Chapitre 45 - Regarde Yannis, c'est un Nasus 2000 !

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Après une bonne heure de course, Yannis arriva essouflé au campement nouvellement monté de la Ferroul Squad : trois tentes de fortune étaient dressées autour d'un radiateur magique portatif, et chacun de ses camarades étaient soit en train de comptabiliser les vivres et objets trouvés, soit ils dressaient des protections magiques autour du shelter, qui ressemblait à un pilier similaire à celui dans le film l'Odyssée de l'Espace, le Monolith. Quand ses camarades le virent, il s'apprêtait à les saluer mais Kara leva sa lance vers lui :

— Arrête-toi là !

Yannis stoppa son approche, les mains levées. Qu'est-ce qu'elle fait ?

— Kara, as-tu perdu l'esprit ? dit Jinn avec colère. Je ne tolérerais pas ce genre de…

— Je suis surprise du fait que tu ne prennes pas cette précaution, chef, le coupa-t-elle, tout en durcissant son regard envers le nouveau venu. Hadrian !

— Qu...Quoi ? balbutia l'intéressé en sursautant.

— Pose-lui une question dont la réponse est connue seulement par toi et Yannis !

— Ok… Euh, Personne-qui-est-assurément-Yannis-mais-qu'on-pense-qu'il-ne-l'est-pas, comment joues-tu ton champion favori dans League of Legends ?

Tout le monde se tourna vers Hadrian avec des yeux ronds, qui se recroquevilla. Yannis soupira. Facile…

— Oh, Harry, que vois-je là-bas ? Mais oui ! mima Yannis avec une voix fluette d'adolescent prépubère. C'est un Nasus-2000 !

Kara se retourna vers le ridicule, en ouvrant la bouche de stupeur, et ce dernier se sentit comme un flamby dans un micro-onde. Cependant, Hadrian confirma l'identité de son ami, et celui-ci put être accueilli au campement, quoique Yannis soupçonnât Kara d'être déçue de ne pas l'avoir démonté. Pourquoi elle me tient responsable de ses propres problèmes ? En cet instant présent, il se demanda si, lorsque l'on pensait que les filles étaient incompréhensibles, une fille dans la même situation aurait pensé la même chose des garçons.

Il commença donc par aider Jinn à placer les dernières protections magiques. Grâce aux enseignements éclairs de Schwarz, Yannis avait pu profiter d'un puits de connaissances immense, comme s'il possédait un Internet dans le cerveau. Surpris par tant d'audace dans ses Runes, Jinn s'apprêtait à le questionner, mais le mage terrien lui fit comprendre d'un regard qu'ils n'en avaient pas le temps. Une fois que tout fut terminé, la Ferroul Squad se rassembla ; il était déjà huit heures du soir, le ciel aussi rouge que les terres de fer.

— Voici la situation, expliqua Jinn en agrandissant son écran holographique. Ugo, malgré son absence impromptue, a tout de même modifié le programme à temps afin de différencier les équipes sur la carte. Ainsi, nous saurons qui forment des alliances ou qui combat. Actuellement, chaque équipe n'a pas bougé de son shelter, mais les choses devraient se pimenter d'ici demain. Sachant que les favoris du Tournoi sont les M.A.C.H.T, ils auraient plus envie de faire des coups d'éclat afin de garder leur position. Donc, d'après mes hypothèses, chaque équipe devrait combattre l'équipe en-dessous en premier lieu, afin de ne pas trop se fatiguer. Par exemple, M.A.C.H.T attaquerait les Scaravenger, puisqu'ils sont moins forts. Ainsi, nous devrions nous attendre à affronter les Bkrraa au plus tôt.

— On doit s'attendre à quoi ? demanda Solis Junior, tout en se curant le nez, mais fut stoppé dans son entreprise via un splendide coup de pied de Pythie sur son postérieur. Aïe ! Mais ça va pas ?

— Tu veux mon doigt ?

— Calmez-vous, tous les deux, leur ordonna le chef d'équipe. On doit rester soudé si on veut gagner cette épreuve (Solis bouda mais Pythie resta attentive). Bien. Pour répondre à ta question, les Bkrraa sont des mages spécialisés dans les sorts d'illusion et de fuite.

