86. Les amoureux au combat

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Arthur

Le soldat silvanien qui nous précède a l’air de savoir où il va et je le suis sans hésiter alors que Julia m’emboîte le pas, plus réticente, a priori. Je devrais faire confiance à son instinct car c’est clair qu’on est en train de s’enfoncer dans le Palais plutôt que d’en sortir, mais au moins, on s’éloigne de la partie où le Général pense nous retrouver. Et il ne viendra pas nous chercher ici, c’est de la pure folie ce que nous sommes en train de faire. Qui pourrait croire qu’on s’éloigne de la sortie plutôt que de foncer vers la liberté ?

J’ai mon arme à la main et je note mentalement le chemin que nous prenons. Je sais que j’ai cette capacité à me repérer dans l’espace et, s’il le faut, je saurai retrouver ce chemin afin de pouvoir retourner vers la sortie. Parfois, le Silvanien qui nous guide s’arrête brusquement lorsqu’un bruit retentit. Plusieurs fois, Julia s’est ainsi retrouvée collée derrière moi.

- Tu es vraiment un gros pervers et un gros malade, toi. Comment tu peux profiter de trucs comme ça et penser à la bagatelle alors que tu seras peut-être mort dans les minutes qui viennent ? Tutur, j’ai presque envie de t’abandonner, moi. Je ne peux pas rivaliser devant tant de folie.

J’essaie de rester concentré sur la mission dans laquelle nous nous sommes engagés et je suis content de voir que nous nous arrêtons dans un couloir, pas loin d’une porte gardée par deux soldats silvaniens qui écoutent des messages affolés sur leur talkie-walkie. Je tends l’oreille et comprends que l’attaque a commencé et que le Palais est assiégé non seulement par des rebelles mais aussi par des habitants de la capitale.

Je me demande comment nous allons pouvoir faire pour maîtriser ces deux soldats sans que la situation finisse dans un bain de sang. Ce n’est pas possible d’attaquer de front. Vu la taille du couloir, on se fera canarder avant même d’avoir pu lever nos armes vers eux. J’essaie de demander une idée à ma petite voix, mais celle-ci reste silencieuse. Jamais là quand on a besoin d’elle ! Tout à coup, comme dans les dessins animés, j’ai l’impression qu’une lumière s’allume dans mon cerveau.

- Hey, murmuré-je à notre guide, va leur dire que tu prends leur place et qu’on a besoin d’eux pour défendre l’entrée. N’oublie pas de récupérer les clés ! C’est notre seul moyen de nous débarrasser d’eux sans qu’ils nous trucident d’abord !

Il hoche la tête pour me montrer qu’il a compris alors que Julia, qui n’a pas saisi nos échanges, me regarde d’un air interrogatif. Je me contente de lui déposer un petit baiser sur les lèvres et de reporter mon attention sur le garde alors que la Lieutenant s’agace derrière moi. J’essaie de la calmer en lui prenant la main, mais elle me repousse, énervée sûrement de ne pas savoir ce qu’il se passe.

Nous observons tous les deux le garde qui avance vers ses deux collègues. Après un bref échange, ils lui confient le talkie et les clés, récupèrent leurs armes et se précipitent loin de nous. Nous bondissons alors de notre cachette et j’avertis les otages qu’on vient les libérer alors que notre Silvanien ouvre la porte. Pas envie qu’ils ne se jettent sur nous pour nous achever en pensant que nous sommes leurs geôliers !

- Arthur ! Tu fais quoi ici ? m’interpelle un des otages alors que je me retourne vers ceux qui commencent à sortir prudemment, craignant un piège.

- Oh, Commandant ! Content de vous revoir ! m’exclamé-je alors qu’il saute dans mes bras et m’étreint virilement, me faisant presque étouffer.

- C’est l’armée française qui vient nous délivrer ? demande-t-il alors en remarquant la présence de Julia.

- Non, juste Julia, Commandant, sourit ma Lieutenant en lui faisant un clin d'œil.

- Eh bien, vous n’êtes que tous les deux avec le jeunot, là ? C’est ça votre opération de sauvetage ? commence-t-il à s’énerver. Vous n’avez même pas d’armes à nous donner ?

- Eh, si vous préférez, on vous remet dans votre cellule, hein ! bougonne Julia en sortant un pistolet de sous sa robe pour lui tendre. Sans le jeunot, on se serait déjà barré loin d’ici.

- Non, ça va aller, mais avec trois pistolets, on va avoir du mal à renverser le pouvoir de l’intérieur, soupire le Commandant.

- Quoi ? Vous voulez vous battre et pas vous enfuir avec nous ? demandé-je, vraiment surpris de la remarque du Commandant.

Je m’attendais en effet à ce qu’on les récupère et qu’on file vers la sortie, mais il semblerait qu’il ait d’autres envies. Il s’adresse d’ailleurs à notre guide.

- Eh, jeunot, c’est quoi ton nom ? Tu nous mènes à l’armurerie ?

- Je m’appelle Max. Vous voulez vraiment aller à l’armurerie ? Vous savez que c’est dangereux ? Enfin, oui, vous devez le savoir… Suivez-moi, Commandant.

