83. La colère du fou

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Julia

Il faut vraiment arrêter de ligoter les otages avec les mains dans le dos. Je me balade dans le camion en ayant des difficultés à ne pas m’étaler sur Arthur ou sur la banquette, si tant est qu’on puisse appeler ça une banquette. Bon, soyons honnêtes, me retrouver pressée contre Arthur n’a rien de désagréable, bien au contraire, mais je me dis qu’il faudrait que je pense à bosser davantage les abdos pour ma prochaine mission, sait-on jamais. Si prochaine mission il y a.

Le type en noir pas très agréable semble vraiment en colère, et j’imagine qu’il doit être à deux doigts de me coller une balle entre les deux yeux pour me punir de l’avoir foutu dans la merde. Ça en valait la peine, ou au moins à moitié. Sylvia est libre et va pouvoir retrouver sa famille. J’aurais aimé que mon Bûcheron soit avec elle, en sécurité avec Snow, mais il va falloir être un peu patients pour ça, on n’y est pas encore. J’espère simplement qu’on y arrivera.

Je manque de m’étaler quand le camion freine brusquement, et peux constater à travers l’ouverture de la bâche que nous sommes arrivés au Palais. Arthur rumine depuis tout à l’heure et j’espère qu’il ne m’en voudra pas trop de finir ici avec lui. Sa sœur est libre, c’est mieux que rien.

Nous sommes descendus sans ménagement du camion et emmenés dans le dédale de couloirs d’une immense dépendance du Palais, jusqu’à descendre dans une cave qui ne me dit rien qui vaille. Au moins, la dernière fois que nous avons été reçus ici ensemble, nous avons eu droit à une ravissante chambre bien tape-à-l’œil, merde. Rien à voir avec ces murs tristes et cette odeur de renfermé qui me porte au cœur.

Le soldat sectionne mes liens et relève mes bras vigoureusement avant de m’écarter les jambes pour me fouiller. Je grimace en le sentant me palper de toutes parts, et ne peux m’empêcher de repousser ses mains lorsqu’il profite de vérifier mes flancs pour venir poser ses mains sur ma poitrine.

- Gros porc, bougonné-je alors qu’il me fusille du regard et m’attrape par le bras pour me ramener près de lui. Pas touche !

Il baragouine en Silvanien et repose ses mains sur mes seins. Comme si j’allais planquer quoique ce soit ici. Oups ! J’espère qu’il ne tombera pas sur mon petit couteau, il vise juste, le con, mais il manque de persistance car je garde mon arme en sécurité, bien au chaud.

Finalement, il me reprend le bras et me balourde sans douceur dans la pièce, me faisant atterrir contre Arthur qui m’enlace pour me stabiliser. Ou par envie, simplement ? Toujours est-il que nous sommes plongés dans la pénombre lorsque le soldat referme la porte derrière lui.

Mon Bûcheron et moi restons quelques secondes immobiles avant que nos bouches ne se jettent l’une sur l’autre. Il me serre contre lui avec force et passion, et je m’accroche à son corps avec un plaisir inapproprié vu les conditions de nos retrouvailles.

- Bon sang, Arthur, je suis tellement contente que tu ailles bien. Tu m’as fichu la trouille !

- Et moi, je suis à la fois content de pouvoir te serrer dans mes bras et énervé car maintenant, tu es autant en danger que moi ! Tu sais que tu es folle, ma chérie ?

- Je ne pouvais pas ne rien faire, soupiré-je en nichant mon nez dans son cou avant de poursuivre en murmurant au cas où la pièce serait sur écoute. J’avais espoir que tu sois libéré avec Sylvia. Pour le reste, je compte bien mettre un terme au règne de ce fou. Ta mère prépare une offensive sur le Palais, et moi j’avais besoin de te retrouver.

- Donc, tu es venue mourir avec moi ? Quelle drôle d'idée ! me répond-il en me serrant fort contre lui.

- Je suis venue pour essayer de nous sortir de là, ris-je. Il faut bien que quelqu’un s’en charge, non ? Ce n’est pas le Général qui va être pris de bonté.

