65. Une annonce qui passe mal

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Julia

- Je n’arrive pas à le croire, comment tu as pu faire ça ?

J’observe ma mère et mon coeur se serre face à son visage triste et inquiet. Oui, encore une fois, je n’ai pensé qu’à moi. Enfin, à moi et à un peuple qui subit la guerre. Le Général a été plus qu’efficace. Il m’a annoncé, le jour de la porte ouverte de la base, qu’il avait réussi à obtenir le déploiement de troupes supplémentaires. Il était tout heureux de voir le panier de ma mère, rempli de plusieurs brioches, et m’a fait savoir que mon équipe faisait partie de celles qui étaient envoyées sur place, même si rien de tout cela n’a encore été annoncé officiellement. Un profond soulagement m’a envahie à l’idée de retourner là-bas, et je me retiens depuis trois jours de harceler Arthur et Mathias de mails pour leur annoncer. Impossible de les avoir depuis le départ d’Arthur, les communications sont brouillées la plupart du temps, et il leur est déjà bien difficile d’entrer en contact avec la base, d’après ce que j’ai compris.

- Julia, nom de dieu !

Ma mère s’emporte et ce n’est tellement pas l’habitude de la maison que nous relevons tous les yeux de nos assiettes pour la regarder, surpris. Le silence est loi à table depuis que j’ai balancé ma bombe, et il n’y a qu’elle pour le rompre.

- Je suis désolée, Maman, mais ce que j’ai…

- Arrête avec tes excuses à la con ! Ça ne te suffit pas de passer la moitié de l’année en OPEX ? Il faut que tu nous fasses encore subir ça davantage ? Quel égoïsme !

- Marianne, Chérie, intervient mon père, mais le regard de ma mère le dissuade de poursuivre.

- Arrête de toujours la défendre. Elle n’a aucune excuse. A toujours vouloir se la jouer à la Rambo, elle va y laisser des plumes. Je refuse de voir débarquer des uniformes qui m’annoncent que ma fille est morte ! Vous avez vu les informations, non ? Comment est-ce que vous pouvez rester aussi calmes ? Et toi, comment tu as pu demander à y retourner ?

- Je l’ai demandé parce qu…

- Pas la peine de me donner une excuse à la con, poursuit-elle en me coupant la parole. Je ne veux pas t’entendre ! Aucune raison n’est valable pour abandonner sa famille, Julia.

Je soupire et détourne le regard. Evidemment qu’elle pense ça. Logique. En tant que mère, voir son enfant partir dans un pays en guerre… Mais je ne l’avais jamais vue aussi énervée. Généralement, elle est plutôt résignée, mais le fait d’avoir été volontaire pour repartir aussi vite après une mission, ça n’aide pas à la calmer. Elle n’était pas prête psychologiquement à un nouveau départ de ma part.

Je me lève et vais la prendre dans mes bras. Ma mère s’accroche à moi violemment, et je sens ses barrières tomber. Merde, qui a envie de faire pleurer la femme qui vous a mis au monde ? Je me sens terriblement mal à cet instant et je regretterais presque ma décision.

Lorsque ses larmes se sont à peu près taries, je sors mon téléphone de la poche de mon jean et le lui tends.

- C’est pour eux que je pars, entre autres choses, Maman, dis-je alors qu’elle regarde la photo d’Arthur et Lila que mon Bûcheron m’a envoyée peu avant son retour. Pour eux, pour Mathias, pour tous ceux qui vivent cette foutue guerre. Tu me connais, tu m’as élevée, je déteste ne pas aller au bout des choses, et je ne peux pas non plus rester les bras croisés à ne rien faire.

- Ces gens sont-ils plus importants que ta famille ? Que nous, tes parents ? pleurniche-t-elle en me serrant contre elle.

- Vous êtes en sécurité, eux ne le sont pas, Maman. Je te promets que je serai prudente, et je te garantis que celui qui me fera rentrer entre quatre planches n’est pas encore né.

- Je suis sûr que si c’est le Bûcheron qui fait les planches et qui t’invite à l’y rejoindre, tu ne diras pas non, me lance Sarah, essayant de faire un peu d’humour alors que son cœur n’y est pas.

