1.2 Créatures mystiques (part 1)

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Ravik atteignit la sortie avant que la majorité des étudiants n'aient redressé la tête. Il émergea sur l'esplanade de l'Académie, retrouvant son parterre fleuri. Cet emplacement dominait la cour d'entraînement — creusée en contrebas comme une arène —, mais également la majeure partie de la ville.

On surnommait Del'Ashaan "La Perle du Désert". Nichée dans un monde de dunes sablonneuses, la ville mêlait culture et commerce, mais incarnait surtout le pouvoir. Deux collines opposées dominaient la cité, l'une couronnée par l'Académie, l'autre par le Palais impérial. Sur son promontoire, le jeune Abelam se sentait comme le maître de la cité. Si le palais était réputé dominer cette esplanade, la distance lui permettait d'en douter. Une chose demeurait certaine : le véritable cœur de la ville était l'Oasis de Gaelak.

Îlot luxuriant perdu dans des terres brûlées, authentique miracle de la nature, l'Oasis rayonnait au centre de la cette ville tentaculaire. Sans lui, aucune vie n'était envisageable en ces terres. Temples, maisons, villas et palais, tout était sortis de terre au plus près de cette merveille, sans se soucier d'un semblant d'organisation. Le folklore voulait que Del'Ashaan comporte davantage de ruelles que d'habitants.

Sous le soleil de plomb du désert d'Ashaan, les constructions de la capitale brillaient d'une uniforme blancheur d'albâtre. Toutefois, outre l'oasis, Ravik discernait d'autres touches de couleurs là où les toits plats se chargeaient de jardins privés, ou encore se voyaient remplacés par des dômes bleutés. Ces derniers identifiaient la demeure d'un noble. Des espaces entre les constructions permettaient de deviner les emplacements où se tenaient le marché. En levant les yeux sur les tours du palais, enfin, on découvrait des couronnes de feuilles d'argent, la couleur de la lignée impériale, celle de Gaelak.

Des échos de l'activité citadine parvenaient jusqu'à l'académie. La chaleur de l'astre solaire ne décourageait jamais le marchand hélant le chaland, pas plus que les gamins qui arpentaient chaque venelle avec leurs éclats de rire caractéristiques. Il ne freinait pas davantage le marteau sur l'enclume. Plus près de lui, sur les échafaudages qui ornaient la tour d'astronomie de l'Académie, Ravik percevait les maçons et charpentiers à pied d'œuvre. Tant d'agitation, tant d'énergie dépensée à tort et à travers, trop souvent de manière inefficace : lui, Ravik Abelam, se chargerait de mettre davantage d'ordre dans la vie des citoyens de l'empire.

Lorsqu'Haqim l'eut rejoint, Ravik passa sous les ouvriers en sueur, sans s'abaisser à les saluer, et approcha de la cour d'entraînement. Il eut la satisfaction d'y découvrir que les Qun — classe qui regroupait esclaves et serviteurs — guidaient déjà les créatures mystiques des étudiants au centre du terrain. Le jeune homme avança à la rencontre de la plus somptueuse de toutes : Belark.

Ayant atteint depuis peu sa taille adulte, la créature mystique du jeune Abelam approchait les quatre pieds au garrot, lui conférant une forme d'autorité naturelle sur les autres. Belark appartenait à une race particulièrement rare, originaire d'une lointaine province impériale : le tigre bleu à crinière dorée. La bête faisait sa fierté, il était le seul en trois générations ashaanides à en posséder un. Doté de quatre pattes puissantes, de griffes indestructibles et d'une mâchoire capable de briser l'acier, la créature affichait fièrement sa longue fourrure d'un bleu céleste et ses muscles saillants. La tête du fauve était parée d'une fine couronne de poils dorés qui tiraient vers le roux. Ses yeux fendus brillaient d'un éclat d'or pur, qui parachevaient son allure hypnotique.

— Alors, mon gros, on t’a bien nourri ? murmura Ravik en flattant l'encolure de son compagnon bestial.

La créature répondit par un grognement satisfait, tandis qu'une sensation fugace de satiété s'insinua dans l'esprit de Ravik. Le jeune homme sourit en fixant brièvement la pierre qui brillait entre les yeux de Belark. Cette gemme parfaitement ovale et d'un rouge vif était une pierre d'âme, de celles qui unissaient maître et créature mystique dès les premiers vagissements du premier. Comme tout ashaan, Ravik partageait un lien émotionnel dominant avec sa créature et lui imposait sa volonté d'une simple pensée.

Contrôler une créature mystique, établir une relation forte avec elle, n'avait cependant rien de naturel ou d'inné. Cette osmose se travaillait et constituait une grande part de l'apprentissage de tous les ashaans.

