III. Feu le roi Rainier, première partie

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 Il passa la porte d’un pas mal assuré.

  • Maître Érode ?

 Personne. Il retira son chapeau et avança un peu dans la pièce sombre.

  • Maître Érode ? Vous êtes là ?

 Quelque part, un liquide gouttait. Tout était immobile, mais une menace sourde planait dans l'air.

  • Il y a quelqu’un ?

 Il saisit une chandelle sur une table et l’alluma. La flamme vacillante éclaira la pièce dont il se souvenait, avec la grande table au milieu, les dizaines de fioles multicolores sur les étagères, les bouquets d’herbes accrochés aux murs, le livre énorme posé sur un pupitre. Quelques instruments gisaient au sol et une fiole avait été renversée, elle coulait lentement d'un liquide huileux jaunâtre. La porte dans l'alcôve béait et une main inerte au sol en dépassait. Il se figea.

  • Érode ?

 Sa voix s’étranglait. Il poussa la porte entrouverte. Le médecin gisait là, étalé sur le sol, une plaie au front. Jal déglutit, s’agenouilla vers l’homme. Il respirait, il ne s’agissait que d’une plaie superficielle. Soulagé, Jal hésita à le soigner magiquement, mais il ne voulait pas risquer de perdre ses forces si l’agresseur était encore caché là, quelque part. Il resta tendu, immobile, mais attentif au moindre son. Comme rien ne bougeait, il posa sa chandelle et secoua doucement l’épaule d’Érode.

  • Docteur !

 L’homme émit un gémissement et ouvrit les yeux. Jal l'aida à se lever. On n’aurait jamais cru cet homme médecin. Il était grand, costaud, jeune, avec des cheveux blonds ondulés et des yeux bleus glace. Il posa un regard perdu sur l’aspirant messager.

  • Que… où suis-je ? Vous êtes ?
  • Calmez-vous, docteur Érode. Je m’appelle Jal Dernéant, je suis venu vous voir il y a deux jours pour une demoiselle évanouie. Je pense que vous avez été victime d’une agression.

 Le médecin se tenait le front.

  • Oui, ça me revient… Un jeune homme, avec des cheveux noirs et une cape verte, qui est entré, avant de se faire assommer juste avant moi. C’était rapide et précis, implacable…
  • Vivien ? Par ma Lune ! Que faisait-il ici ?
  • Comment va-t-il ? s'enquit le médecin.
  • Mais où est-il ?

 Jal ne comprenait plus rien.

  • Mais dans l’entrée !
  • Non ! Il n’y a personne !
  • Vous voulez dire…
  • Il n'est pas là. Décrivez-moi l’homme qui vous a attaqué ?
  • Grand, cagoule noire, professionnel, des yeux très noirs sous la cagoule. Humain, en tout cas. Gros potentiel magique, ça se sent.
  • Un futur mage ?
  • Pas impossible.
  • Il a dit quelque chose ?
  • A votre cousin seulement. Il lui a demandé « où est la fille ? », et votre cousin a répondu « je n’ai pas l’habitude de livrer mes amies », il a levé son épée, mais n’a rien eu le temps de faire, il est tombé. Puis il est arrivé vers moi et a frappé sans un mot. J’étais juste un témoin…

 Jal sentit son coeur se serrer. Vivien n'aurait pas abandonné le médecin inconscient au fond de son office. Qu'était-il devenu ?

  • Désolé, sincèrement. Je ne peux pas vous soigner.
  • Ne vous en faites pas.

 Les doigts du médecin s’illuminèrent et se posèrent sur son front. La longue entaille se résorba aussitôt. Soudain, les mots d’Érode frappèrent Jal de plein fouet.

  • La demoiselle ?

 Par toutes les lunes, l’agresseur cherchait Lidwine ! Il devait la retrouver !

  • Érode, je suis navré, mais je dois vous laisser. Je dois protéger la demoiselle, c’est celle que vous avez soigné. Je reviendrai vous voir.

 Il fila à toute vitesse vers la maison des Artanke.

  Son sens de l’orientation quasi-miraculeux mena Jal tout droit devant le porche. Il ne s’embarrassa pas du protocole, cette fois.

  • Lidwine ! Vous êtes là ?

 Une porte s’ouvrit et le visage inquiet de Lidwine apparut.

  • Jal ? Vous allez bien !
  • Les lunes soient louées, vous aussi, Lidwine ! Figurez-vous que mon cousin et le docteur Érode ont été attaqués !
  • Quoi ?! Ce charmant Vivien ? Je descends tout de suite !

 Elle dévala l’escalier et s’approcha de lui. Jal retint un sourire.