- Je compte bien le ramener et l’empêcher de repartir pendant un moment, celui-là, souris-je. Vous savez, encore une fois, je ne vais pas au front, je vais juste assurer la protection des réfugiés et de l’ONG. Ce sont d’autres équipes qui iront au charbon.

- Oui, heureusement qu’Arthur est plus raisonnable que toi. Au moins, comme tu voudras rester près de lui, tu ne vas pas courir de risques inutiles !

- C’est ça. Je vous donnerai des nouvelles aussi souvent que possible, comme toujours. Ça va passer vite, tu verras Mamounette, dis-je en l’embrassant bruyamment sur la joue.

- Six mois, ça ne passe jamais vite quand tu es dans un pays en guerre.

- Interdiction de déprimer, Maman, Joker va avoir besoin de toi, dis-je en jetant un œil à mon téléphone qui vibre sur la table. Merde, c’est Snow. Désolée, je dois répondre !

Je l’embrasse à nouveau sur la joue et m’éloigne dans la cour en décrochant. Snow apparaît à l’écran, visiblement fatigué, mais un sourire se dessine sur ses lèvres.

- Je vois que tu profites de la vie chez Pôpa et Môman, Ju’ ! Veinarde !

- Bon sang, Mat’, soupiré-je. Je suis tellement rassurée de te voir. Tu vas bien ? Tout se passe bien ? C’est quoi le problème ?

- C’est la guerre, Julia, tu crois quoi ? Que je suis en vacances dans les montagnes ?

- Wow… Excuse-moi de m’inquiéter pour toi, Lieutenant. Que me vaut cet appel, alors ? Puisque tu n’es pas en vacances et apparemment très occupé ?

- Les hommes ont peur, Julia. Je ne sais pas comment leur redonner un peu la foi. Tu sais comment c’est quand le doute s’installe ? Tellement compliqué de faire revenir la confiance. Et on a maintenant deux garnisons autour du camp. Tu imagines la pression ? On a l’impression d’être observés en permanence.

- Tu n’as qu’à leur dire que les renforts arrivent, Chef. Ça devrait déjà faire son petit effet. Je suis au courant de la situation, j’ai vu les rapports du Colonel.

- Ouais, les renforts seront là à la Saint Glin Glin ! En attendant, qui c’est qui galère même pour approvisionner le camp ? C’est moi. Tu te rends compte qu’on est escorté pour aller chercher la nourriture des réfugiés et qu’Arthur a budgété dix pour cent du prix pour la corruption ? On est dans un monde de fous !

- Je compte bien débarquer avec un stock de bouffe. Et d’alcool, apparemment, tu en as bien besoin. Et là-dessus, ils peuvent toujours courir pour un pourcentage.

- Arrête tes conneries, Julia. Tu n’es pas là de débarquer ici.

- Tu as raison, c’est pas prévu pour demain. Dans quatre jours, en revanche, j’embarque dans cette saloperie de Hercules pour vous rejoindre.

- Julia, si c’est une blague, c’est pas marrant. C’est le capitaine Torchet qui t’a demandé de me tester comme ça ? Tu es en repos encore trois mois, alors ne me fais pas croire que tu seras là dans quatre jours !

- Pas de repos pour les soldats, Lieutenant. Je t’assure que je ne plaisante pas. Une folle est allée au cours de Yoga de la femme du Général pour obtenir un entretien avec ledit militaire et le convaincre, au prix de brioches faites maison, d’envoyer des troupes en soutien.

- Tu sais que tu es folle, toi ? Des brioches ? Du Yoga ? Tu as fumé ? Tu es bourrée ? Et moi qui t’appelais pour avoir des conseils, je suis bien aidé, là, dis-donc !

- Mathias, je suis hyper sérieuse. Je te promets que je ne plaisante pas. Tu croyais que je comptais rester le cul derrière mon bureau et vous laisser là-bas alors que c’est la merde ? On est une équipe, non ?

- Ah ouais ? Tu crois donc que je fais si mal mon boulot que ça et tu veux me reprendre mon poste ? Tu veux que je passe pour un imbécile devant les hommes et les chefs ou quoi ?

- Snow ! Stop ! Respire un coup, vraiment ! Tais-toi trente secondes et réfléchis à ce que tu dis avant que je n’aie envie de te couper les couilles pour te les coller dans la bouche et te faire taire moi-même.

