Chapitre 15 - Lapsus révélateurs

10 minutes de lecture

 Les premiers rayons de soleil caressèrent les joues de Ugo. Il se leva lentement, cligna des yeux pour s'habituer à la lumière éclatante du matin : le soleil, même s'il chauffait cette terre autant que la sienne, était un peu plus lumineux. Au sol, Ugo remarqua une bassine fumante et des ustensiles de toilette. Il soupira : il regrettait les douches de sa bonne vieille planète... Putain, ces « Mages » sont arriérés au point de pas vouloir poser un simple robinet ? Il prit le pichet et le savon posés à côté de la bassine et entreprit de se laver tout le corps sans trop de bruit. Une fois bien propre et un linge autour de la taille, Ugo s'approcha d'Edward et le secoua vivement. Ce dernier n'ouvrit qu'un œil et prononça d'une voix pâteuse :

— Il est quelle heure ?

— L'heure de se réveiller ! et il secoua son ami de plus belle. Quitte ton pieu, ou d'autres vont se charger de te démarrer.

Edward grogna de mécontentement, se leva et se traîna péniblement derrière un paravent pour s'y laver. Le blafard, propre à son tour, un linge autour de la taille, constata avec Ugo qu'on leur avait pris leurs vêtements pendant la nuit, remplacés par des pantalons vieillots et des tuniques brunes ; vêtements qui auraient être pu très seyants s'ils n'avaient eu cette couleur de merde qu'Ugo trouvait horrible.

— Ils ont vraiment des goûts de chiasse, marmonna Ugo en enfilant sa tunique.

— Ouaip, confirma Edward qui tâtait la marchandise, un peu méfiant.

— D'ailleurs, hier, c'était plutôt tendax, hein ?

— Hmm…

— Quand la meuf s'est pointée, j'ai eu l'impression qu'on me fouillait le cerveau ! Pas toi ?

Tout en mettant des chaussures, Ugo guetta la réaction de son ami… qui le regarda d'un air entendu, avant d'opiner du chef.

— Ouaip. C'était bizarre sur le moment, mais maintenant que tu le dis comme ça, c'est vrai que ça y ressemblait.

Habile. Très habile… Ugo était passé maître dans l'art du subterfuge et de l'acting pour ne pas remarquer un expert dans la matière. La réaction du blafard avait été parfaitement attendue. Le problème ? C'était parfaitement qui était gênant. C'était tellement naturel que ça finissait par ne plus l'être. Ugo enchaîna :

— La nana avait pas eu l'air d'apprécier l'expérience avec toi.

— Pour de vrai ? Je flippais trop pour le remarquer.

Là encore, la réaction était si bien faite qu'Ugo, s'il n'avait pas appris à déceler ces masques, n'aurait rien remarqué. Alors il tenta de passer par d'autres questions, d'attaquer sur d'autres terrains : comment tu te sens depuis peu ? « Mal ». Est-ce que, comme Yannis, t'as eu des poussées de bizarrerie ? « Je crois que j'ai choppé la diarrhée durant le voyage. Mais c'est tout ». Combien de doigts j'ai ? « Ta gueule ».

Mais l'interrogatoire déguisé fut interrompu par l'arrivée d'un d'individu en robe grise. Il avait la peau mate, les cheveux blonds et les yeux verts. Ugo comprit que, comme la dernière fois, cet homme portait une robe grise à cause de son rang dans l'académie. L'envie ne lui manquait pas de lui faire une prise de judo, mais provoquer une bagarre contre un type aux pouvoirs inconnus était trop dangereux. Il se contenta donc d'observer ses moindres mouvements. Ce dernier sentit son regard et se tourna vers lui, un expression d'incompréhension collée au visage. Alors Ugo haussa les épaules, se tourna vers Edward dont visage était traversé par diverses émotions. L'inconnu fit signe de le suivre ; ils obtempérènt sans hésiter.