— C'est des ninjas, quoi ! intervint Ludwig en souriant.

— Certes, oui… Vous m'expliquerez ce terme plus tard. En attendant (Jinn ferma son écran holographique), je vous interdis à chacun d'entre vous de sortir seul de la barrière. En cas d'attaque surprise, il faut être préparé. Les protections devraient tenir au moins jusqu'au matin, alors ceux qui ont une petite envie, c'est maintenant ou jamais !

Comme personne ne répondit, Jinn poursuivit :

– Maintenant que je vous ai informé de tout ça, il faut réfléchir à un plan de réplique, car nous sommes la seule équipe qui ne possède pas 100 % de magiciens (Ludwig, Hadrian et Edward se renfrognèrent). Ne vous inquiétez-pas, s'excusa Jinn en souriant. Le fait que vous ne soyez pas magiciens nous confère un énorme avantage, en plus du G.P.S : les autres participants vont vous prendre à la légère, et ce sera leur ultime erreur. Cela dit ! Si mes prévisions sont exactes, et je l'espère en tout cas, nous affronterons des mages qui préfèrent se cacher et attaquer par surprise. Il faut alors les amener sur un terrain vague, où leur magie sera peu efficace. J'en ai donc trouvé un, à quelques centaines de mètres d'ici, qui sera parfait. Pendant que Kara, Pythie, Edward défendront le shelter, les autres et moi iront sur ce terrain vague pour provoquer et ameuter les Bkrraa. Solis ! Tu t'occuperas de les aveugler avec une Rune de Lumière Indivisible. Ludwig, tu utiliseras ensuite la relique qu'on t'a confié pour les immobiliser, tandis qu'Hadrian, Yannis et moi-même, nous les terminerons à l'épée. Les armes qu'on nous a confié ne sont pas mortelles, alors ne lésinez pas sur les coups !

Quand tout le monde comprit les ordres après quelques questions supplémentaires, la nuit était déjà tombée. Le premier tour de garde incombant bien sûr au chef du groupe, Jinn commença sa veillée. Cependant, il avait demandé à Yannis de rester. Le campement endormi, il s'assit à côté de son chef, et celui-ci prit la parole avec un ton de tous les jours :

— Alors comme ça, on a des problèmes de cœur ?

Yannis fut si surpris qu'il manqua de tomber à la renverse. Il regarda Jinn avec un air confus.

— Je… Quoi ?

— Voyons… Je suis le chef de ce groupe, je te rappelle. Rien n'échappe à mon regard… (Voyant que Yannis lui en jetait un circonspect, il lâcha un petit rire) Oui, j'imagine que c'est un peu gros comme raison. C'est Edward qui m'a demandé de t'en parler. Je suis épaté de sa capacité à deviner de telles choses ; moi-même, je n'y ai vu que du feu.

— Alors ce sale con a vendu la mèche…

— « Vendu » ? Il fallait déjà que tu lui eusses proposé de ne pas le faire. Or, tu as fui le problème comme le dernier des lâches, en pensant que tout se réglerait tout seul.

— Quoi ? Mais si une fille, ou un garçon ou je ne sais quoi ne veux plus sortir avec moi, je dois respecter son choix !

— Je suis tout à fait d'accord avec toi. Mais tu ne prends le problème que par un seul des deux bouts : ce que tu veux toi a autant d'importance que ce qu'elle veut, elle. C'est ça l'égalité, et j'imagine que tu penses que lâcher le morceau aussi abruptement te conforte dans ce sentiment, n'est-ce pas ?

—…Techniquement, c'est le cas, mais dans l'absolu… Je peux pas juste lui demander de rediscuter, ça nous ferait trop de mal à tous les deux.

— C'est en effet le cas : votre situation est assez courante par chez nous, si on n'exclut le fait que tu sois originaire de la Terre. La plupart des grandes familles mourniennes souhaitent que leurs enfants se marient avec un bon parti pour en tirer le meilleur profit possible : puissance magique, politique et hégémonie culturelle, tout y passe. Les jeunes d'aujourd'hui sont sous le joug de leurs parents, quoi qu'en disent les idéaux de l'Académie. À part hors de l'Empire, on ne choisit pas son destin, on le subit. Nous le rappeler ne fait que rouvrir une blessure à peine refermée.