Mathias me lance un regard tueur et soupire alors que je m’assieds sur la balançoire. Je jette un œil à ma famille, installée à table sur la terrasse. Plus personne ne mange et ma mère me lance des regards à la fois tristes et contrariés.

- Écoute, Mathias. J’ai plus confiance en toi que toi-même. Je ne reviens pas pour juger de ton boulot, que je sais être bon, mais pour pouvoir assurer tes arrières comme lors de toutes nos missions. Tu vois, l’équipe ? On est là l’un pour l’autre, quoi.

- Ouais, je sais que tu as confiance en moi. Mais je ne sais pas comment les hommes vont prendre ton retour. Je suis content de te revoir, hein ? Mais bon, j’appelais juste pour un conseil, pas pour un débarquement.

- Excuse-moi de penser à vous, bougonné-je. Tu voulais un conseil à quel propos ? Puisque apparemment je ne suis autorisée qu’à ça ?

- Non, mais ça va aller, Julia. Si tu viens vraiment sur place et qu’il n’y a pas une caméra cachée quelque part, tu me diras ça de vive voix. A deux, ça sera plus simple d’affronter tout ce qu’il y a à faire. Je suis content que tu reviennes, en fait, Julia. Désolé de m’être énervé.

- Qui est ton Sergent Snow à toi ? Parce que, vu ton humeur, il ne fait pas du bon boulot. A deux, c’est toujours mieux, Mat’, il faut un garde-fou, une personne en qui on a totalement confiance pour nous aider à prendre les bonnes décisions et nous dire quand on merde. Tu as toujours assuré en garde-fou, partenaire, alors fais-toi confiance.

- J’ai que Nathalie et la confiance, ce n’est pas ça. En fait, c’est avec Arthur que ça passe le mieux, mais c’est un civil. Tu vois le dilemme ?

- Je vois. Je sais pas ce qui est le pire. Un civil ou la sal… Bref, l’autre conne. J’arrive pour assurer tes arrières, Beau Gosse, et picoler un coup avec toi, mais chut, si ma mère entend ça, elle va nous tuer elle-même, souris-je.

- Ramène deux bouteilles, il nous faudra au moins ça. C’est le bordel, ici. Et ton Bûcheron avec sa sœur, ça n’aide pas. On devrait interdire les civils dans les guerres, tout irait mieux entre pros.

- C’est noté. Et comme on dit jamais deux sans trois… Y aura à boire. Tu me manques, Mat’. Je suis contente de te retrouver. Te botter l’arrière train me manque énormément, tu sais. Tu embrasseras Arthur de ma part ? Je n’arrive pas à l’avoir depuis qu’il est de retour sous ta protection…

- Ouais, les communications sont brouillées. Son système ne doit pas être aussi efficace que le nôtre. Je lui ferai un bisou de ta part, mais tu m’en devras une. Un bisou sur la bouche, berk !

- Je te ramène à boire, tu devrais pouvoir lui rouler un patin sans broncher, ris-je.

- Je te laisse Julia, je vais annoncer aux hommes les renforts. Je peux dire à Arthur que tu arrives ?

- Tu peux oui, j’aime pas les surprises et les secrets. Fais attention à toi, Matounet. Ça va le faire, tu gères. Rappelle-toi que je ne me suis toujours entourée que des meilleurs, dis-je en lui faisant un clin d'œil.

- Prépare-toi à un accueil chaleureux, en tous cas. C’est Kubiak le préposé aux arrivées.

- Ce con ? ris-je, ça promet. En voilà un qui ne m’avait pas manqué. J’ai hâte de voir sa tronche. A dans quatre jours, Lieutenant canon !

- A dans quatre jours, Lieutenant sexy.

Je lui envoie un baiser et raccroche avant de soupirer. Je sens que ce retour en Silvanie va être moins agréable que prévu. Enfin, c’est même certain. Au-delà du plaisir de retrouver Mathias, Arthur, Lila et plus globalement les réfugiés, l’ambiance promet d’être chaude, et pas dans le sens que j’aimerais, c’est clair. Malgré cela, et malgré la tronche de trois kilomètres de long de mes proches, je ne regrette pas mon choix. Silvanie, me revoilà !

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