69. Reculer pour mieux sauter ?

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Julia

Foutu Colonel. C’est comme s’il l’avait fait exprès, ce con. Il a fait traîner, encore et encore, jusqu’à ce que ce soit l’heure de partir. “Désolé, Lieutenant, j’ai encore beaucoup de choses à faire. Il va falloir reporter votre départ pour le camp à demain”. Je t’en foutrais, moi, des choses à faire. Je suis sûre que Mirallès lui a laissé une partie de sa collection de pornos, ouais.

J’ai passé l’après-midi à me balader sur la base en attendant que Monsieur daigne me recevoir, et ce couillon est venu me rejoindre à table ce soir pour papoter. J’y crois pas. Si ça, c’est pas pour me faire suer, je ne vois pas de quoi il retourne.

- Bon appétit, Lieutenant.

- Merci, à vous aussi Colonel. Qu’est-ce que vous vouliez qu’on voie ensemble ?

- Patience, Lieutenant, on ne parle pas l’estomac vide voyons !

Je vais me le faire, sérieux. Tout le monde est parti pour le camp, et moi je poirote ici comme une dinde que ce vendu veuille bien se remplir le ventre pour enfin me dire ce qu’il me veut. Je pourrais être en train de m’envoyer en l’air avec Arthur, ou en train de dîner avec Lila et lui, ou en train de picoler avec Mathias, au lieu de quoi je regarde ce type prêt à vendre père et mère au Président pour que ses goûts cinématographiques adultes ne soient pas révélés.

- Vous me semblez un peu agacée, Lieutenant. Tout va bien ?

- Très bien, Colonel, mais j’ai hâte de retrouver mes hommes.

- Oh vous venez à peine de les quitter, ils peuvent survivre une journée sans vous. Le ciel ne va pas leur tomber sur la tête d’ici demain, vous savez.

- Vu l’ambiance ici, je ne m’avancerais pas tant. Rien n’est impossible.

- Oh vous savez, les médias en font beaucoup, mais la situation n’est pas si catastrophique que ça. Ankhov n’est pas pire que Lichtin. Au moins, c’est un militaire qui va faire régner l’ordre, mais nous ne sommes pas là pour faire de la politique.

- Vos rapports et ceux du Lieutenant Snow sont pourtant assez édifiants… Tout cela n’est pas très rassurant pour la suite.

- Non, ça va être la guerre, mais on devrait passer entre les gouttes. On est ici au nom de l’ONU. Qui oserait nous attaquer ? Et puis, grâce à vous, on a des renforts, continue-t-il en mangeant sa cuisse de poulet.

- Oui… Ça ne fera de mal à personne, et ça rassurera aussi les réfugiés, j’espère.

- Toujours à vous préoccuper des Silvaniens, je vois. Vous savez, ils vivaient très bien avant votre arrivée, ils peuvent survivre sans vous ?

- Je crois que nous avons quand même largement participé à améliorer leurs conditions de vie, mais je vous laisse vous dire que tout roulait déjà à l’époque de Mirallès, si ça vous rassure.

- Ah, je comprends pourquoi le Général vous a cédé ! Vous avez un sacré caractère, Lieutenant, vous savez ? continue-t-il en s’attaquant à sa mousse au chocolat sans avoir rien dit encore sur la raison pour laquelle il voulait me voir.

- Il en faut bien, du caractère, quand on est une femme à l’armée, Colonel. Mais je ne vous apprends rien. Je vais vous laisser, le voyage m’a fatiguée, je vais aller dormir dis-je en faisant mine de me lever.

- Tut, tut, tut, si je vous ai demandé de rester, ce n’est pas pour dormir, Lieutenant. On doit discuter, vous et moi.

- Ce n’est pas ce que nous faisions déjà ? me moqué-je. Mais vous semblez tourner autour du pot, Colonel. De quoi voulez-vous que nous parlions ?

- Eh bien, je ne suis pas d’accord avec votre décision d’avoir ramené Morin ici. Et en plus, en tant que sergent. C’est une provocation contre votre hiérarchie, non ? C’est un traître, il n’a plus sa place dans l’armée ! s’énerve mon supérieur en s’essuyant la bouche.

- Il n’y a aucune provocation Colonel. Je l’ai dit, et je réitère, j’ai confiance en lui, et j’ai besoin de quelqu’un dans mon équipe pour remplacer le Sergent Snow, maintenant que vous l’avez promu Lieutenant.

- Et forcément, vous pensez que la bonne personne, c’est celui qui nous a vendus au Président ? Vous passez trop de temps avec votre humanitaire rêveur, ma petite. Morin sergent, c’est une hérésie. Je vous ordonne de le renvoyer en France dès que possible !

- Non, lui dis-je froidement. Morin reste ici.

- Vous refusez d’obéir à un ordre direct ? Lieutenant, vous vous rendez compte de ce que vous êtes en train de faire ? me lance-t-il d’un ton menaçant.