Yannis avait l'impression que Jinn parlait plus pour lui-même qu'à lui.

— Si ça peut te consoler… Sur Terre, nos parents ne « décident » pas pour nous, sauf dans le pire des cas. Ils nous accompagnent juste dans notre vie afin que l'on soit le plus complet possible. Peut-être qu'un jour, Mourn aussi connaîtra la libération des jeunes !

Nahash Dabab Derowr… Espérons que ce jour arrive plus tôt que prévu… Mais revenons à nos poowat : vas-tu lui en parler ?

— De quoi ? lança innocemment Yannis.

— De ce que tu peux tenter pour elle.

Il s'apprêtait à répliquer mais son chef avait l'air d'être perdu dans ses pensées. Convaincu qu'il ne dirait plus rien, Yannis attendit en regardant les étoiles d'un ciel qu'il ne connaissait pas. Quand Jinn partit se coucher, Yannis s'étira et baîlla, le sommeil tentant de l’emmitoufler dans sa moelleuse délivrance. Il s'ébroua.

Prêt ?

— Oui, affirma-il à Schwarz.

Il ferma ses paupières et se concentra, comme lorsqu'il activait le Déphasage. Cette fois, par contre, il ne toucha pas sa magie. À la place, il détendit son esprit, et sentit comme un liquide visqueux qui s'écoulait hors de lui-même. Il ouvrit les yeux.

Devant lui se trouvait une silhouette assise en accroupi-tailleur. Formée d'une sorte de vent liquide sombre, volutes de gaz solides s'échappaient paresseusement de la forme humanoïde. Les ténèbres n'avaient qu'un seul détail à la fois frappant et déroutant : deux yeux fixes, vides et blancs, qui semblaient regarder au-delà de toute chose. Même si Yannis savait que c'était l'apparence spectrale de Schwarz, il ne put s'empêcher de reculer.

Un sourire pleines de dents enneigées apparut sur le visage auparavant inexpressif de l'être qui vivait en lui. Soudain, sans que la bouche bouge, une voix sortit du corps vaporeux :

— Haaa ! Que c'est bon d'être de retour dans le plan mortel !

— Chut ! Pas si fort… Les autres dorment, mais sont sur le qui-vive ; si jamais ils se réveillent et te voient.

— Ne t'inquiète pas, le taquina Schwarz. Seul celui qui conjure le sortilège peut me voir. Par contre (et Schwarz souleva un caillou, qu'il fit danser entre ses doigts), je peux interagir avec le monde physique. Pour l'instant, tu m'as doté de l'ouïe et du toucher. Mais il me manque la vue, l'odorat et le goût !

— Excuse-moi…

— Mais ne t'excuse point ! Il n'y a guère de mal à avoir des difficultés à lancer un sortilège d'invocation métapsychique à ton âge ! C'est déjà formidable que tu ai réussi à me matérialiser, et encore plus si tu m'as doté de déjà 2 sens sur 5.

— Ah ? Bah, euh… Merci ?

— Mais de rien ! C'est rafraîchissant de voir que les jeunes talents magiques ne sont pas tous mourniens… Enfin ! Si tu m'as convoqué ce soir, c'est que j'imagine que tu as besoin d'aide… Qu'est-ce ? Une formule ? Une tactique antique légendaire ? Un manuel d'utilisation de…

— Stop, stop ! Arrête de parler !

Malgré le sourire de son colocataire animique, Schwarz obéit. Yannis soupira.

— Est-ce que tu as des conseils à me donner à propos de… Des…

— Hmm ? Pourquoi sens-je une drôle d'émotion en toi ? Qu'est-ce que c'est ? On dirait un mélange de honte, de culpabilité, de doute, et… Oh ! Un soupçon de colère, aussi…

— Arrête de me psychanalyser ! Bon… T'as des conseils à me donner en matière de filles ?

