Chapitre 36 - Je veux qu'on arrête.

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Le ciel, envahi par des vagues de feu chatoyantes, inondait de lumière le monde mournien. La lumière atteignit un visage, qui, sous le spectacle pyrotechnique, éblouit ses yeux couleur chocolat. Quand ils furent habitués à la combustion fantasmagorique, ils s'ouvrirent : on aurait dit que, derrière la couleur sobre de la noisette timide, un vert de jeune feuille de printemps éclairait quelques lignes ocres et azur, sur un lait de nuages. Les yeux pétillaient bien sous ce festival des étoiles, enluminés par le plaisir de voir, simplement, les couleurs libres de ce monde.

Yannis, le sourire au lèvres, gravit la butte qui surplombait les stands installés pour le Festival du Grand Serpent. Il s'arrêta quelques instants pour contempler la voûte céleste, qu'on voyait très clairement malgré les feux d'artifice. Il compta 14 987 étoiles dans son champ de vision, et sûrement d'autres objets pouvaient être vus avec un peu de concentration. Il soupira de bonheur et finit par atteindre le sommet.

Là l'attendait Kara, assit sur une natte. Elle avait troqué sa coiffure lisse pour un chignon qui découvrait son splendide visage. Yannis ne comprenait pas pourquoi il parlait d'elle par « elle ». Peut-être était-ce plus simple comme ça. Il s'assit à côté d'elle, elle sourit, et il déposa un baiser sur sa bouche.

— Pour quoi était-ce ? Demanda-t-elle, sans pour autant montrer un signe de refus.

— Célébrer ta beauté, ton existence qui illumine mon monde comme ces feux illuminent le leur, répondit Yannis en présentant les feux d'artifice.

— Tu te prends pour un poète ? Kara sourit.

— J'imagine… Chez moi sur ma… Sur Terre… Il y a un homme qui porte le même prénom que moi, et c'est un poète de renom.

— Vraiment ? J'aime bien la poésie, en fait.

— Ah oui ?

— Oui, grand nigaud ! Kara resta silencieuse quelques instants, contemplant non pas les feux d'artifices, mais les gens qui les admirait. Mais elle sembla remarquer que Yannis était pendu à ses lèvres en attendant une explication, ce qui lui fit répondre :

— J'ai toujours apprécié la poésie, non pas pour sa beauté ou son intelligence, mais par les émotions qu'elle prodigue sans contact physique ou psychique… Ce qui, chez moi, n'est pas très facile à appréhender… Ni à… Accepter.

— Ils n'aiment pas la poésie, par chez toi ?

— « Par chez moi »… Humpf… Tu parles comme si c'était un pays de barbares arriérés…

— Je… Quoi ? Non ! Je… Je ne voulais pas te…

— Vexer ? Ne t'inquiète pas pour ça, je n'en ai plus rien à faire. Ma famille n'a pas vraiment ce qu'on appelle l'« esprit ouvert ».

— Je suis vraiment désolé pour toi et ta famille. Sincèrement.

— Non ! Ne te mets pas un poids inutile sur le cœur. Garde de la force pour des choses plus importantes que cela…

— Comme quoi ? Yannis se rapprocha d'elle, passa son bras droit autour de son épaule, et pris de sa main gauche la main droite de son âme sœur. Il plongea son regard dans le sien, mais, au lieu d'y lire de l'amour et de la joie, il y lu de la souffrance et du regret.

Et elle le repoussa. Doucement, certes, mais même la douceur ne put taire la vague de rejet qui noya son cœur. Elle avait le visage fermé, mais ses lèvres pincées indiquaient bien qu'elle n'était pas d'accord avec quelque chose.

— C'est de ma faute, n'est-ce pas ? Yannis baissa sa tête, ramena ses genoux vers lui pour les enfermer avec ses bras. Je ne suis pas assez bon pour toi ? Je suis trop impatient, pas assez respectueux ? Suis-je trop…

— NON !!! Tais-toi ! Arrête ce numéro de martyre que tu apprécies tant ! Ne rends pas les choses plus difficiles parce que tu penses que tu n'en vaux pas la peine ! Non seulement, cria Kara devant un Yannis médusé par cette violente réaction, alors que tu es quelqu'un de formidable, tu te complais dans l'auto-flagellation, mais en plus tu me fais culpabiliser ?! Je ne veux pas que tu te dises que c'est de ta faute ! Ce serait plutôt de ma faute !

— Mais… Mais pourquoi ce serait de ta faute ?

— Parce que mes parents refusent que je reste avec toi !!!

Yannis se pétrifia sur place ; il n'avait pas imaginé que les mariages arrangés étaient aussi une tradition autant mournienne que terrestre. Pourtant, il était convaincu que cette civilisation était plus avancée que cela… Mais, de toute évidence, tout le monde n'avait pas sur Mourn un tel engouement pour la liberté. Cependant, ça n'était point la colère qui était de train de le brûler ; Non, c'était plutôt une sensation de vide qui l'emplissait peu à peu.

— Comment va-t-on faire, dans ce cas ?

— On ne va rien faire du tout, Yannis…

— Quoi ?! Mais nous… Tu… Ne puis-je pas demander à rencontrer tes parents pour en discuter ?

— Yannis, ils ont été catégoriques : je cesse ces histoires de jeune fille, et je deviens une femme en me mariant à une autre famille puissante. C'est simple à comprendre, pourtant !

 Mais elle semblait terrifiée, n'osant même pas regarder en face son petit ami.

— C'est tout sauf simple, même toi tu n'es pas d'accord avec ça ! Et ne me contredis pas, je te comprends mieux que quiconque sur cette planète !

— Alors dans ce cas, tu dois comprendre la suite des événements…

— Non…

— Je suis vraiment désolé, Yannis, mais on doit le faire…

— S'il te plaît, Kara… Insulte-moi, frappe-moi… Tue moi si tu veux, mais ne me dis pas ça…

— Tu sais bien que je serais incapable de te faire le moindre mal…

— Ce que tu t'apprêtes à faire est bien pire que ça ! Ne t'avise pas de…

— Yannis, je veux qu'on arrête.

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