74. Transfert sous haute surveillance

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Arthur

Les heures s’écoulent lentement. J’ai beau épier les bruits, je n’entends rien. Je suis seul entre ces quatre murs et totalement impuissant. J’ai fait tout le tour de la pièce mais je ne vois pas du tout comment je pourrais faire pour me sortir de là. Surtout que je ne suis pas seul et qu’il faut que je pense à ma sœur dans la pièce à côté. J’ai essayé de frapper sur le mur pour communiquer avec elle comme quand nous étions petits et qu’on s’échangeait en code en frappant sur le mur entre nos deux chambres pendant que notre père nous pensait endormis. Mais soit elle n’a pas entendu, soit elle n’a pas envie de répondre.

Quand je pense que si Julia avait pu rentrer, c’est elle qui aurait organisé le transfert ! Je suis sûr que nous serions partis avec plus d’hommes et plus de préparation. Et dire que, là, je devrais être dans ses bras, près d’elle… J’en veux à la Silvanie d’avoir causé la perte de ma mère quand j’étais petit et maintenant, peut-être la fin de ma vie et celle de ma soeur alors que j’avais trouvé le Grand Amour, celui qui ne s’oublie pas, celui qui survit à toutes les épreuves… Sauf à la mort. Quelle connerie, cette guerre. Et pourquoi nous avoir enlevés ? Que va devenir Lila si notre captivité se prolonge ?

- Arrête avec toutes ces questions, moi qui suis dans ton cerveau, je vois la surchauffe qui se crée. C’est pas bon, je te préviens que si tu grilles tous tes neurones, moi, je serai toujours là pour te rappeler que tu aurais mieux fait de rester en France plutôt que de vouloir jouer au héros.

C’est vrai que des fois, je me dis que j’aurais mieux fait de refuser cette mission et de rester bien tranquillement dans mon bureau, en haut de la tour, à regarder les gens vivre leurs vies bien rangées, à distance de toute cette agitation, tous ces problèmes. Mais si j’avais fait ça, jamais je n’aurais rencontré Julia. Elle met de la couleur dans mon expérience. Quand je me refais le film de ma vie, ce que j’ai largement le temps de faire dans cette prison qui sera peut-être ma dernière demeure, j’ai l’impression que jusqu’à ma rencontre avec la jolie Lieutenant, elle était en noir et blanc. Depuis que Julia est entrée dans ma vie, c’est comme si la couleur, mais aussi le son, la vue 3D et même les odeurs, avaient transformé le vieux nanar pas passionnant en épopée fantastique.

- Ça te fait devenir poète, la captivité. Tu dérailles totalement. Enfin, bon, c’est pas inhabituel chez toi, mais là, tu te laisses aller, Tutur.

Je crois que j’ai un peu abandonné le combat, en fait. J’ai perdu espoir avec cet enlèvement. Le destin est contre moi et je me prépare mentalement à mourir. Je ne sais toujours pas pour qui ces hommes travaillent, mais ce que je sais, c’est que si ça ne fonctionne pas comme ils le souhaitent, ils n’hésiteront pas à me mettre une balle dans la tête. Et hop, fini Arthur.

- Tut, tut, tut ! On arrête là tout de suite ! Moi, je veux vivre, non mais ! C’est quoi ces propos défaitistes ? Tu crois quoi, là ? Que Julia a abandonné et qu’elle pleure sur la tombe que tu n’as pas ? Que ta mère a abandonné et qu’elle a laissé le Général au pouvoir sans plus lutter ? Que ta sœur a abandonné et ne va pas tout faire pour retourner vivre avec sa famille en France ? Mon petit Tutur, tu n’as pas le droit de te laisser aller comme ça. Finies les lamentations, réfléchis à la suite !

Cette petite voix est ennuyante. Même sur mon lit de mort, elle vient me narguer.

- Parce que ce n’est pas ton lit de mort, abruti. Tu vas bien, tu as juste un peu faim parce qu’ils ne vous ont rien amené à manger de toute la journée. Pourquoi tu ne les appellerais pas pour avoir à bouffer ? Tu pourrais en profiter pour soutirer des informations importantes pour obtenir ta libération.

Pas bête, cette idée qui vient de me venir à l’esprit. Je me mets à taper fortement à la porte de la pièce dans laquelle je suis enfermé depuis quelques heures maintenant. Au bout d’un moment, j’entends une voix qui me dit de m’éloigner le plus possible de la porte qui s’ouvre sur trois hommes avec un fusil et un autre en retrait qui les couvre. De vrais professionnels, pas moyen de leur échapper. Le grand brun le plus près de moi prend la parole.

- Qu’est-ce qu’il se passe, Zrinkak ? On te manque ?

- J’ai faim. Si vous ne comptez pas me tuer, est-ce que vous auriez la gentillesse et l’extrême amabilité de m’amener un truc à manger ? Et de faire pareil avec ma sœur, tant qu’on y est.

- Tu crois quoi ? Qu’on est là pour faire la nounou avec toi ? T’avais qu’à mieux manger avant de partir !

- Pas sûr que votre Chef apprécie de savoir que vous nous avez maltraités pendant qu’on était sous votre surveillance, tenté-je au bluff.