Ils déambulèrent dans les couloirs, croisèrent de temps en temps de jeunes hommes et jeunes femmes aux robes de couleurs différentes, qui tous saluer respectueusement le Gris. Alors qu'ils se dirigaient vers une porte, un individu en robe blanche surgit devant eux, ou plus exactement devant le Gris, qui se raidit mais s'inclina poliment.

— Ah, Parmini, je vous cherchais, dit le mage en blanc d'un ton affable : il était gros et se tapotait le front avec un mouchoir en soie. Êtes-vous au courant du projet que notre Hakessar nous a quémandé d'étudier ?

Le visage de Parmini se fendit d'un horrible sourire sarcastique :

— Je ne l'ai pas oublié, Malkor. J'allais simplement conduire ces jeunes gens à la salle de test sur l'ordre de la Grande Inquisitrice. Je pourrais ensuite me consacrer à… notre travail.

— J'espère bien, dit Malkor en observant de biais Ugo et Edward, puis reportant un regard mauvais sur Parmini : Je vous attendrais dans la salle d'étude φ-12, le temps que vous terminiez votre… affaire.

Il esquissa un sourire moqueur, et s'inclina droitement avant de s'en aller en ricanant. Parmini le regarda s'éloigner, l'air aussi insondable qu'un lac profond. Il s'apprêtait à reprendre du chemin quand Ugo lança avec banalité :

— Vous l'appréciez pas vraiment, hein ?

Parmini se statufia sur place, puis se tourna lentement vers lui, sans pour autant être menaçant ; mais le fait de voir quelqu'un d'impassible vous regarder, sans savoir ce qu'il pouvait vous faire...

Mais Parmini lâcha un sourire à Ugo, sans prononcer un mot, et se retourna pour continuer à les conduire. Ugo aimait bien ce type, se disait-il. Il n'était pas comme la populace, la plèbe autour de lui : il avait cette lueur d'intelligence, ce sarcasme qui pulsait dans ses yeux, dans ses mots, un peu comme Ludwig en fait. Le mettre à sa botte serait idiot, pensait-il. Alors, il décida qu'il serait plutôt un camarade, voire un ami si Parmini était à la hauteur.

Ils arrivèrent dans une grande salle circulaire, éclairée par des cristaux luminescents blancs encastrés dans le plafond. Au sol se trouvaient diverses machines d'apparence terriennes, toutes branchées à des cristaux semblables à ceux du plafond. Parmini fit signe aux deux adolescents de s'approcher de la plus grande machine, qui était un pilier noir lisse, qui possédait juste une fente illuminée s'enfonçant à l'intérieur et un écran affichant le mot « PARADYGME ». Parmini les laissa contempler cette étrangeté quelques secondes, puis se tourna vers eux et leur annonça :

— Maintenant, vous allez faire exactement ce je vous dis, dans l'ordre que je vous dis, dans le temps imparti que je vous impose. Si l'un d'entre vous ne respecte pas mes clauses, il sera envoyé dans un centre de rétablissement. Pour un très, très long moment.

— C'est dangereux, ce truc là ? Demanda Edward en observant la machine.

— Seulement si tu n'es pas vigilant. Garde à l'esprit que, si tu écoutes mes instructions, tu ne risques rien.

— Pas de problème. Alors, c'est quoi ces instructions ?

— En premier lieu, glisse ta main dans la fente.

Edward glissa un regard amusé vers Ugo, qui répondit par un sourire crispé. Parmini soupira :

— Vous les humains, vous voyez vraiment ce genre de choses partout. Allez, pas d'histoires, je n'ai pas toute la journée.

Edward ne rechigna pas et mis sa main dans l'ouverture, qui était assez large pour l'accueillir. Il tresaillit, comme si il ressentait un léger picotement remonter le long de son dos. Il se tourna vers Parmini, la voix un peu inquiète :

— Euh, excusez-moi, mais ça fait quoi ?

