88. La fin d'un monstre

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Arthur

Le moment de vérité est arrivé. Pour l’instant, les éléments ont été plutôt en notre faveur, mais avec le désordre qui règne dans le Palais, ce n’est pas étonnant. Tout a l’air précipité et la bataille qui fait rage à l’extérieur est une des principales raisons de notre progression rapide dans le bâtiment sans que l’on se soit fait repérer.

Alors que le Commandant est en train de réfléchir à la stratégie à adopter, je m’éloigne un peu. Je n’y connais rien là-dedans, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé, et je me mets à la fenêtre pour essayer de voir qui est en train de l’emporter. Pour l’instant, de ce que je vois, il y a des incendies un peu partout dans le bâtiment. On dirait que les rebelles ont trouvé le moyen d’attaquer le Palais de plusieurs endroits à la fois. Ils sont pour l’instant tous à couvert et tirent sur les fenêtres. Je fais attention à ne pas me faire voir. Avec la distance, je risque une balle comme n’importe lequel des miliciens silvaniens.

Julia vient me rejoindre et se colle à nouveau à moi. Le besoin que nous avons de contacts est fort et nous ne nous en privons pas, à la moindre occasion. Elle observe aussi la situation et les combats qui se déroulent sous nos yeux.

- C’est bloqué pour l’instant. Le Général est bien retranché, dis-je. Si nous ne réussissons pas, je pense que la Rébellion va échouer à nouveau.

- On va y parvenir, on n’en est pas arrivés là pour abandonner maintenant.

- J’ai peur, Julia. Comment tu fais pour être si sereine ? Je ne suis pas un combattant, moi, expliqué-je, gêné de me sentir si faible à ses côtés.

- J’ai été formée pour ça et ce n’est pas ma première guerre. C’est normal que tu ne sois pas à l’aise. Colle-moi devant un tableau de compta et je serai loin d’être sereine, sourit-elle. Chacun ses compétences, ses forces et ses faiblesses. Et je suis peut-être tout simplement plus douée que toi pour masquer mes émotions. Ça va bien se passer, le Commandant est un homme d’expérience, ta mère attend ça depuis tellement longtemps qu’il ne peut en être autrement.

- Tu as suivi ce qu’il avait en tête ? Je crois que c’est le moment pour nous de rester un peu en retrait. Pas parce que j’ai peur, mais parce que c’est leur guerre. Il ne faut pas qu’on leur vole leur moment.

- Tu veux rester là ? Je ne vais pas t’en empêcher, Beau Bûcheron, je préfère te savoir à l’abri, moi…

- Non, je reste à tes côtés. Où tu iras, j’irai. Comme les rois mages en Galilée, oui. Tu ne pourras pas m’échapper, souris-je alors que le Commandant est en train de positionner ses hommes de part et d’autre de la porte.

J’ai l’impression qu’il compte entrer par la force et essayer d’impressionner les personnes présentes par sa prestance. Il réajuste sa tenue militaire et ferme les yeux pour rassembler son courage.

- Reste là, je vais donner un coup de main. Je t’en prie, Arthur, je suis flattée que tu veuilles me suivre, mais j’ai l’entraînement pour et pas toi. Je reviens vite.

- Je vais te couvrir. Si j’en vois un qui s’intéresse trop à tes beaux yeux, je te jure que je le mets hors d’état de nuire. Et ce n’est pas valable que pour ce soir, jolie femme. C’est une promesse pour le reste de notre vie !

- Je t’aime, Arthur, soupire-t-elle avant de m’embrasser. Mais là, il faut que tu restes en retrait. Tu pourrais te prendre une balle perdue et… Merde, tu sais quand je te parlais de forces et de faiblesses ? Tu es ma force et ma faiblesse réunies. Je ne peux pas veiller sur toi et être concentrée sur l’objectif, tu comprends ?

- J’ai compris, Julia. Je reste ici, mais tu sais que je vise bien, même de loin. Je te couvre. Tu n’as pas à t’inquiéter.

- Bien… Mais ne t’expose pas trop, ce serait dommage d’abîmer ce corps qui appelle aux caresses, sourit-elle alors que le Commandant l’appelle. A très vite, Chéri-Chéri !

Elle s’éloigne un peu de moi et écoute ce que le Commandant lui demande de faire. Elle hausse un peu les sourcils mais se positionne à côté de lui alors qu’un explosif est disposé sur la porte d’entrée de la salle où s’est enfermé le Général. Quand il est déclenché, des cris retentissent, un nuage de fumée emplit la pièce. Le Commandant crie fort en Sivlanien et sa voix porte au-delà du bruit des explosions.

- Rendez-vous, l’armée française et la rébellion silvanienne ont pris possession du Palais. Si vous vous rendez maintenant, vous aurez la vie sauve. Cessons cette tuerie entre frères !