- Je défends mes hommes. Le Général a autorisé sa présence, je ne vois pas pourquoi vous seriez plus à-même de le renvoyer en France. Et puis, entre nous Colonel, si lui retourne en France pour trahison, peut-être que vous devriez préparer votre paquetage également, non ?

- Le Général a autorisé sa présence ? Mais vous avez couché avec lui ou quoi ? Et puis, je n’ai que faire de vos menaces ! s’énerve-t-il dans un premier temps avant de se calmer brusquement. Oh et puis, merde alors. Si Morin vous trahit à nouveau, vous n’aurez qu’à vous en prendre à vous même ! Vous pouvez disposer.

- A vos ordres, Colonel, dis-je en me levant pour le saluer. Et je n’ai pas besoin de coucher avec un supérieur pour obtenir ce que je veux, il me suffit d’être une emmerdeuse, et ça marche. La preuve encore ce soir, Colonel. Bonne nuit, Colonel.

Je lui souris et récupère mon plateau avant de m’éloigner. Il reste peu d’hommes dans le réfectoire, mais tous nous observent et je me demande ce qu’ils peuvent bien penser de l’énervement de notre supérieur. En soi, je m’en fous complètement, mais j’avoue éprouver un malin plaisir à le voir s’énerver alors que je reste totalement calme. Extérieurement, du moins. Parce qu’il m’a clairement pété les ovaires. Lui et ses jugements de valeurs, quand on sait ce qu’il a pu faire, c’est la meilleure. Quand je pense que j’ai perdu ma journée pour cette connerie !

Je vide mon plateau et sors de là au plus vite, avec pour objectif d’aller me coucher. Cependant, en passant devant le centre des communications, je change mes plans et m’y engouffre pour m’installer devant un pc et essayer de contacter le camp. Snow ne me répond pas immédiatement et je suis à deux doigts de tenter de contacter Arthur lorsque le visage de mon ancien Sergent apparaît à l’écran.

- T’es toute seule ?

- Presque oui, dis-je après avoir regardé autour de moi.

- Elles sont où les bouteilles, Ju, sérieux ! Tu fais chier.

- Crois-moi, j’aurais préféré être en train d’en descendre une avec toi, là. Tout s’est bien passé ?

- Ouais, sauf pour le Bûcheron, me répond-il d’un ton tellement sérieux que je prends peur tout à coup.

- De quoi ? Il va bien ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

- Non, il ne va pas bien ! Il a failli avoir une crise cardiaque en voyant que tu n’étais pas là ! J’ai presque dû me mettre à faire le bouche-à-bouche, rit Snow, content de son petit effet.

- Tu m’as foutu la trouille, imbécile, bougonné-je. Pour la peine, tu auras une bouteille de moins.

- Eh ! Je prends soin de ton amoureux, ça mérite au moins deux bouteilles de plus, ça. D’ailleurs, demain, comme il a prévu de ramener sa sœur à la base, je vais les accompagner et je te récupère pour te ramener avec moi, ça te va comme ça ?

- Ai-je le choix ? soupiré-je. Enfin, Arthur devrait rester au camp, à quoi bon prendre des risques supplémentaires ?

- Ils seront avec moi, Ju, que peut-il leur arriver ? Je les protègerai aussi bien que tu le ferais si tu étais à ma place. Et comme ça, il te verra plus vite, je pense à vous, tu vois ?

- Toi comme moi ne pouvons rien face à une roquette ou une mine, aux dernières nouvelles… Il prend des risques supplémentaires pour un voyage qui n’est pas nécessaire pour lui. Pour toi non plus, d’ailleurs.

- Ju, tu as déjà réussi à le faire changer d’avis ? Je n’essaie même plus, moi. T’inquiète tout ira bien.

- C’est sûr que sans essayer, tu ne risques pas d’y arriver, bougonné-je. C’est vraiment pas sérieux de sortir. Deux véhicules ? Escorte silvanienne en plus ?

- Oui, on aura l’escorte silvanienne. Difficile de faire sans. On sera en sécurité, pas d'inquiétude. Ankhov va pas tirer sur ses pauvres troupes et la Gitane va faire attention à ses enfants, on est tranquille, je t’assure !

- Si tu le dis, soupiré-je. Tout est possible dans ce pays de dingues, j’ai du mal à y croire.

- Allez, va te coucher, je gère. Tranquille. Demain, je te ramène ton Bûcheron ! Tu me laisseras un bisou pour moi quand même, hein ?

- On verra ça en temps voulu. Je te laisse, c’est surtout toi qui sembles avoir besoin de dormir. Bonne nuit Matounet. Et faites gaffe sur le trajet, j’aime pas vous savoir dehors vu comme c’est la merde. A demain.

- A demain, Ju. On fera très attention, promis. Fais de beaux rêves de ton Bûcheron !

Je ris en me déconnectant et regagne le dortoir où je vais passer la nuit. Je ne sais pas si je vais rêver d’Arthur, mais une chose est sûre, j’ai hâte d’être à demain pour le retrouver. Nul doute que demain soir, je le séquestre et compte bien me repaître de son corps jusqu’à épuisement.

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