- Tu ne sais même pas qui est notre chef, imbécile. Qu’est-ce qui te dit qu’il ne nous a pas demandé de t’affaiblir ?

- Ben, si c’était le cas, ça fait longtemps que vous m’auriez frappé et tabassé. Allez, les gars, vous faites pas prier. Même un peu de pain, ça m’irait. Allez appeler votre Chef si vous êtes trop cons pour décider par vous-mêmes.

- Tu crois que c’est en nous insultant qu’on va te donner à manger ? ricane-t-il.

- Je crois que vous avez la trouille de votre Chef et que vous ferez tout ce qu’il faut pour que lui soit content, quoi que je puisse dire. Donc, apportez-nous à manger et on n’en parle plus, Messieurs les plus intelligents et les plus beaux que j’aie jamais rencontrés.

Je ne sais pas d’où me vient cette volonté de bravade ni ce courage de les affronter, mais en réalité, je n’ai même pas peur de leur réaction. Plus j’y pense et plus j’ai la certitude que leurs ordres sont de nous garder en vie et, a priori, en bonne santé, en attendant les directives de leur Chef. Et quitte à mourir, autant le faire avec les honneurs, non ?

- Très bien, sourit-il en se tournant vers son copain. Donne-lui de la bouffe. Mais cogne-le un peu avant, histoire qu’il comprenne qu’on ne plaisante pas. Pas au visage, Il ne serait pas content, mais fais-toi plaisir, rapidement. Et comme ça, ils seront en forme pour le transfert.

Son copain, un grand blond barbu et barraqué, s'approche de moi. Je dresse les poings pour l’affronter mais il rigole et, avec la crosse de son fusil, il me donne un grand coup dans le ventre que mes mains sont impuissantes à arrêter. Je me plie en deux sous la douleur, le souffle coupé, sous les rires de nos geôliers. Mais le prix est peu élevé pour les informations que j’ai réussi à obtenir : un, ils doivent vraiment faire attention à nous, et deux, nous allons être transférés quelque part. Qui dit transfert dit opportunité de s’échapper. L’espoir revient.

Après avoir avalé rapidement la soupe et les morceaux de pain, je me réinstalle sur mon lit en élaborant désormais dans mon cerveau torturé des dizaines de scénarios d’évasion, tous plus improbables les uns que les autres. Je ne suis ni MacGyver pour fabriquer une arme avec ce qu’il se trouve dans la pièce, ni James Bond pour récupérer dans ma chaussure un pistolet miniature qui me permettra de mettre hors d’état de nuire tous ces vilains qui nous surveillent. Et pourtant, dans ma tête, j’imagine même me transformer en Hulk pour détruire tous les murs. Donc, oui, je n’ai aucune idée sérieuse pour m’enfuir. Pathétique.

- Manger, ça ne t’a pas aidé, Tutur. Toujours à penser des conneries. Pathétique, je confirme.

Alors que la nuit tombe, j’entends les clés dans la serrure et le Grand Blond revient avec un de ses comparses. Il me passe les menottes et fait en sorte que je n’aie aucune opportunité de tenter quoi que ce soit. Ma sœur est déjà dans le couloir et je suis soulagé de voir qu’elle va bien. Elle a les yeux rougis et gonflés de quelqu’un qui a beaucoup pleuré, mais à part ça, elle a l’air de bien se porter et le sourire qu’elle m’adresse me rassure un peu sur son état psychologique. Bouleversée mais pas abattue. Elle aussi a peut-être une petite voix qui l’a aidée à se rebooster ?

Nous remontons dans le camion qui nous a amenés ici. Nous sommes toujours sous bonne garde et ces gars qui nous surveillent font vraiment tout pour ne rien laisser au hasard. Pas l’once du début d’une opportunité de s’enfuir. La bâche du camion étant fermée, nous n’avons aucun visuel sur la route que nous empruntons. Je pense que nous roulons pendant environ une heure avant que le véhicule ne s’arrête et que nos gardiens nous intiment l’ordre de descendre. Nous sommes dans une petite cour pavée, avec de grands murs blancs tout autour. On nous dit de patienter et nous sommes obligés, Sylvia et moi, d’attendre debout, encadrés par trois gardes qui pointent leur fusil vers nous.

- Ça va, Sissi ? Tu tiens le coup ?

- Ça va, soupire-t-elle. Ils sont flippants, quand même. Et Snow est plus sexy et moins brute.

- Bien, tu as encore un peu de sens de l’humour. C’est déjà un bon début. On va s’en sortir, Sissi. S’ils avaient voulu nous tuer, ils l’auraient déjà fait. Essayons d’apprendre où on est et on verra bien après ce qu’on fait.

- Silence, les Zrinkak. Vous êtes pas là pour faire la parlotte. Au prochain mot échangé, je te fais passer l’envie de parler. Ça a bien marché tout à l’heure.

Ne voulant pas tenter le destin, nous nous taisons et attendons dans le froid nocturne que l’on nous dise ce que l’on va faire de nous. Sylvia est à mes côtés, droite et fière, et je suis content de voir qu’elle aussi a fait le choix de se battre et de résister. Ce n’est pas pour rien que le sang de la Gitane coule dans nos veines. Même quand la situation est désespérée, nous restons debout et nous luttons. Jusqu’au bout s’il le faut, mais toujours dignement.

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