- Non, je ne sais pas s'il est déjà au courant. Mais quand il va débouler ici, je crains que ce ne soit pas pour nous féliciter. Tu as une idée sur comment nous sortir d'ici ?

- Je ne sais pas. Prier pour que tout se passe bien ? Profiter de nos dernières minutes ensemble ? Tuer cet enfoiré ?

- C’est clair que ça fait plaisir de te retrouver. Malgré les circonstances, j’ai comme un poids de moins sur la conscience maintenant que tu es avec moi. C’est fou comme tu me fais du bien, juste en étant là avec moi, continue-t-il en déposant de petits bisous sur mon visage.

- Je te promets qu’on va s’en sortir. Je ne sais pas comment, mais je t’assure qu’on va trouver un moyen. Hors de question d’y rester alors qu’on a tant de belles choses à vivre.

Je glisse mes mains sur ses joues et l’embrasse tendrement, savourant le bonheur de retrouver cet homme entré dans ma vie comme une tornade et qui l’a changée sans se soucier de quoi que ce soit. En bien, je crois, même si Snow se plaint de ne plus voir la soldate froide et calculatrice à laquelle il avait à faire avant.

- Je t’aime, Arthur, continué-je, et il va falloir que tu arrêtes de te foutre dans la merde, parce que j’aimerais bien qu’on vive un truc tranquille tous les deux.

- Oui, je sais, me répond-il, un sourire dans la voix, depuis que je suis arrivé en Silvanie, j’essaie juste de trouver la prochaine connerie à faire. Si j’avais su que ma mère était à la tête de la Rébellion, je ne crois pas que je serais venu… Mais je ne regrette pas, ça m’a permis de te rencontrer, ma Guerrière complétement folle.

- Je serais terriblement ennuyeuse si j’étais toute sage, ris-je alors qu’on entend des pas dans le couloir. Merde… Ne te mets pas en danger pour moi, ok ? Évite de faire la tête brûlée, Zrinkak.

- Qui c’est la tête brûlée, ici ? C’est pas moi qui suis venu volontairement dans les bras du Général ! ronchonne-t-il alors que nous nous relevons pour faire face à la porte de la cave.

- J’espère bien ne pas finir littéralement dans ses bras. Quoique ça me donnerait l’occasion de m’occuper de lui, marmonné-je en plongeant ma main dans mon décolleté pour en sortir mon petit couteau que j’ouvre et glisse dans ma manche.

- J’espère que l’on n’en arrivera pas là, en effet.

La porte s’ouvre dans un grincement sinistre et nous sommes éblouis par la lumière qui a été allumée. Lorsque la haute silhouette du Général apparaît, la colère se lit sur ses traits et, outre le stress de savoir comment il va réagir, je jubile de le voir déchanter en constatant qu’effectivement, je ne suis pas la Gitane.

- Bonjour Général, souris-je. Je vois que vous avez la forme, ça fait plaisir.

- Lieutenant ! J’espère que vous êtes prête à mourir, gronde-t-il. Après beaucoup de tortures. Parce que là, je ne le montre peut-être pas beaucoup, mais je suis en colère. Vraiment en colère. Elle est où la Gitane ? C’est quoi cette histoire ?

- Eh bien, figurez-vous qu’elle est très occupée, la Gitane, mais Arthur et Sylvia n’y étant pour rien, je trouvais ça tellement injuste que je me suis dit que je pourrais venir à sa place, continué-je, l’air de rien.

- Vous savez ce que vous venez de faire ? Vous venez de plonger ce pays dans dix années supplémentaires de guerre alors que l’on avait la paix à portée de main. Tout mon projet ruiné par votre bêtise. Sans compter que vous êtes quand même moins charmante que la petite Zrinkak.

- Parce que vous croyez sérieusement que capturer la Gitane aurait achevé cette guerre ? m’esclaffé-je. Vous n’avez jamais eu l’occasion d’échanger avec des rebelles, mon pauvre ! Si vous pensez qu’ils ne se battent contre des fous dans votre genre que parce qu’elle est leur cheffe, vous devriez vous acheter des lunettes, consulter un psy et peut-être vous retirer tout de suite du Palais !

