Chapitre 38 - Les couleurs de ce monde rendent notre solitude plus supportable.

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Yannis regardait les feux d'artifices depuis déjà plusieurs minutes, mais il avait l'impression que cela faisait des heures qu'il le faisait. Les couleurs avaient noirci, pâli, étaient plus grises. Sa vue se brouilla ; il tenta de chasser les larmes qui naissaient dans ses yeux en serrant la main de Kara. Il ne prit qu'une poignée de vide. Ce même vide qui enflait déjà en son cœur. Il serra son poing et frappa le sol, de rage...

Le monde ne prête pas attention aux malheurs des hommes, et reste silencieux...

 Yannis baissa la tête : il avait tant donné, tant à offrir encore. Pourtant, le destin s'acharnait encore sur lui. Pourquoi je dois toujours subir la douleur au pire moment ? Ses jointures blanchirent, et il frappa plus fort le sol. Il se mit à genoux, face contre-terre, et martela.

— Pourquoi…

La colère qu'il ressentait se transforma en rage. Frapper lui faisait un bien fou. Il éclata de rire et commença à creuser violemment, espérant former un trou assez grand pour s'enterrer. Comment avait-il pu être aussi bête ? Comment n'avait-il pas pu prévoir que Kara allait le quitter ? Il n'avait pas… il n'était pas assez fort pour cela, pas encore. Les blessures du cœur faisaient beaucoup plus de mal que celles du corps. Une griffe ardente lui déchirait l'intérieur, le rongeait si brutalement qu'il vomit.

— Pourquoi… Pourquoi…

La rage devint souffrance. Il frappait encore. Il se mit à saigner.

— Pourquoi, pourquoi, pourquoi…

Il n'y avait pas de réponse. Il n'y avait pas d'excuse ou d'explications. Il n'y avait même pas de solution, parce qu'à la base, il n'y avait pas eu de question. La cruauté de cette situation lui arracha un torrent de larmes et de morve. Il était brisé et pathétique, nu de toute force, de tout courage. Il s'était pourtant bien dit que la chute serait aussi lourde que son ressenti était fort. Malheureusement, la vitesse de montée avait difformé son champ de vision. Il n'avait vu que le ciel, et oublié la terre.

— … pourquoi… POURQUOI !!?

Il donna un coup si fort qu'il eut l'impression d'entendre le cri de la terre. Mais c'était juste le son de ses phalanges qui s'étaient broyées sous le choc. Avec sa main en piteuse état, il eu le réflexe d'activer le Déphasage. Il tendit son esprit vers la magie, et… rien. Il n'arrivait plus à faire de la magie.

Il renifla, s'essuya le nez avec sa manche et regarda les passants s'amuser : des pères avec leurs filles, des mères avec leurs fils, des couples en tout genre, des amis réunis, des familles unies… Chacun d'entre eux lui assénait un coup de poignard de plus. Il s'apprêtait à partir d'ici quand il entendit une voix parler :

— Vous allez bien ?

Yannis tourna la tête, et vit une jeune fille en robe de mage ; une étudiante, peut-être ? Elle devait avoir son âge (terrien) environ. Ses cheveux étaient argentés, chose étonnante, vu qu'elle était plutôt jeune. Vu sa peau d'albâtre, il s'attendait donc à une forme mournienne d'albinisme, mais dès qu'il croisa son regard, il tomba sur deux gemmes d'améthyste pur, un regard au parfum de violette. Les yeux de la jeune fille brillaient d'une lueur surnaturelle, à moins que ce ne soit juste le reflet des feux d'artifices dans ses yeux. Cette personne lui semblait familière… Yannis se ressaisit, et dit d'une voix qu'il voulu ferme :

— Oui, merci, ne vous inquiétez pas pour moi…

Mais sa voix avait déraillé à la fin, et il sentit une larme dévaler sur sa joue. Il tourna son visage pour la cacher à la vue de la jeune fille, qui allait sûrement s'en aller pour ne pas être embêtée par lui, mais, à la place, elle s'assit à ses côtés. Cela le surprit, il sursauta. Il la vit lâcher un sourire triste, mais elle ne le regardait pas. À la place, elle observait d'un œil attentif un jeune couple qui s'embrassait.

