Chapitre 34 - Pourquoi j'ai toujours mon putain de nombril ?

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 Yannis éternua.

Tiens, pensa-t-il, Quelqu'un parle de moi… Il se demandait bien comment il aurait pu attraper froid, après l'épisode du volcan. Qui sait, peut-être avait-il développé une allergie ? Il y avait tellement de plantes et d'arbres extra-terrestres, ça aurait pu jouer en faveur. Il se frotta le nez contre sa manche, et entreprit de gravir les longs escaliers menant au bureau du directeur. Ce dernier l'avait convoqué directement après son retour de la mission "Barakabama", et Yannis ne savait pas pourquoi il s'était fait quérir. Tout ce qu'il voulait, c'était concourir au Tournoi des Rois-Mages, remporter ce passe-partout magique et retrouver le reste de la classe, afin de repartir sur Terre.

Mais maintenant, il se demandait ce qu'il ferait une fois tout cela achevé : en rentrant sur Terre, les mages seraient-ils dans l'obligation de lui effacer la mémoire, l'empêchant d'utiliser toute magie ? Serait-il autorisé à rester sur Terre, mais, tel un Harry Potter bien sage, sans usage de la magie ? Devrait-il rester sur Mourn ? Et plus il réfléchissait à cela, plus il voyait des options se profiler. La plus avantageuse pour lui, ce serait d'être autorisé à utiliser sa magie sur Terre et ses autres capacités, en devenant… Eh bien, une sorte de scientifique le jour, super-héros la nuit ! Ou, comme Flash, scientifique le jour et super-héros le jour ! (Parce que Yannis aimait bien dormir la nuit, quand même…)

C'est avec un sourire que Yannis pénétra dans le bureau du Directeur de l'Académie du Typhus. Bartavius Lenistoler, fidèle à sa réputation, s'amusait à chanter une comptine pour enfants, en langue magicienne ancienne, tout en lisant un livre. Il avait laissé sa paperasse à la merci de son arsenal administratif enchanté, qui s'efforçait de remplir les formulaires en suivant les fantaisies de leur maître.

Le voir de si bonne humeur conforta Yannis, et, confiant, celui-ci s'avança. Immédiatement (ou alors il avait un bon système d'alarme), M. Lenistoler sortit de son ouvrage, et sourit quand il vit Yannis. Un sourire désarmant et qui aurait pu passer pour presque charmant, si Yannis n'était pas aussi stressé par son regard déstabilisant.

— Alors ? Dit soudain Yannis pour briser le silence. Pourquoi vouliez-vous me voir, monsieur ?

— Hmm ? Il semblait encore dans les nuages… Souffre-t-il d'un déficit de l'attention ou quoi ? Ah oui ! Bartavius darda son regard pénétrant sur Yannis, qui se sentit comme à nu. Je voulais te poser quelques questions sur toi.

— Sur moi, monsieur, ou sur mon passé ?

— N'est-ce pas finalement la même chose, jeune homme ?

— Je ne suis pas de cet avis, répondit Yannis en secouant la tête. Je pense qu'il ne faut pas rester ancré dans le passé…

— Mais ?

— Mais je pense qu'on ne peut pas l'oublier, tout de même. Il fait partie de nous, mais ne nous définit pas entièrement. Nous sommes pas ce que ce que nous étions, mais nous sommes ce que nous sommes, ni plus, ni moins.

— Une bien belle tautologie, mais, pour moi, c'est du pipeau : commets un acte impardonnable dans ta vie, et tu ne seras plus jamais capable de revenir en arrière. Ça te hantera à jamais, et ça modifiera tes choix futurs. Voilà pourquoi ton passé, c'est toi, finit le directeur avant de se redresser sur son bureau et de placer ses mains sous son menton. Parlons un peu de toi. D'où viens-tu ?

— De Conilhac-Corbières. C'est un petit village dans le Sud de la France, pays que vous connaissez déjà, je suppose ?

— Effectivement, je m'y suis déjà attardé auparavant… Bartavius invita Yannis à s'asseoir sur un fauteuil. Dis-moi, quand as-tu découvert que tu possédais des capacités magiques ?

— En arrivant ici, répondit Yannis en haussant ses épaules tout en s'asseyant. Ça m'est tombé dessus, et je m'en suis rendu compte lors de mon combat contre Le Commandant de la Garde.

— Vraiment ? Pas avant ?

Yannis ferma son visage, ne laissant aucune émotion y couler. Bien sûr que non, ça n'était pas la première fois qu'il avait expérimenté ça. La première, c'était plutôt ce matin où il s'était réveillé dans la masure de la Baleine Bleue. Là, tout avait commencé à être bizarre, et, depuis, il s'y était habitué. Le seul événement vraiment « magique » qu'il avait pu expérimenté, c'était la traversée de la brume mortelle qui avait tué Seyfaddin. En y allant, il avait trouvé une sorte de perle qui était, d'après ses hypothèses, une sorte de batterie magique, même s'il n'avait toujours pas réussi à l'exploiter malgré les sortilèges qu'il lui avait lancé (il n'en maîtrisait pas assez, en tout cas).

