait être notre tour d'avoir le couteau sous la gorge.
  • Toi, ferme-la ! Déjà si tu ne t’étais pas fait repérer, on n’en serait pas là ! s’énerva à nouveau Louÿs. C'est pas à un grouillot comme toi de connaître le plan !
  • Le jour où c’est toi qui l’a enlevé, ça t’a pas dérangé qu’il tombe dans le torrent ! se moqua à son tour l’Elfe.
  • C’est Zack qui a décidé. J’étais sous ses ordres !
  • Si on s’en débarrasse, qui nous garantit qu’on courra moins de risque qu’en l’asservissant ? s’inquiéta soudain Olin. C'est un gars de la haute, des gens vont le chercher.
  • Olin a raison, encore une fois, dit Maximilien. Il vaut mieux obéir au chef et ne prendre les coups que d’un seul côté. Je vote pour la rune. Anderson aussi, j’imagine ?

 Le Balafré acquiesça. L’Elfe, lui, brûlait visiblement d’envie d’achever Jal d’un coup d’épée sur-le-champ. Soudain inquiet, l’aspirant messager contracta ses muscles et vérifia que Valte se trouvait toujours dans son fourreau. Mais immobilisé comme il l’était, cela ne changeait pas grand-chose.

  • Et Olin ?

 Tout le monde se tourna vers le plus jeune des malfaiteurs.

  • Je ne pense pas que…
  • Alerte ! hurla soudain une voix que Jal connaissait, dans la pièce voisine.

 C’était celle de Zack, son bourreau, le meneur de son précédent enlèvement. Aussitôt le plus grand, souffla les chandelles et la pièce se retrouva dans le noir le plus complet. Un murmure s’éleva.

  • C’est une patrouille de la garde, souffla la voix de Louÿs. Pas un bruit !

 Jal hésita à hurler sa détresse, mais cela convaincrait les brigands de l’exécuter aussitôt. D’ailleurs cette seconde d’hésitation suffit à l’un des brigands pour avoir la même idée et le bâillonner d’une main de fer. Dans le noir, l’aspirant messager entendit les pas des soldats décroître lentement. Il profita de ce moment où ses ravisseurs se concentraient dessus pour expédier une toute petite parcelle de magie dans ses liens. Le temps de reprendre son souffle et une deuxième étincelle. Peu à peu la corde s’amenuisait. Il s’interrompit quand une bougie se ralluma devant son nez.

  • Bien joué, Max, glissa Anderson à celui qui maintenait Jal.

 Une par une, les chandelles flamboyèrent à nouveau et Maximilien lâcha son captif. Personne ne remarqua les cordes amincies autour des poignets.

  • On l’a échappée belle, souffla Olin.
  • Je rejoins Zack et Octave en haut, annonça Louÿs. Il faut que je sache pourquoi les patrouilles font le tour de la ville.

 Il passa l’unique porte. Il n’y avait plus que quatre hors-la-loi dans la pièce, et ceux que Jal considérait comme les plus dangereux n’y étaient pas. C’était peut-être le moment de tenter quelque chose… Mais quoi ?

 Un petit effort suffit à faire céder ses liens. Il garda les mains serrées dans son dos, histoire de ne pas éveiller les soupçons. Mais il restait l’Elfe, qui dardait sur lui un regard avide. Olin, lui, le regardait avec perplexité. Sans doute ne s’attendait-il pas à cette apparence pour leur proie ? ennemi ? Jal n'arrivait pas bien à comprendre ce qu'on lui voulait.

  • On devrait informer le chef de ce qui se passe, non ? demanda alors Maximilien, se rasseyant à table. Il y aura sûrement de nouveaux ordres.
  • Pas impossible, estima Balafré en le rejoignant. Mais Louÿs ne voudra jamais.
  • Je commence à en avoir assez de vivre sous les ordres de Louÿs, soupira Olin.
  • Zack est encore pire.

 Un silence suivit. Jal, un peu oublié sur le sol, déboucla à gestes lents sa ceinture.

  • De toute façon, il n’y a que Zack et moi qui ayons une magie suffisante pour activer une rune, glissa l’Elfe. Vous ne pouvez pas prendre la décision sans nous.
  • C’est faux, moi aussi j’ai assez de magie ! protesta Maximilien.
  • Tu parles ! Ton sort de sommeil a tenu à peine une demi-uchronie !

 Le Boiteux se renfrogna, visiblement vexé. C’est alors que Louÿs débarqua en faisant claquer la porte contre le mur.

  • Samuel ! Il faut que tu viennes vite, l’état d’Octave a empiré !

 L’Elfe se leva et suivit le meneur chauve par la porte qui resta entrouverte. Jal entrevit un couloir prolongé par un escalier, où s’ouvraient deux autres portes. Il ne restait qu’Olin, Maximilien et Anderson avec lui. Sa ceinture était tombée par terre pendant la conversation, il saisit le manche de Valte et commença à la faire glisser de son fourreau le plus discrètement possible. Contre trois hommes, dont Olin qui semblait néophyte, et les deux autres blessés, il avait ses chances.