— Je n'ai pas commencé, rétorqua Parmini avec un sourire. Puis il dit : ce que tu vois, c'est une machine qui mesure la magie d'un individu et en détermine la Nature. Ça permettra de mieux classer ton dossier, et de savoir ce que tu vaux si tu cherchais à enfreindre la loi. En premier lieu, j'activerais la machine : elle va émettre un bruit assez perturbant, qui va activer des zones dans ton cerveau et libérer ta magie.

 Parmini, tapota la machine, puis continua sa tirade :

— Plus tu seras puissant, plus les effets secondaires seront divers et variés. Ils ne sont pas tous répertoriés, mais je peux t'en citer quelques-uns : vertiges, vomissements, malaises, saignements du nez, des oreilles, déchirure des muscles, sclérose en plaques, cancers… Si tu es aussi puissant qu'Éléanora le pense, alors tu risques au mieux de rester trois jours alité, au pire tu risques de devenir un légume. Mais tu ne mourras pas.

— Je peux refuser, questionna Edward qui avait déjà du mal à déglutir. N'est-ce pas ?

Parmini fit une grimace déplaisante et parla d'une voix amère :

— Crois-moi, refuser ce test te plongera plus tard dans des souffrances immenses : ta magie, en toi, poussera comme une tumeur si tu n'apprends pas de quelle nature elle est et comment la contrôler. Ensuite, tu te transformeras en un monstre guidé par des instincts primaux, un… être abject qu'on devra abattre coûte que coûte. Tu veux ça ?

—…

— Le risque de devenir un légume est très, très proche de 0.

Edward se tourna vers Ugo, qui hocha la tête en signe d'assentiment. Le blafard respira un bon coup, prit un air mélancolique et dit d'une voix grave et ancienne :

— À quoi bon vivre si l'on ne peut avoir la chance de mourir...? J'accepte de passer le test.

Parmini parut troublé par le changement radical de l'attitude du blafard, et Ugo encore plus : il ne lui avait jamais entendu cette voix. Soudain, Il n'avait plus l'impression de se trouver face à un ado de 17 piges, mais face à un être ancien, trop ancien pour son apparence. Pour Ugo, c'était plus qu'un acte manqué : connaissant Edward et son penchant humourophobe, c'était une preuve qu'il n'était pas ce qu'il prétendait.

Tout comme Elisabeth qui était Isabella. Tout comme Ludwig qui s'était fait miraculeusement poussé des couilles. Tout comme Yannis qui avait décidé de devenir le protagoniste de sa propre histoire.

Le mage activa la machine, qui émit un bruit semblable à un sourd grondement. Edward ne réagit pas pendant plusieurs secondes, puis, d'un coup, il tomba au sol, pris de convulsions et la bave au lèvres, les yeux révulsés, poussant des cris silencieux qui ne sortaient pas. Ugo, contrairement à Parmini, se jeta à la rescousse de son ami pour le secouer, mais il était impuissant : en 11,78 secondes, Edward de la Terminale SB venait de faillir.

* * *

*Edward

 Il se réveilla sur un fauteuil, dans une pièce aux murs lisses et au sol poussiéreux, éclairée par un feu brûlant dans l'âtre. Des étagères croulaient sous des bocaux remplis de substances inconnues et de parties d'animaux séchées ou immergées. Des livres étaient empilés au fond de la salle, et une légère odeur de groseille émanait d'un bureau où étaient empilés divers objets utiles ou inutiles. Soudain, il entendit une porte s'ouvrir et une jeune femme entra : c'était Éléanora, une amie de… Laurent. Edward ne faisait pas confiance à Laurent, et ce depuis toujours, mais il faisait des efforts car il était ami avec Archibald et Éléanora. Cette dernière s'approcha de lui et, posant les poings sur ses hanches, dit avec colère :

— C'est moi ou tu fais n'importe quoi en ce moment ? Comment as-tu fini capturé par la Garde Impériale? Tu as des relations avec l'Hakessar, tu aurais dû demander une audience… Enfin bref, qu'est ce qui t'amène ici ?