  • Racontez-moi.
  • Étant parti à la recherche de mon cousin, je suis tombé sur l’officine du docteur Érode. Il était assommé par terre. Il s’est réveillé et m’a raconté que Vivien avait été enlevé chez lui, après avoir refusé d’indiquer votre maison à un mystérieux agresseur. Je me suis inquiété pour vous… Vous n'avez vu personne ?
  • Non. Pauvre Vivien ! Quel courage de me protéger au prix de sa sécurité.

 En d’autres circonstances, il aurait été jaloux de l’admiration de Lidwine pour son cousin, mais il s’inquiétait trop pour lui.

  • Il faut le retrouver, insista Jal.
  • Bien sûr ! Je vous suis.
  • Vous ne demandez pas la permission à votre père ?
  • Je n'en ai pas besoin.
  • Lidwine, c'est sans doute dangereux...
  • Je suis capable de me défendre toute seule. Il aura son mot à dire quand nous reviendrons. Et puis la vie d’un homme est en jeu ! Allons !
  • Si tel est votre choix. Venez !

 Il tourna les talons et Lidwine le serra de près, la main sur son épée longue et fine. Son beau visage respirait tout ensemble l’inquiétude et l’exaltation. Jal s’en détourna pour se concentrer sur un moyen de retrouver son cousin. Il fallait le trouver vite, il devait se présenter aux épreuves le lendemain.

  • Je vais avertir la garde, vous Lidwine, allez à l’académie de magie chercher un moyen de repérer quelqu’un dans la ville. Je vous y retrouverai s’il y a un moyen.
  • D’accord, je ferai de mon mieux.

 Et elle galopa en tenant sa robe vers l’académie. Il la regarda s’éloigner avec la légèreté d’une aérolia, puis enfonça son chapeau et se dirigea vers la caserne de la garde.

  • Ouvrez ! Je demande assistance !
  • Qui ?
  • Peu importe ! Il s’agit d’un enlèvement !
  • J’ouvre…

 La porte de la caserne grinça en s’entrouvrant et un garde nonchalant s’encadra dans l’ouverture.

  • J’annonce qui ?
  • Jal Dernéant. Pour un enlèvement.
  • Oui, ça, j’ai compris. Bougez pas, je reviens.

 Il disparut, laissant la porte à demi ouverte. Jal hésita un instant, mais sa curiosité l’attirait vers l’ouverture comme un aimant. Il jeta un œil, puis entra et referma doucement la porte. Les soldats qui passaient et se croisaient dans la cour ne lui jetaient pas un regard. Il chercha des yeux le bâtiment principal et tomba dessus au moment où le capitaine Hendiad en sortait, poussant devant lui le garde de l’entrée.

  • Seigneur Londren !

 L’homme se tourna comme un fouet vers lui. A nouveau, le regard glacé lui fit courir un frisson dans l'échine. Cet homme donnait l'impression que son seul regard pouvait vous tuer s'il lui en prenait l'envie.

  • C’est vous, l’enlèvement ? Dernéant ?
  • Oui, c’est moi.
  • Va-t'en, toi, lança Hendiad au garde qui s’enfuit vers la porte. Vous avez bien fait d’insister, en cette période, toutes les affaires sont importantes. Quand cela s’est-il produit ?
  • Il y a peut-être une uchronie.
  • Et où ?
  • Chez le docteur Érode, une officine de la ville méridionale. Il était évanoui quand je suis entré, mais il a repris conscience. Il affirme que l’agresseur a demandé à Vivien de…
  • Vivien ?
  • Vivien Bertili, mon cousin, le disparu. Il a refusé de livrer Lidwine Artanke, une amie, et l’agresseur l’a assommé et emmené avant d’assommer également docteur Érode. Il a perçu un fort potentiel magique, des yeux noirs et une haute stature. C’est tout ce qu’on sait. Mon… amie Lidwine est partie à l’académie de magie chercher un moyen de le repérer magiquement.
  • Hum, bonne idée, c’est possible. Vu les revendications de l’agresseur, il a dû l’emmener dans un lieu calme et isolé, où il serait en train de l’interroger. Je penche pour les catacombes du quartier ancien.
  • Les catacombes ?
  • J’emmène dix hommes et nous ferons une descente. Tout de suite ! Dix hommes avec moi, aux catacombes !

 Hendiad quitta la place à grandes enjambées, portant son regard d’acier sur chacun des hommes présents, qui lui emboîtèrent le pas bien que d’une manière moins magistrale. Jal prit la suite de la troupe, et rattrapa Hendiad Londren en essayant de comprendre.