Et alors, confiant, au moins d’apparence, il s’avance, Julia à ses côtés alors que tous les hommes entrent un à un dans la pièce, arme au poing, prêt à tirer sur les récalcitrants. La prise de risques est énorme et j’ai mon cœur qui se serre quand je vois le couple improbable s’avancer vers la porte. Je me positionne derrière eux et je suis un des derniers à entrer dans la salle désormais silencieuse. La plupart des Silvaniens présents ont levé les bras en signe de reddition mais certains hésitent encore, le regard porté sur le Général qui observe la scène depuis son fauteuil, un cigare à la main. Il a, lui, toujours son révolver à la main et il le pointe vers le Commandant ou vers Julia, je n’arrive pas trop à savoir. L’effet de surprise semble fonctionner, mais tout le monde est tendu.

- Général Ankhov, déposez les armes. Vous serez jugé loyalement et je vous promets que votre vie sera épargnée, l’interpelle le Commandant.

J’admire cet homme capable de se mettre à nu ainsi devant son ennemi. Ses armes sont rangées, mais j’ai l’impression que ses mots font plus de mal au Général que n’importe quel coup de feu. Celui-ci regarde tour à tour Julia puis le Commandant mais ne dépose pas son arme. Tout le monde est prêt à intervenir. Cela risque de finir en bain de sang.

- Commandant. Vous croyez vraiment que je vais me rendre comme ça ? Sans me battre ? Sans même essayer de vous enlever le plaisir de cette victoire ? La question que je me pose là, tout de suite, c’est : je vous tue vous en premier ou elle ? J’hésite vraiment.

- Vous n’allez tuer personne, répond le rebelle, impassible. Parce que vous savez que vous avez perdu. Continuer est inutile.

- Franchement, vous me décevez. Et vous, Julia, continue-t-il en Français, vous aurez vraiment été une emmerdeuse de première classe. Vous tuer va me donner une satisfaction proche de la jouissance, je pense.

- Vous ne manquez pas de courage, on ne peut vous enlever ça. Vous vous rendez-compte qu’à la seconde où vous tirerez, une dizaine de personnes feront de vous un gruyère ? lui répond ma Lieutenant.

- Oui, je suis un homme mort, jolie Poupée. Mais quel plaisir de ne pas partir seul.

Et là, les choses s’accélèrent sans laisser à personne le temps de réagir autrement qu’à l’instinct. Le Général lève en effet son arme et le Commandant se jette sur Julia pour la couvrir de son corps. De là où je suis, j’ai une vue très claire sur le Général Ankhov dont le regard croise le mien au moment où il pose le canon de son revolver dans sa bouche. J’ai l’impression qu’il me fait un clin d’œil avant de tirer et de s’exploser le cerveau pendant que les rebelles criblent son corps de coups de feu.

- Cessez le feu ! crie le Commandant en se relevant. Cessez ce putain de feu !

Enfin, le calme revient. Je n’ai pas bougé de ma place. J’ai toujours mon arme pointée sur le Général qui s’est effondré sur sa chaise. Je n’ai pas pu réagir à son suicide assisté et son corps criblé de balles est le témoignage de la barbarie de cette guerre qui est en train de s’achever, j’espère.

Je reste toujours tétanisé alors que le Commandant se dirige vers le téléphone qui est à côté d’Ankhov dont le corps se vide de son sang. Il compose un numéro et je sens une présence à mes côtés. Je n’arrive toujours pas à bouger alors que désormais, le corps du Commandant s’est interposé entre celui de l’ancien leader et moi. Quand le bruit des explosions s’arrête, mon cerveau embrumé comprend que la nouvelle de la mort du Général est arrivée jusqu’à la Gitane. Julia, car c’est bien elle, abaisse lentement mon arme et s’adresse à moi d’une voix douce.

- C’est fini, Arthur, regarde-moi. Eh, regarde-moi, Chéri. Tout va bien ? Je suis là, me dit-elle en posant sa main sur mon torse.

Je reprends doucement contact avec la réalité de ce qui m’entoure. Mon regard se pose sur Julia qui me sourit tendrement. Je sens sa main qui caresse mon visage et vient se perdre dans ma barbe.

- C’est vraiment fini ? J’ai l’impression qu’un nouveau monstre va sortir de cette mort horrible.

- Le nouveau monstre, c’est ta mère, Beau Bûcheron. Elle est folle, mais éprise de liberté, sourit-elle en m’attirant plus loin.

Je m’effondre en pleurs dans ses bras. Je pleure de joie de savoir que le Général est mort. Je pleure de bonheur d’avoir survécu à tous ces événements en compagnie de la femme de ma vie. Je pleure de soulagement de savoir que les choses vont enfin pouvoir changer dans ce pays qui a tant souffert. Je pleure et je ris en même temps, parce que je suis heureux, tout simplement.

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