— Hmm…On croirait qu'ils pourraient s'aimer jusqu'à la fin des temps… Elle lâcha un soupir d'envie, et se tourna vers Yannis : Vous aussi, vous êtes amoureux ?

— Oui, répondit-il douloureusement. L'amour fou. Les câlins, les rendez-vous… La totale, vous voyez…

— Hmm… Vous semblez être très sûr de vous. Pensez vous que cela va durer ?

Yannis se tourna une nouvelle fois vers la fille, étonné par cette question. Mais elle regardait toujours les couples défilants.

— Heu… Oui, sans aucun doute !

— Hmm… Y croire, c'est déjà ça… Mais faire les efforts pour y arriver, c'est une toute autre histoire.

Yannis sentit son cœur se serrer. Ce que disait l'inconnue coïncidait avec sa situation : s'il avait été plus attentif, plus prévenant, il aurait peut être eu une chance de tout éviter, de régler le problème. Mais c'était tout lui, après tout : il savait que le problème était là, il savait quand il allait lui faire mal, il savait comment le régler, mais il l'ignorait toujours, faisant comme si de rien n'était.

— Vous pensez, heu… Comment vous appelez vous, au fait ?

— Laura. Enchantée. Et vous ?

— Yannis. Vous portez un joli nom.

— Merci. Et votre question ?

— Ah oui ! Heu… Pensez-vous que… heu… Que les choses sont plus faciles à vivre si on les laisse tomber plus tôt ?

— Vous voulez dire : Est-ce que on souffre moins si on laisse tomber les gens plus tôt ?

— Ah heu… Vous avez compris le fond de ma pensée…

Laura ferma les yeux, semblant réfléchir quelques instants. Puis elle répondit :

— Je ne pense pas que le douleur vienne de la perte en soi, mais plutôt du fait de s'y accrocher.

— Comment ça ?

— Eh bien, c'est comme une flèche : une fois plantée, ça fait mal, et quand on la retire, ça fait mal. Entre ces deux moments, vous vous sentez quand même mieux parce que vous vous êtes habitué à la douleur.

— Et donc ? Répliqua sèchement Yannis. Où est-ce que vous voulez en venir avec cette douleur d'accrochage ?

— J'y viens ; une fois que vous avez retiré la flèche, que se passe-t-il à votre avis ?

— La plaie… cicatrise ?

— Hmm… Oui, elle peut… Mais ça dépend de votre état d'esprit, de votre détermination. Et même après qu'elle soit guérie, elle peut encore vous faire du mal, parce que vous n'avez toujours pas accepté le fait que c'est terminé : la blessure est toujours là, mais plus physiquement.

— Je… vois.

— Et c'est bien plus dur quand on reçoit une blessure sentimentale.

Yannis serra ses poings ; il avait déjà compris, mais il demanda :

— En quoi ?

— Celles-ci ne guérissent jamais, répondit avec sagesse Laura en agitant son doigt, comme si elle donnait un cours. Elles restent et purulent si on les laisse s'emparer de nous. Elles ne peuvent pas nous empêcher d'aller de l'avant, sauf si nous les laissons faire.

— Et qu'est-ce que vous me conseillez de faire, dans ce cas ?

— Prenez un instant pour regarder le ciel, respirez un bon coup et écoutez les battements de votre cœur.

Il suivit ses conseils. Il leva les yeux vers les étoiles, désormais découvertes après le feu d'artifice. Il respira un bon coup, et sentit le poids sur ses épaules comme dans son coeur s'enlever, un peu. Il sourit faiblement, et se tourna vers Laura pour la remercier, mais elle n'était plus là.

Il était seul, mais sa solitude était plus supportable.

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