— Je suis en mission, répondit simplement le vampire en croisant ses doigts et ses jambes. Et je ne souhaites pas en parler. Pas maintenant, en tout cas.

L'avantage des vampires était qu'ils passaient outre la détection magique des mourniens, et ce à cause de la nature particulière de leur magie. L'Empire mournien n'avait jamais essayé d'embêter le Conglomérat, vu que ce dernier possédait la main mise sur les technologies antiques et la maîtrise des arts plus mystiques que la simple kirromancie…

— Mais parle moi de toi, je n'en ai pas eu l'occasion à la fête.

— Eh bien, je suis toujours en train d'étudier les réminiscences magiques de Mourn. Elles ont varié ces temps-ci, c'est inquiétant. Sinon, tout va bien à l'Académie, hormis le fait que le Carnaval des Sorciers va bientôt commencer, et… Non ! Tu ne détourneras pas le sujet comme tu le fais toujours !

Le vampire sourit : le Carnaval des Sorciers était un événement assez récent de l'époque des mages. Il n'y avait jamais assisté, mais il savait que cet fête était une occasion pour les jeunes mages de se tester lors de tournois organisés à l'avance. L'occasion d'y participer durant ce cycle était alléchante, mais il fallait d'abord que Edward fasse des recherches sur la disparition de Laurent. Il congédia d'un geste Éléanora, qui obéit sans protester ; il savait se faire entendre quand il le voulait, et son statut en tant que vampire supérieur lui donnait le droit de pouvoir sur bon nombre de personnes.

La jeune fille s'inclina avec raideur et sortit en furibonde, tandis qu'il observa son ancien bureau de l'Académie : tous les objets qu'il avait confisqué en tant que surveillant s'y trouvaient. Il attrapa une loupe gravée de runes, qu'il observa minutieusement : c'était l'équivalent magique de lunettes infrarouges, sauf qu'elle pouvait également observer les rayons X et les micros ondes. La magie de cet objet était désormais épuisé, et seules ses runes étaient intactes.

Il la reposa doucement tandis que Ugo rentra avec fracas, l'air apeuré. Immédiatement après avoir vu Edward, ses traits se détendirent :

— Ah, te voilà ! s'exclama le vampire était en train d'étendre ses pieds vers le feu. J'étais justement en train d'apprécier la chaleur du foyer. Qu'est ce qui t'amène ici ?

Il espérerait que son interlocuteur ne soulève pas son évanouissement précédent lors de la mesure en magie. Edward ne pouvait se permettre qu'un humain aussi imprévisible qu'Ugo connaisse sa réelle identité. Ses espoirs furent fructueux, car Ugo répondit :

— Viens avec moi, on doit y aller ! (Edward se leva et s'épousseta rapidement) On est convoqué par l'Hake-machin chose, ou je ne sais quoi !

Edward manqua de trébucher quand il se releva. L'Hakessar ? Déjà ? Mais pourquoi diable voudrait-il discuter avec des gueux comme eux ? Néanmoins, le problème principal n'était pas là : il ne faillait pas que l'Hakessar le reconnaisse, quoi qu'il en coûte. Si d'aventure c'était le cas… Edward sentait que les conséquences seraient désastreuses.

— J'arrive tout de suite, répondit-t-il à Ugo, et ce dernier haussa les épaules avant de partir.

Vite… pensa le vampire, en fouillant frénétiquement dans ses tiroirs pour y déloger un objet métallique, de la taille d'une pomme, en forme de tore. Il manipula quelques instants l'objet entre ses doigts, sentant la magie s'écouler de celui-ci. Soudain, une vague de froid le recouvrit, et l'odeur de vampire qui émanait de sa peau s'étiola avant de s'effacer complètement. Puisque son visage n'était plus le même qu'autrefois…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 9 versions.

Vous aimez lire Reydonn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0