Yannis se racla la gorge et répondit d'une voix ennuyée :

— Du plus loin que je m'en souviennes, c'était effectivement la première fois.

— Ah… Mais qu'en est-il de tes parents ? Ont-ils des capacités hors-normes ?

— Ma mère peut tirer les vers du nez à n'importe qui, et ses coups de tête sont à éviter. Quand à mon père, je ne sais pas trop… Je ne l'ai jamais vraiment connu, mais je le soupçonne d'être Mage.

— D'où te vient cette supposition ?

— D'après ma mère, c'était quelqu'un qui trempait dans des mauvais coups et qui attirait plus d'ennuis aux autres qu'à lui-même.

— Hmm… J'ai une autre question.

— Oui ?

— Connaîtrais-tu un certain Laurent Hencherick, par hasard ?

— Non, pourquoi ? C'était un Mage dans ma région ?

— Dans ton village, pour être plus exact, répondit Bartavius en frottant sa fine barbe corbin, l'air pensif. Il séjournait là-bas pour accomplir des travaux d'une importance peu capitale pour l'Empire.

— Il était exclu du système, quoi…

— Oui… Et non. Il a choisi lui-même son pseudo-ermitage, préférant la compagnie des humains à celle de ses semblables.

— Il ressemblait à quoi ?

— Grand, roux, pas de tâche de son, l'air distingué. Il était très poli, courtois, et savait écouter et dire les bons mots, aux bons moments. Rares sont ceux, qui, comme lui, était aussi assidus en classe alors qu'il avait largement les capacités de réussir sans efforts. Ah oui, il était très ami avec M. Parmini et Mlle. Ophilian.

Tout le contraire de moi, en somme… Et, quoi d'autre pouvez-vous me dire sur lui ?

— Il t'intéresse tant que ça ? Eh bien, ça me fait plaisir…

Il se leva, et s'approcha d'une vitrine exposant diverses photographies et trophées. Il fit signe à Yannis de le rejoindre, ce dernier s'exécuta. La plupart des photos représentaient des groupes d'élèves souriants, un diplôme à la main. Chaque photo était attitrée d'une légende : Diplôme de Théoricien Magique, Diplôme de Thaumaturgie Appliquée, Diplôme de Théologie Reptilienne, Diplôme des Runes et Glyphes Supérieures, Diplôme d'Arithmonmancie Appliquée… Ses photos dataient d'il y a plusieurs décennies, mais, pour les mages, ça semblait être quelques années.

Le plus étonnant, à part la profusion de diplômes présentés, c'était que Laurent était présent sur toutes les photos. Celui-ci, en revanche, ne souriait que lorsque qu'il était en présence d'Éléanora ou d'Archibald. Sinon, il affichait une mine un peu déçue.

— C'est drôle, n'est-ce pas ? Yannis se tourna vers le directeur, dont le regard était empli de fierté. Il n'était jamais vraiment content de ses diplômes, comme si ça n'était pas une réussite pour lui. Je lui ai donc conseillé de lui faire faire passer un glaphsme.

— Un quoi ?

— C'est l'équivalent de votre thèse, sur Terre, et Laurent a relevé le défi haut-la-main : il a terminé ce projet en 3 mois, puis, aussitôt fini, il en commençait un autre, comme s'il savait d'avance que le jury allait accepter son travail.

— Et c'était le cas ?

— Au début, le Corps Universitaire était très réticent : « Comment un tel gamin peut-il prétendre à la Recherche Magique alors qu'il vit encore sous tutelle ? », « Qu'en est-il de l'honneur des anciens ? Du respect de l'expérience ? » ou encore celle-ci qui a été particulièrement virulente « Peut-être que M. Hencherick devrait s'en retourner à ses champs et cultiver la terre, car il est clair qu'il ne prend pas au sérieux le travail d'un chercheur qui demande du temps et de la réflexion, chose qu'il ne semble pas posséder ! »

— Il était fils d'agriculteur ?

— Oui, répondit le directeur en souriant tristement, et ça ne l'a pas empêché d'être le plus grand scientifique de notre ère, voire de tous les temps. La donne a changé une fois que le premier de ses travaux, et le plus célèbre, Théorie des Ponts Dimensionnels à Travers une Approche Hyper-Harmonique, a été notée par le Corps. Ils étaient tous estomaqués, mais n'ont pas fait d'excuses publiques, comme si rien ne s'était passé. La communauté scientifique de Mourn a protesté, a demandé que les honneurs lui soient remis, mais Laurent, humble comme il l'était, a publiquement dit que le travail d'un scientifique, c'était avant tout un travail pour faire avancer le monde, et non recevoir des récompenses.