Il y eut un silence gênant, dans lequel Schwarz s'immobilisa autant physiquement que phonétiquement. Puis, un rire grinça hors de sa « cage » thoracique, qui se transforma rapidement en gausse libérée de toute entrave. Yannis l'intima au silence, et Schwarz sembla imiter un reniflement narquois.

— Qu'entends-je ? L'homme qui possède la source de savoir la plus proliférante de Mourn, voire au-delà, qui a le pouvoir de changer le monde, les gens, les temps, de fendre vents et marées au gré des tempêtes, et même d'asservir le Grand Serpent lui-même ! Celui-là possède toute la puissance dont chacun n'aurait jamais pu rêver, et il me demande comment s'en sortir avec les femmes ? Quelle rodomontade !

— Oui, bon, ça va… Tu vas m'aider, ou j'annule le sort ?

— Ha ! Devant de telles menaces, je ne peux que me plier… Déjà, pose-moi une question qui ait du sens.

— Hein ? Mais je te demande comment s'en sortir avec…

— Oui, oui, le coupa Schwarz. Je ne faisais que te taquiner. (Yannis lui lança un regard mauvais) Comment s'en sortir avec les femmes ? Et qu'est-ce qui te dit que j'ai une quelconque expérience avec ces si délicieuses créatures ?

— Le fait que tu dises « délicieuses » en dit déjà long…

— Touché ! ricana la voix intra-thoracique. Il est vrai que j'ai des souvenirs à propos de mes conquêtes… Lesquelles veux-tu en entendre le récit ?

— Abrège, j'ai pas toute la nuit. T'as pas un conseil global par rapport à toutes tes expériences passées ?

— Hmm…

Schwarz sembla réfléchir pendant quelques instants, son sourire figé tourné vers le ciel, comme s'il espérait voir les étoiles grâce à ses dents. Soudain, il claqua des doigts.

— J'ai trouvé ! Mais souhaites-tu entendre une terrible vérité qui pourrait te bouleverser dans tes plus profondes…

— Mais tu sais pas quand t'arrêter ? s'exclama Yannis, avant de se rendre compte qu'il commençait lui-même à parler trop fort. Il chuchota : Alors, crache le morceau !

— Le secret dans une relation, c'est le juste recul.

Yannis regarda son colocataire mental au sourire agaçant avec un air ahuri.

— C'est tout ?

— Oui. C'est tout. Il ne faut pas foncer comme un bœuf, au risque de tout faire capoter, mais il ne faut pas non plus s'évertuer à laisser la personne aussi libre que possible. Les gens pensent que l'amour est une belle chose, qui permet l'épanouissement et l'accomplissement de soi. Cependant, l'amour est une prison dorée pour chacun des partis. Et chacun d'eux a la clé de l'autre prison. L'important, c'est savoir si ouvrir la cage de l'autre est une bonne option.

— C'est un peu comme de la confiance, en fait.

— Il y a de ça, en effet. Mais le recul est ici une condition nécessaire et suffisante : tu ne peux pas… non, tu ne dois pas t'engager si tu es incapable de voir ce qui pourrait aboutir de ta relation avec cette potentielle « âme sœur ». Laisse-moi te donner un conseil, bien qu'il vienne de mon vécu personnel : il y a deux sortes d'amour, le premier est celui qui nous attrape et nous enlace immédiatement. Il est très simple à attraper, mais très difficile à garder. Le second, en revanche, c'est quand on se consume pour l'autre, pour rester à ses côtés, car nous sommes tous les soleils rugissants brûlant d'ardeur, pour s'éteindre lentement devant nos planètes calcinés. Cet amour là, il est extrêmement complexe à comprendre et à construire, mais une fois cela fait, il devient facile d'entretenir la flamme.

Sur ces mots, Schwarz se tut, et Yannis crût sentir… Non, il ne savait pas si cela venait de lui. Il soupira. L'amour est d'autant plus lourd pour ceux qui ne le ressentent plus.

— Tu m'aideras, demain ?

— Bien sûr, s'amusa le spectre souriant. Il faut « payer le loyer », n'est-ce pas ?

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