II. Arbre généalogique, troisième partie

9 minutes de lecture

 Il secoua la tête et jeta un œil à Vivien qui se trouvait dans le même état. Les globes remontèrent lentement et disparurent. Jal se souvint des instructions et posa ses mains à plat sur le bois blanc de la table, retournant les questions dans sa tête pour éloigner son anxiété.

 Un mage entra, drainant tous les regards par une prestance devant beaucoup à sa robe blanche longue et immaculée. Il leur donna quelques instructions, usant de sa magie pour amplifier sa voix en utilisant les vibrations de l'air. Il fallait un niveau de maîtrise hallucinant pour être capable de ça.

  • Chers candidats, sous votre table se trouve un casier, qui contient une boule de bois. La magie de la couleur nécessite peu de puissance, mais une grande subtilité et un contrôle sans faille. Vous devez modifier la couleur de la vôtre, de façon irréversible. Peu importe la couleur, tant qu'elle est nettement différente de celle du bois.

 Conformément au texte, Jal saisit la boule et la serra dans ses mains. Il se concentra, respirant à fond pour s’empêcher de faire exploser la sphère sous l’effet du stress. Il entendit d’ailleurs quelques explosions et exclamations déçues dans la salle et ne put s’empêcher d’avoir un léger sourire. Il pensa à la couleur rouge de la robe de Lidwine et la boule se nuança légèrement de rose. Grognant de déception, il s’acharna et obtint un rouge vermillon assez satisfaisant. Il lui fut ensuite demandé d’y creuser un trou.

 Il rassembla son énergie et l’envoya en un point précis. La sphère commença à fumer légèrement et Jal, paniqué, transforma sa magie en eau pour éteindre le début d’incendie. Il devait se concentrer mieux que ça, il commençait déjà à fatiguer. Il ferma les yeux, posa les pouces sur la boule et envoya une parcelle de magie tournante entre ses ongles. Cela devrait marcher mieux. Le bois se creusa lentement, il maintint l’effort malgré les gouttes de sueur qui commençaient à lui couler du front. Quand la boule fut entièrement percée, il respira et se laissa tomber sur le dossier de son siège. Ses bras pendaient, vidés de leur force.

 Puis il lui fut demandé de la faire léviter et de l’envoyer vers le mage. Il plaça ses mains dessous, à plat, et poussa avec douceur. La magie brute pouvait facilement être transformée en mouvement. Elle se souleva facilement, légère, fila au-dessus de sa tête, partit dans la mauvaise direction. Il l’arrêta en urgence, et dans la panique, la fit tomber au sol et rouler. Catastrophé par sa maladresse, il sauta de son siège et courut la ramasser sous les regards plus ou moins vindicatifs des autres candidats. S'efforçant de reprendre son calme, il décida de donner une poussée plus douce, plus lente, pour ne pas refaire d'erreurs.

 Elle navigua au-dessus des candidats, se dirigea vers le tableau en balançant légèrement. Il la fixait de toutes ses forces, il savait que s’il brisait le contact visuel, il risquait de complètement dérégler la direction qu'il lui donnait. Il fut alors frôlé par une boule verte qui filait au-dessus de sa tête et alla exploser contre le mur, accompagnée d’un cri de rage. Jal sursauta, mais s’obligea à ne pas quitter sa boule des yeux. Il l’envoya vers le tableau avec un peu trop de force et crut qu’elle allait s’y écraser, mais celui-ci l’absorba avec autant de facilité que s’il avait été fait d’eau et elle y disparut. Il constata qu’il ne pouvait plus la diriger et en conclut que les mages l’avaient récupérée. L’examen était terminé. Il se leva, vacillant, et prit sa tête douloureuse entre des paumes faibles et tremblantes. Une main lui tapa sur l’épaule. Il releva la tête en pensant qu’il s’agissait de Lidwine, mais c’était Vivien.

  • Alors, pas trop de mal ?
  • Crevé, souffla Jal.

 Son cousin était parmi les rares au courant de cette anomalie inédite que portait Jal : utiliser la magie drainait très rapidement ses forces. Pour lui, cette épreuve très simple en termes de puissance avait fait l'effet d'un marathon. Pour cette raison, depuis son enfance, il limitait cette utilisation au maximum.

  • Oui, j’imagine. Tu loges où ? Je te ramène.
  • Non, ça… Bon, merci.
  • Enfin un peu de bon sens. Allez, viens.

 Il prit son cousin sous l’aisselle et le sortit de la salle. Jal se laissa faire, car même si Vivien était un peu hautain et méprisant en paroles, il se révélait toujours dévoué et fiable dans ses actes.