— Et j'imagine que ses partisans ont encore plus voulu les lui remettre après ce discours.

— Bien vu. Sous la pression du corps social, Laurent ne put refuser, surtout parce que ses autres travaux étaient passés sous les yeux des juges et, comme tu peux t'en douter, tous décrétés parfaitement exécutés. La cérémonie a été magnifique, je voyais ses parents pleurer de joie quand ils ont vu leur fils, à la mine bienveillante, s'adresser à toute l'assemblée pour les remercier de leur soutien et les encourager à continuer sur cette voie, quels que soient les obstacles. Ça a engrangé une nouvelle génération de futurs chercheurs, les nouvelles ne parlaient que de lui. Philanthrope, socialiste, anti-raciste, écologue. Il avait, à lui-seul, fait bondir de plusieurs siècles notre avancée technologique et notre façon de voir le monde.

— D'où l'absurdité de la chose : il s'est barré...

— Oui ! Le directeur avait les yeux pétillants. Tu as compris le problème. Laurent avait cette sensation de malaise en lui, et il me l'avait confié lors de nos nombreuses balades. Je lui ai donc conseillé de prendre des vacances sur Terre, à l'abri des médias et autre groupies, pour prendre du recul sur sa vie et savoir ce qu'il voulait faire ensuite. À mon plus grand étonnement, il n'a pas rechigné et est tout de suite parti.

— Il est arrivé quand, sur Terre ?

— Il y a environ 3000 ans, en comptant par rapport à votre référentiel temporel. C'est notamment grâce à lui que l'humanité a pu autant progressé.

— Vous voulez dire que, sans lui, ils ne seraient pas aussi développés ? Yannis haussa un sourcil, sceptique.

— Non, pas dans le terme technologique. Je te parle en terme philosophique. Marx, Descartes, Nietzsche, Les Vieux d'Athènes, Sartre, Renaud, Hugo, Spinoza, Machiavel, Schopenhauer, et j'en passe tellement ! Il a côtoyé ces brillants esprits, et je ne les sous-estimes pas, Ô Grand Serpent, non. Mais il buvait au bar avec eux, chantait dans la rue quand ils passaient, leur livraient des fournitures. Il se faisait toujours passer pour le garçon ou la jeune fille à la science humaine ingénue, en lançant par-si, par-là des pistes qui ont lancé tous ceux là sur la voie de la Profonde Réflexion, parce que, chez nous, la philosophie est considérée comme assez nocive. Nous nous considérons trop parfaits pour réfléchir à des problèmes d'ordre éthique. Mais Laurent, ça le rongeait jusqu'à qu'il fut sur Terre ! Où là, la morale était née, il n'avait plus qu'à utiliser ce terreau, cette glaise pour construire la civilisation la plus complexe de toutes : l'humanité.

— Wow…

— Quoi donc ? Ça t'étonne, que, moi, un mage orgueilleux, me soumette à l'idée que l'humanité est plus complexe que moi ?

— Bah… Oui ! Vous faites de la magie, c'est déjà hyper-complexe !

— Tu sauras que, plus on a d'outils en main, moins on cherche d'alternatives. Aucun mage de notre époque, même Laurent, n'aurait pu penser régler un problème sans l'aide de la magie. Alors que vous, les humains, vous vous débrouilliez toujours sans, ce qui, de mon point de vue, est un exploit digne, si digne que c'est vous qui devriez posséder la magie !

— Sérieusement ? Ah bah, moi je pense pas que ce serait une bonne idée, avec tous nos problèmes.

— Tu t'identifies de nouveau à ton espèce ?

— Ouais, je viens de me rendre compte qu'on est bien plus balèze que vous ! Bartavius partit dans un tonnerre de rires, qui fit sourire Yannis, et répondit :

— Tu as raison, vous êtes effectivement plus « balèzes » que nous !

— Et Laurent ? Quand est-ce qu'il a disparu ?

— Le vingt-cinq avril 2001…

Yannis arrêta de sourire, l'estomac figé. Non, pensa-t-il avec effroi. Il pense que quelqu'un de ma famille l'aurait tué ? Où que ma naissance a un lien avec lui ? Attends, attends ! Yannis s'ébroua mentalement. Et si j'étais le produit d'une expérience scientifuck foireuse, à partir de son cadavre ? Ça expliquerait mes pouvoirs ! Haaaa ! Tout commence à avoir du sens ! Mon handicap, ma proportion a aimer la philosophie mais à me plonger à corps perdu dans les sciences, mon cerveau fonctionnant bizarrement ! POURQUOI J'AI TOUJOURS MON PUTAIN DE NOMBRIL ?! [1]

 Yannis s'était trop perdu dans sa panique, et cela avait du se remarquer sur son visage. Effectivement, Bartavius le dévisageait avec son air de détective, comme s'il le passait aux rayons X. Yannis s'excusa et partit en trombe.

NDT

[1] Référence à Kyle XY

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