Je me tourne vers Julia qui ne comprend rien de tous les échanges qui se déroulent en Silvanien.

- En deux mots, le Commandant veut organiser une révolte à l’intérieur du Palais. Ils vont à l’armurerie. On fait quoi, nous ?

- Quoi ? Mais… Oh bon sang, rien ne se passe comme prévu, bougonne-t-elle en regardant autour de nous. On se barre, Arthur, ça va faire mal ici, mieux vaut être en sécurité avant que tout ne pète.

- Et tu veux qu’on parte comment ? Par la grande porte qui est bombardée par les rebelles ? Par derrière où il y a toutes les troupes du Général ? On est coincés ici, Julia. Autant aider les rebelles, non ? Leur donner une chance de plus ? Avec une guerrière comme toi, ça peut vraiment les aider, je pense.

- Non, non, non et non, hors de question de te mettre encore en danger. Tu n’en as pas marre de toute cette merde ?

Le Commandant est déjà en train de s’assurer que tout le monde est prêt, que personne n’est blessé ou malade et que tous sont donc aptes à se battre. Je le vois faire une rapide inspection de la quinzaine de rebelles qui sortent de leurs cellules. Ils n’ont pas l’air d’avoir peur et je vois dans les regards concentrés toute leur détermination à se battre, à prendre les armes pour leur pays. Pour mon pays aussi. Ne suis-je pas le fils de la Gitane ?

- Tu n’es pas un héros, Tutur. Tu es un humanitaire qui ne prend pas part aux conflits, tu te souviens de ta lettre de mission ? Julia a raison, c’est leur combat, pas le tien. Tu n’es plus silvanien, tu es français maintenant !

Mais si je les laisse y aller sans rien tenter, quel genre d’homme cela fait-il de moi ? Un pleutre ? Un couard ?

- Non, un mec sensé qui sait ce dont il est capable ou pas. Pense à Lila aussi. Elle a besoin de toi, vivant. Pense à Julia. Si tu te joins aux rebelles, elle va te suivre pour te protéger. Tu fais comment pour survivre si elle meurt par ta faute ? Tu ne t’en remettrais pas !

C’est clair que je n’ai pas envie d’y laisser ma peau. Ou de risquer la vie de Julia. Mais est-ce que c’est vraiment plus sûr d’essayer de partir ? Ou d’essayer de se cacher dans une pièce le temps que les combats se calment ?

- Julia, si tu me le demandes, je ne me joindrai pas à eux. On est ici à deux, il faut qu’on décide à deux. Je pense qu’il faut qu’on aille se battre avec eux, à leurs côtés. Cela fait longtemps qu’on a choisi notre camp. Mais je t’aime trop pour t’imposer ça. Si tu veux, on les laisse et on cherche à sauver nos peaux.

- Tu envisages vraiment de faire la guerre, Arthur ? Je… Bon sang, tu te rends compte du risque ?

- Oui, il faut mettre un terme à ce conflit qui dure depuis trop d’années. C’est un combat pour la démocratie. Si on peut donner un coup de main, j’ai envie de risquer ma vie pour ça. Pour pouvoir retourner devant Lila et lui dire qu’on a tout tenté, qu’on a tout essayé.

- Si on peut retrouver Lila, soupire-t-elle. Très bien, si c’est ce que tu veux, on reste…

- Je t’aime Julia. Tu es belle et courageuse. Promis, si on se sort de là, j’arrête mes folies. Je crois que j’en aurai fait assez pour tenir jusqu’à la fin de nos jours ensemble !

Je l’embrasse et elle répond à mon baiser de manière intense et passionnée, un peu désespérée aussi, comme si cette étreinte signait le pacte de l’engagement dans lequel nous allons risquer notre vie. C’est un pur instant de bonheur, de pureté, loin de l’agitation autour de nous, qui nous coupe du monde extérieur et nous fait entrer dans une bulle qui n’appartient qu’à nous. Mais la bulle éclate vite.

- Les amoureux, c’est pas que vous nous embêtez, mais il faut vous décider. Vous venez avec nous ou vous restez là ? s’impatiente le Commandant.

- On arrive, Commandant. On est des vôtres. On ne va pas vous abandonner maintenant que les choses deviennent intéressantes ! dis-je en essayant de sourire alors que j’ai la trouille au ventre.

- On vous suit, Commandant, lui dit Julia en lui faisant un signe de tête.

Sans plus attendre, il donne le signe du départ et nous nous élançons tous à sa suite. J’ai le sentiment que nous venons de nous engager sans possibilité de faire demi-tour ou de renoncer. Nous faisons désormais partie du groupe des rebelles. Pour le meilleur et pour le pire. En tous cas, nous y allons confiants dans l’intérêt de la mission pour laquelle nous nous battons. Notre objectif est clair : renverser le Général et espérer que la démocratie prenne enfin le pouvoir. Si nous échouons, nous risquons de finir notre vie dans une geôle silvanienne. Ou pire, dans une tombe sans nom d’un de ces villages que nous n’aurons pas réussi à sauver.

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