  • Et toi, bien ?
  • Je me suis débrouillé. J’espère que ça leur suffira. J'ai jamais été très doué pour la magie. Et toi, en dehors de ta fatigue chronique, tu as réussi ?
  • Oui, bien, j’y ai mis tout mon talent, qui est immense.

 Le seigneur vorodien ricana.

  • Hum, même dans ton état, tu fais de l’humour, c’est bon signe.
  • C’est pas de l’humour, c’est vrai, protesta Jal à mi-voix, mobilisant toutes ses forces pour rester debout.

 Vivien le tira sur les marches du palais. L’air frais de l’extérieur lui fit un peu de bien, mais affaiblit encore les muscles de ses jambes et son cousin dut le rattraper dans un début de chute. Ils passaient la grille quand Lidwine sortit en courant du palais, se dirigeant vers eux.

  • Seigneur Vivien ! Qu’arrive-t-il à Jal ?

 Elle avait un visage tendu, entre l'inquiétude et le soupçon. L'aspirant messager aurait voulu cacher son infirmité, mais son cousin aîné le doubla.

  • Depuis sa naissance, utiliser la magie l’épuise complètement, pour une raison inconnue. Et cet imbécile, excusez ma franchise, a voulu se présenter quand même. Je le ramène chez lui, ne vous en faites pas, il sera en pleine forme demain.
  • Vous êtes sûr ? Il ne risque rien ?

 Le jeune homme ne savait pas s'il pouvait en conclure qu'elle tenait à lui.

  • Je vous assure, Lidwine, je vais très bien, gargouilla Jal sans réelle conviction.
  • Jal, par toutes les lunes! Pourquoi vous présenter aux épreuves de magie ? Vous auriez dû le signaler à l'inscription !
  • Non, mon cousin trouvait cela déloyal, lâcha Vivien.

 Ce n'était pas la seule raison. Moins honorablement, il craignait qu'on ne lui refuse purement et simplement l'accès au concours.

  • Quelle idée !
  • Merci, dame Lidwine, de votre inquiétude, mais il se remettra vite, je vous assure. J’y veillerai personnellement.
  • Très bien, je vous laisse. Occupez-vous bien de lui, vous en répondrez.

 Jal aurait été ravi si son état le lui avait permis.

  • A demain, messeigneurs…

 Elle jeta un regard inquiet à Jal, puis s’en alla. Vivien assura sa prise sur la ceinture de son cousin.

  • Où tu habites, Jal ?
  • Là… Rue Six-Ponts… non, à côté… la troisième maison…

 Vivien trouva l’endroit malgré les indications plutôt décousues du convalescent. Son hôtesse ouvrit la porte devant les deux jeunes gens.

  • Mais ce jeune homme est ivre ! Je refuse qu’il entre chez moi !
  • Non, je vous en prie, madame ! Il n’est pas ivre, c’est son examen qui l’a épuisé, je dois m’occuper de lui ! Il vous a loué une chambre, vous vous souvenez ?

 Même sur la mégère, le charme de Vivien Bertili opérait.

  • Oui, mais… Vous êtes sûr, hein ?
  • Je vous en prie, regardez son état…

 Elle jeta un regard à l’aspirant messager, puis s’effaça pour les laisser entrer. Vivien porta presque son cousin à l’étage et le déposa sur sa paillasse, où il s’endormit aussitôt que sa tête toucha le drap.

  Jal se réveilla avec un mal de crâne assez violent, se dressa sur ses coudes et jeta un œil par la fenêtre. Le soleil brillait. Il se leva difficilement en se tenant le front, puis chercha à tâtons sa gourde et s’aspergea le visage. Ce fut seulement alors que la raison de sa présence dans un grenier lui revint.

  • L’examen ! Vivien ! La magie ! La cloche !

 Il saisit sa cape et son chapeau, dévala l’escalier, vit mille étoiles mais ne ralentit pas. Il faillit tomber en arrivant dans la salle du bas.

  • Madame ! La première cloche a-t-elle sonné ?
  • Heu… Oui, cela fait longtemps, mais dites…
  • Merci !

 Il fila à toute vitesse vers le château. Le soleil lui parut étrange, et il s’arrêta brusquement en plein milieu de la rue. Le soleil baissait sur l’horizon. On était le soir ! Il avait dû dormir à peine une uchronie. Il rit tout seul et fit demi-tour sous les regards étonnés des passants. Sa logeuse le vit revenir avec des yeux ronds comme des soucoupes.