« Bien, tout le monde est là ? »

La voix forte de Maître Loen résonna dans la cour avant que son propriétaire ne paraisse. Revêtu de son armure d'écaille de lézard géant, témoignage de ses exploits de jeunesse, le maître d'armes de l'Académie posa le pied sur le sable rouge du terrain d'entraînement. Il était suivi par son compagnon, un loup aux dents ardentes, une espèce peu commune au pelage roux dont les crocs brûlaient au contact de sa proie. L'une des pattes arrière de la créature mystique de l'ancien soldat trainait et il lui manquait un œil, mais un seul regard de sa part glaçait le sang d'un vétéran, sans parler de jeunes étudiants. Ravik sentit plusieurs de ses camarades massés derrière lui frémir. Lui n'était pas si facile à impressionner. Si cette bête grondait seulement après lui, il ne serait pas celui qui en pâtirait.

— J'espère qu'on ne va pas encore travailler la symbiose mentale. J'ai encore le goût de cette souris des rues dans la bouche, se lamenta Haqim.

Goliath grogna d'un air offusqué. Haqim avait nommé ainsi son compagnon : un chat du désert. Si cette espèce était commune dans le désert d'Ashaan, Goliath demeurait un spécimen spécialement imposant. Sa tête dressée dépassait les genoux de son maître.

Jamila se rapprocha à son tour avec son faucon arc-en-ciel, Divin, perché sur son épaule délicate. Une pièce de cuir protégeait la peau de la jeune femme des serres affûtées de sa créature, réussissant l'exploit de ne pas détonner avec sa superbe robe bleutée.

— Si tu nourrissais convenablement ton chaton, cela n'arriverait pas, ricana Jamila. Divin se nourrit exclusivement des rongeurs de l'élevage de mon père. Des bêtes très propres, nourries et élevées avec soin.

Se baissant pour caresser Goliath, Haqim s'abstint de tout commentaire.

« Pour finir la journée, reprit Maître Loen, session de combat en duo. Je vais vous assigner un adversaire en fonction de la race de vos compagnons. »

Le maître d'armes joignit le geste à la parole en tirant de sa cuirasse un morceau de parchemin.

« Jolan Erdan affrontera Suli Favert. Gael Tran sera opposé à Qoran Bel... »

Dans son dos, Ravik entendit Haqim psalmodier une douce litanie :

— Pas Belark, pas Belark, pas Belark...

Goliath et Belark étaient deux félins et, plus généralement, deux carnassiers. Cet exercice pouvait légitimement les opposer.

« Ravik Abelam contre Lock Asuran » tonna Maître Loen, accompagné par le cri de victoire d'Haqim.

Bientôt appelé à son tour, Haqim partit à la rencontre de son adversaire sur un pas de danse. Ravik, pour sa part, vit approcher un grand échalas blond, accompagné par une petite créature.

Il s'agissait d'un goupil blanc, une créature mystique qui méritait à peine ce nom, pas plus rare qu'un animal commun. À quoi pensait Maître Loen en associant Belark à un encas sur pattes ? Quoique, à la vérité, aucune des créatures dans la cour ne présentait un challenge intéressant.

— Le déjeuner de Belark est avancé, dirait-on, clama d'ailleurs Jamila.

Le rire cristallin de la jeune femme continua de vibrer dans l'air tandis qu'elle se dirigeait vers sa propre victime.

« Pour cet exercice, reprit le maître d'armes, je ne veux plus entendre un mot. Cela fera du bien à mes oreilles. Souvenez-vous de votre entraînement : concentrez-vous sur l'esprit de votre compagnon, ne faites qu'un avec lui. Guidez-le ! »

L'adversaire de Ravik — quel était son nom, déjà ? — prit position face à lui et effectua une brève révérence, le salut rituel des combattants. Le jeune homme ricana : encore respecter cette pratique à leur âge ? 

— Puissions-nous faire de cet affrontement un combat instructif ! ânonna le grand échalas.

Décidemment, cet idiot semblait se croire en classe préparatoire. Fallait-il vraiment que Ravik se coltine un tel crétin ?

— Ne me fais pas perdre mon temps, abandonne, rétorqua-t-il avec ennui.

Ce freluquet eut alors le toupet d'avoir l'air choqué.

— Mais on doit... Je ne peux pas. C'est un exercice important pour...

— Un exercice ? Quel exercice ? Belark enverra valser ta misérable boule de poils au premier contact. C'est totalement inutile.

L'imbécile se renfrogna pour de bon.

— Au combat, il n'y a pas que la taille et la puissance qui comptent, énonça-t-il.

Cette remarque arracha un soupir à Ravik : une souris conservait-elle la moindre chance si elle croisait la route Goliath ?  Le maître d'armes adorait débiter ce genre d'inepties.

« Commencez ! » ordonna Maître Loen.

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