- Assez d’impertinence, Lieutenant, s’agace-t-il. Je vais vous tuer. Tous les deux. En commençant par votre petit amoureux. Vous serez la dernière à partir. Mais d’abord, je veux que vous voyez comment je vais écraser la Rébellion, comment je vais tuer tous ceux que vous aimez ou accompagnez. Je vais commencer par ce camp de merde plein de cette vermine de rebelles. Vous allez voir les photos des massacres qu’on va y faire. Je vous jure que je vais obtenir la paix, mais que le prix va être sanglant. Ça aurait été tellement plus facile de couper la tête.

Il s’interrompt et essaie de donner un coup de poing à Arthur qui parvient à parer le coup avec son bras. Mon Bûcheron a des réflexes et je vois qu’il est passablement énervé par le discours d’Ankhov. Il lève le bras pour frapper à son tour le Général quand on entend distinctement le bruit de fusils qu’on arme. Les gardes du corps du leader silvanien se sont mis en position et le Général émet un petit rire mesquin.

- Voyons, Monsieur Zrinkak, vous pensez que vous pouvez porter la main sur moi ? Mais faites-donc. Ils ont ordre de tirer partout où ça ne vous tuera pas. Que le spectacle commence !

- Ankhov, vous êtes un monstre, répond-il dans un grognement.

- Plaignez-vous à votre chérie. Je voulais la paix, vous allez avoir des tueries !

- La paix au prix d’une femme qui se bat pour la démocratie depuis deux décennies ? Vous croyez que les gens vont laisser faire ? m’indigné-je. Si vous vouliez vraiment la paix, vous auriez entamé les démarches pour les élections, vous auriez arrêté ces missions en sous-marin pour capturer des rebelles, et vous n’auriez pas kidnappé deux civils qui n’y sont absolument pour rien dans votre guerre de pouvoir à la con. Vous pouvez baisser vos armes, on ne touchera pas à votre Général de merde, d’autres s’en chargeront pour nous. Arthur, lâche l’affaire, il n’en vaut pas la peine… Et ta mère ne laissera pas faire tout ça sans se battre.

- J’aime votre naïveté et votre indignation, chère Julia. Je crois qu’avant de vous torturer, je vais profiter de votre corps. Ce ne sera pas à la hauteur de l’autre Zrinkak, mais je suis sûr qu’il y a de quoi s’amuser, m’indique-t-il en se rapprochant de moi pour mater le décolleté que me fait la robe que je porte. Alors, par quoi je commence ?

Il marche lentement vers Arthur, sans le quitter des yeux, et sa folie suinte de tous les pores de son corps.

- Je crois que je vais commencer par tuer les otages que j’ai pris… Ou alors, peut-être que je vais organiser le bombardement du camp, j’hésite, minaude-t-il en captant, comme je le fais, le tressaillement d’Arthur en évoquant le camp. Ah oui, le camp ! Je suis sûr que vous adorerez regarder ça en direct. Un bon début que je vais mettre sur le dos de la Gitane. Il faut bien que je garde une bonne image si je veux serrer la main du Président américain. Mike, installe une télé ici. Personne ne rentre, sauf vous. Pas de ménage, les repas sont déposés devant la porte. Aucun contact avec l’extérieur, je suis clair ?

Ledit Toutou acquiesce alors que cet abruti nous tourne le dos pour sortir. Je jure que si nous ne risquions pas de prendre une balle, il serait déjà en train de se vider de son sang sur ce sol dégueulasse tellement j’ai envie de lui ôter ce sourire insupportable de fou. En attendant, j’ai semble-t-il précipité la mort de centaines de personnes pour mon confort personnel, pour retrouver mon Bûcheron, et ça, je ne l’avais pas vraiment vu venir. J’aurais dû m’en douter, puisque ce type est dingue, mais Snow a sans doute raison quand il dit que je ne suis plus la même depuis Arthur, et là, j’en ai conscience, même si ça ne tourne pas à mon avantage, ni à celui de ce pays.

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