  • Vous paraissez désorienté, monseigneur. Vous voulez une tisane de morvandelle ?
  • Ce serait fort aimable de votre part, madame. Je vous en remercie.

 Il remonta dans sa chambre, retira ses bottes, sa cape, son manteau, et s’allongea à nouveau sur le dos, en remontant ses bras sous sa tête. Il contempla un temps le plafond, répétant son protocole et ses conjugaisons de luc ancien. Il glissait à nouveau même doucement vers le sommeil quand sa logeuse toqua à la porte. Il bondit sur ses pieds et ouvrit la porte.

  • Vous êtes adorable, madame. Merci infiniment.

 Elle lui tendit une tasse fumante à laquelle il colla ses mains avec ravissement. Elle volta vers l’escalier, mais Jal la rappela.

  • S’il vous plaît, mon cousin, le jeune homme qui m’a ramené tout à l’heure, où est-il ? Je dois le remercier.
  • Oh, le brun ? Il est reparti, en me recommandant de prendre soin de vous. Il va revenir, il allait faire une course. Il ne devrait pas tarder.
  • Bon, merci.

 Il referma la porte tandis qu’elle disparaissait. Il s’accouda à la fenêtre et recommença ses conjugaisons, mais d’autres soucis détournèrent son esprit, en particulier vers Lidwine.

 Sa sécurité le préoccupait, et les réponses de Lénaïc aussi. Si le poison faisait effet après quelques minutes, elle avait dû le recevoir au moment où ils regardaient l’affiche. A ce moment-là, pas besoin de sarbacane, on avait pu le lui injecter directement dans le sang avec une simple aiguille. Il faudrait qu’il lui demande si elle avait ressentie une piqûre. Du coup, cela pouvait être n’importe qui. Il grimaça. Cela ne l’aidait pas vraiment. Du venin de rouanne ? Y avait-il des rouannes dans la région ? Il n’était pas impossible de vaincre une rouanne, mais seulement avec une formation poussée au combat, et sûrement pas seul. Même l'acheter n’était pas à la portée de tout le monde. Il fallait connaître les alchimistes, ou alors disposer de solides sous-fifres. Voilà qui rétrécissait un peu le champ.

 Mais surtout, il ne connaissait pas suffisamment l’histoire et la famille de Lidwine pour savoir qui pouvait lui en vouloir et surtout pourquoi. Il n’oserait jamais lui poser la question, il passerait pour un indiscret. Il ne voulait surtout pas que Lidwine puisse lui reprocher quoi que ce soit. D’où la nécessité d’aller voir Érode au plus tôt. Ce serait peut-être possible dans la soirée, dès que Vivien serait revenu. Il tardait, d’ailleurs…Et il avait vu sa misérable chambre sous les toits, qui sentait la paille et le grain écrasé, avec une lucarne pour toute lumière. Un soupir lui échappa ; il allait sûrement se moquer de lui tout leur séjour.

 Quelle course pouvait bien monopoliser son cousin si longtemps ?  Il faillit partir à sa recherche, mais sa fatigue le retint, et d’autre part il craignait d’interférer dans les affaires privées de son cousin. A force de réfléchir, les uchronies passaient et toujours pas de Vivien. N’y tenant plus, Jal finit par prendre son courage à deux mains, attrapa son chapeau et sa sacoche et quitta la chambre.

 Il redemanda à sa logeuse si elle savait où était allé son cousin, mais elle haussa les épaules en expliquant qu’elle n’en savait rien et disparut dans la cuisine. Il se retint de pester, enfonça son chapeau sur sa tête et partit dans les rues de Lonn. Ses bottes claquaient sur le pavé. Il partait complètement au hasard, donc jetait un œil dans toutes les rues avec inquiétude. Il entra dans une taverne pas trop mal famée.

  • Dites, monsieur ?
  • Seigneur ?
  • Vous n’auriez pas vu passer ici un jeune homme de mon âge, cape verte, cheveux noirs, chapeau à plume blanche ?
  • Pas souvenir, désolé.

 Il quitta la taverne sans s’embarrasser de salutations, pas par impolitesse mais par préoccupation. Il pressa le pas, mais soupira. Ilse décourageait. La ville était immense, il n’avait aucune indication et le soir tombait. Il n’avait aucune chance. Mais si Vivien avait des ennuis ? Il releva la tête, hésitant pour la millième fois à rentrer chez lui, quand ses yeux tombèrent sur l’officine d'Érode. Puisqu’il était là…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Aramandra ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0