  • Bon, en tout cas, il n’est pas question de le tuer, on est d’accord ? déclara Anderson l’air fatigué.
  • Nous oui, mais y a Samuel et Louÿs qui vont protester. Et Octave, dès qu’il sera réveillé, voudra se venger, analysa Maximilien. Et toi Olin ? Il a tué ton frère, tout de même !
  • Baudoin n’était mon frère qu’en théorie, soupira le jeune homme. Et je sens qu'on va avoir des problèmes.

 Anderson ricana.

  • C'est sûrement pas ça qui va les arrêter !
  • On peut dessiner la rune à l’avance, proposa Olin. Ça convaincra peut-être les autres…
  • Qui sait la dessiner ?
  • Moi, affirma le boiteux.

 Il se leva avec difficultés et sa silhouette se dressa au-dessus de Jal allongé. L’adrénaline traversa le corps de l’aspirant messager, qui perdit aussitôt toute rationalité et se tortilla comme il put pour échapper à la poigne de Maximilien. La peur panique évapora d’un seul coup ses résolutions de discrétion ; il dégaina Valte d’un coup sec et frappa la jambe déjà blessée d'un coup d'estoc. Maximilien perdit l’équilibre en hurlant de douleur.

 Les deux autres ravisseurs bondirent sur leurs pieds. Olin n’avait pas d’arme, mais Anderson portait une épée qu’il s’empressa de tirer. Jal roula en arrière pour éviter un éventuel coup et libéra ses pieds dans une relative panique pour faire face au brigand. Ce dernier posa une garde approximative et le seigneur passa à l’attaque avec beaucoup plus d’assurance.

 La force physique d’Anderson l’avantageait et le premier coup passa à quelques centimètres de l’oreille du prisonnier. Mais ce coup lui donna l’ouverture dont il avait besoin pour porter une fente à travers l’épaule du malfaiteur. Il recula et heurta la table en hurlant. Tous ces cris allaient donner l’alerte aux dangereux sadiques de l’étage du dessus. Il fallait fuir, très vite. Maximilien essayait en vain de se relever, Anderson serrait convulsivement son épaule. Jal se précipita vers la porte, mais Olin l’atteignit avant lui et lui barra le passage. Il essayait d’afficher une expression résolue.

  • Je ne te tuerai pas. Laisse-moi passer, je t’en prie !
  • Olin ! Arrête-le ! lança Anderson avec une grimace.
  • S’il te plaît, supplia Jal.

 Le jeune homme hésita avec une expression affolée. Cette seconde suffit à Jal pour brandir Valte et assommer Olin avec le pommeau.

  • Tant pis, lui glissa-t-il à l’oreille tandis que l’homme tombait.

 Le Ranedaminien se retourna alors, ramassa son chapeau et s’en coiffa.

  • Messieurs... les salua-t-il avec un sourire goguenard.

 Jal s’engouffra par la porte et détala à toute vitesse le long du couloir entraperçu. Il grimpa les marches quatre à quatre, mais des pas précipités claquèrent dans le sens inverse. Ses pupilles s’agrandirent de terreur et il fit demi-tour à toute vitesse, cherchant désespérément une échappée. Il ouvrit une des portes du couloir et la referma derrière lui.

 La pièce où il venait d’entrer comportait une large fenêtre vers la rue ; Jal n’hésita pas longtemps. Il rengaina Valte et se jeta sur la poignée avec tant de force qu’elle lui échappa et que l’encadrement craqua. Il se força à calmer ses gestes, ouvrit le panneau et enjamba l’appui. Dans la rue, les passants regardèrent avec des yeux ronds le jeune homme qui atterrit sur des jambes vacillantes. Une femme élancée vêtue d’une tenue de voyage passablement élimée s’approcha.

  • Vous allez bien, monsieur ? Que s’est-il passé ?

 Jal la regarda une seconde sans comprendre ; la peur retombait peu à peu et le contre-coup de son appel à la magie se fit sentir. Heureusement, il n’en avait utilisé que très peu.

  • Je… J’ai été enlevé ! Il faut que j’aille à la caserne ! Où est passée la garde ?
  • Je ne sais pas, je viens d’arriver… Dans cette maison, là ?
  • Oui ! Il faut que personne ne s’en échappe !
  • Je vais garder la porte.
  • Vous ? s’inquiéta le jeune homme en considérant la dame gracile.

 Elle tira de son dos un arc aussi long qu’elle et se posta avec une visée très sûre dirigée sur la porte. Ses traits fins se courbèrent dans un léger sourire qui découvrit des canines aussi acérées que celles d’un mondre.

  • Soyez tranquille, personne ne sortira de cette maison tant que je serai là.

 Jal aperçut alors les oreilles longues et effilées sous les cheveux bruns tressés ; une elfe ! Il eut un sourire parfaitement rassuré.

  • Merci bien, mademoiselfe.
  • Mon nom est Hovandrell.
  • Enchanté…

 Il lui fit sa plus respectueuse révérence.

  • Mon nom est Jal Dernéant. Je reviens dès que possible.

 Il détala en direction de la caserne, peinant encore à réaliser ce qui venait de se passer.

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