  • Seigneur Londren…
  • Capitaine, je vous prie.
  • Capitaine Londren, je dois retrouver Lidwine à l’académie.
  • Si les magiciens acceptent de vous aider, tout peut aller très vite. Je délègue le commandement de la troupe à mon second Olympe pour l’exploration des catacombes. Je vous suis à l’académie. Je dois voir ce qui se passe et diriger l’expédition si l'on peut retrouver le seigneur Bertili.

 Il devança Jal à grandes enjambées. L’aspirant messager trotta à sa suite. L’académie de magie fut bientôt en vue. Le capitaine de la garde gravit les marches volantes sans l’ombre d’un doute. Jal vit aussitôt Lidwine, Lénaïc et Liz rassemblés avec le directeur de l’académie. Il ouvrit des yeux surpris en tombant sur Érode, inspecté avec soin par un étudiant de seconde année.

  • Vous êtes là, docteur ?
  • Je suis venu demander au directeur s’il y avait un risque que ce soit un de ses élèves qui ait fait le coup. Cela m’étonnerait qu’un homme ayant un tel potentiel magique ne soit pas connu de l’académie.
  • En effet, cela me surprend aussi, releva le directeur avec une curieuse voix flûtée. Docteur Érode, sauriez-vous reconnaître sa voix ?
  • Je le pense, oui.
  • Jal ?

 Lénaïc s’approchait pour lui parler. Lidwine, au loin, ne l’avait pas encore vu. Hendiad Londren se posa devant le directeur.

  • Goulven Difev, avez-vous pu trouver un moyen de localiser le seigneur Bertili ?
  • Difficile, mais possible. J’ai besoin d’un périmètre de recherche plus restreint que la ville entière.
  • Essayez les catacombes de la ville ancienne. Et vite, je crains que la vie du seigneur Bertili soit en danger.
  • Vraiment ?

 Lénaïc avait pâli. Jal lui tira la manche.

  • De quel moyen il parle ?
  • Il existe un moyen de repérer votre ami. La magie, correctement dirigée, peut reconnaître celle d'un autre humain. Cela exige une très grande maîtrise, mais le directeur en est capable. Il nous faut quelqu’un qui connaît le disparu pour centrer le sort. Vous pourriez faire ça ?
  • C’est-à-dire…
  • Quoi ? C’est bien votre cousin ? Avec le lien du sang en plus, ce sera facile !
  • Je… J’ai quelque chose à vous dire, mais discrètement, s’il vous plaît.
  • Éloignons-nous un peu…

 Lénaïc entraîna l’aspirant messager vers une alcôve de la pièce.

  • Lénaïc, savez-vous tenir votre langue ?
  • Si vous me le demandez, je peux devenir la bouche la plus muette du royaume.
  • Je ne peux pas utiliser la magie.
  • Hein ? Mais je sens bien votre potentiel magique, il n’est pas négligeable !
  • Peut-être, mais depuis ma naissance, je suis porteur d’une sorte d’anomalie étrange. J’ai un potentiel magique, mais mon corps le refuse. Le moindre recours à la magie me vide de mes forces. Lors des épreuves éliminatoires, j’ai failli m’évanouir.
  • Ce… C’est tout à fait anormal !
  • Aucun médecin n’a pu l’expliquer.
  • D’un autre côté, ça explique la bizarrerie de votre magie. Je la sens assez forte, mais comme…décalée.
  • Décalée ?
  • Comme si elle ne vous appartenait pas et que vous deviez faire un énorme effort pour y accéder. Il faut cacher cela au directeur Difev !
  • Si vous dites que ça se ressent, il est déjà au courant.
  • On ne ressent la magie que des personnes qu’on a touchées. Il vous suffit de vous tenir éloigné de lui.
  • Je peux compter sur votre absolue discrétion, Lénaïc ?
  • Mais pourquoi le cachez – vous ?
  • Je n’aurais plus le droit de me présenter aux épreuves, et ça, c’est hors de question ! Je veux votre parole que vous n’en parlerez à personne.
  • Pas même à demoiselle Lidwine ou au seigneur Bertili ?
  • Ils sont déjà au courant. Alors ?
  • Je ne comprends pas vos raisons, mais vous êtes seul juge de vos secrets. Vous avez ma parole.
  • Seigneur Dernéant ?

 C’était Difev, tout sourire.

  • Je vais avoir besoin de votre coopération pour retrouver votre cousin. Il suffit que je place mes mains sur vos épaules.
  • Je ne…
  • Je vais le faire.

 Lidwine s’était avancée dans toute sa grâce.

  • Je connais le seigneur Bertili, et un autre lien que celui du sang nous rapproche qui devrait faciliter votre travail. Vivien Bertili et moi sommes fiancés.

 Jal crut sentir son cœur s’arrêter.

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