64. Rencontre à la source

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Arthur

Lorena me tire de ma rêverie alors que je regarde Sylvia jouer avec Lila et l’aider dans son exercice de lecture. J’étais parti bien loin de la Silvanie avec cette scène un peu surréaliste. Qui aurait pu imaginer ma sœur présente ici ? Et qui joue avec une de nos cousines en attendant d’aller retrouver notre mère. C’est presque comme si nous n’étions jamais partis. Fou, fou, fou.

- Arthur, tu ne m’écoutes pas ! me relance à nouveau la jeune Silvanienne.

- Désolé, tu disais ? Ma mère ne veut pas venir dans le camp mais on doit la rencontrer en dehors ? Elle veut faire quoi, un petit dîner de cons avec les soldats de l’armée silvanienne devant le camp ou quoi ?

- Elle veut juste s’assurer que tout le monde est en sécurité. Ne t’inquiète pas, elle ne proposerait pas ça si elle n’était pas sûre d’elle.

- Et comment elle veut qu’on se rende à cette source ? Elle a un hélicoptère à nous proposer ? Dans le genre discret, on a fait mieux, non ? m’énervé-je contre ma mère qui n’en fait encore qu’à sa tête.

- Eh, j’y suis pour rien moi, Arthur. Je te transmets les informations, c’est tout, soupire Lorena en me tournant le dos. Tu pourras sortir du camp par derrière la grange, mais garde ça pour toi, il n’y a que les rebelles qui connaissent ce passage.

- Oh, ça va être l’aventure, nous interrompt ma soeur. Un passage secret, ça en serait presque romantique ! C’est trop mignon.

J’écarquille les yeux en l’entendant parler. Si Julia était là, comment elle se ferait un plaisir de lui rappeler qu’on n’est pas à la dinette, mais que c’est la guerre ! Mais, malheureusement elle n’est pas là, et je fais le choix délibéré de ne pas rajouter à ses peurs en ne commentant pas sa réflexion.

- J’en reviens pas que Julia n’ait pas vu ce passage, elle qui veut tout contrôler. C’est presque pas croyable. Et donc, elle sera là-bas à onze heures ?

- Les Silvaniens ont bien bossé, que veux-tu. Et, oui, elle y sera à onze heures tapantes. Enfin, un peu avant, pour s’assurer que tout roule.

Ma mère est folle. Alors qu’elle évite consciencieusement tout contact avec l’armée, la voilà qui vient se rendre à quelques centaines de mètres tout au plus d’une garnison dont le seul but est de coincer du rebelle.

- Ne fais pas ton jaloux, Tutur. Ce n’est pas parce que toi tu as dû traverser la moitié du pays pour la retrouver que ta sœur doit faire pareil ! Tu le sais bien, de toute façon, qu’elle a toujours été la petite chouchou !

Nous nous préparons donc pour sortir du camp. Sylvia insiste pour qu’on emmène Lila alors que je préfèrerais qu’elle reste à l’intérieur. Je refuse dans un premier temps, mais quand ma sœur me dit qu'elle nous fournit une bonne excuse pour aller dans la grange près des vaches, je cède.

- De toute façon, tu dis toujours oui à ta petite sœur. Ce n’est pas nouveau, ça !

Je me demande un instant si je devrais prévenir Snow, mais je n’ai pas envie qu’il empêche ma sœur de retrouver Maman. Et donc, c’est juste accompagné de Lorena et d’un réfugié faisant partie des rebelles que nous sortons du camp. Je comprends pourquoi Julia ne l’a pas vu. Il est récent et a été fait de telle sorte que personne ne puisse en deviner son existence. Petit, étroit, caché à la vue générale, il constitue un excellent moyen pour s’échapper du camp. Mais c’est aussi une excellente porte d’entrée pour quelqu’un de mal intentionné. Si Julia était là, je pourrais lui en parler, mais je ne sais pas comment Snow réagirait face à cette information. Avec sa volonté de toujours bien faire, il serait capable de condamner cette issue.

Lorsque nous nous approchons de la source, l’endroit est désert. Je commence à m’inquiéter en me demandant si nous ne sommes pas tombés dans un piège quand j’entends le chant d’un rossignol, bientôt répété par un autre et encore un autre. Et de derrière les arbres sortent plusieurs rebelles armés et cagoulés. Ma sœur est impressionnée et s’accroche à mon bras, apeurée. Je ne suis de mon côté pas trop surpris car je commence à connaître le côté spectaculaire qu’aime se donner ma mère. Pour cette rencontre, toute cette mise en scène n’est pas très utile.

Quand ma mère s’avance dans une robe d’un rouge vif dissimulé sous une cape pour le camouflage, Sylvia s’immobilise à mes côtés.

- C’est elle ? me demande-t-elle timidement.

- Ben qui crois-tu que je sois ! La mère Michel ? Je n’ai pas perdu mon chat, alors je suis juste la mère Zrinkak ! Allez, ne fais pas ta timide ! Viens me faire un baiser !

Ma soeur ne bouge pas mais Lila se précipite.

- Mami ! Tata Sylvia et Arthur m’ont dit que je pouvais venir ! Je suis trop contente !

J’observe ma sœur alors que Lila fait un gros câlin à la Gitane qui se rapproche un peu de nous. Elle est blanche et totalement tétanisée. Elle donne l’impression d’avoir vu un fantôme et c’est un peu le cas, en réalité. Maman est un fantôme du passé revenu nous hanter au présent.

- Sylvia, tu as toujours le même sourire, reprend notre mère. On te donnerait le Bon Dieu sans confession ! Tu es vraiment si sage que ça ?

- Tu le saurais si tu ne nous avais pas abandonnés. Tu saurais que Papa a galéré avec moi parce que j’étais en colère, bien loin d’être sage, souffle ma sœur.

- Excuse-moi, j’avais un pays à défendre. J’ai juste voulu vous protéger. Arthur, ta sœur est toujours aussi désagréable ?

- Moi, je suis content de te revoir, Maman, même si je te trouve complètement folle d’organiser cette rencontre si près du camp.

- Jusqu’à nous faire croire que tu étais morte ? Tu trouves que c’est nous protéger ? continue Sylvia sans se préoccuper du reste. Pas un mot, pas une lettre, rien qui aurait pu nous faire comprendre que tu étais en vie ? Rassurer Papa ? Tu parles d’une protection.

- Je pensais que l’on avait mis tous ces reproches de côté quand on avait pu échanger en visio, mais a priori, tu t’es décidée à reprendre à zéro, soupire Maman. Tu sais que tu aurais pu t’éviter tous ces kilomètres, si c’est juste pour ça ?

- Elle a raison, Sissi. Tu ne vas quand même pas passer le peu de temps en famille à lui gueuler dessus, si ?

- Excusez-moi d’avoir du mal à oublier ma rancœur. Peut-être que si elle n’avait pas débarqué là comme une conquérante sûre d’elle, mais plutôt avec l’air un minimum gêné, j’aurais réagi autrement. Mais elle s’en fout de nous, Arthur, depuis plus de vingt-cinq ans, elle n’en a rien à faire des ses enfants, elle n’est même pas désolée et ça fait mal.

Je ne dis pas que je l’avais prévenue, mais je constate que notre mère se rapproche de nous et, sans plus de cérémonial que ça, vient enlacer Sylvia et moi dans une large étreinte avant de poser un gros bisou qui claque sur la joue de sa fille.

- Mais si je t’aime, grosse bêta ! Tu penses bien que pas une journée ne passe sans que je ne pense à vous ! Mais vous vous en êtes quand même bien sortis sans moi et sans tous les soucis qui vont avec ! Allez, on repart de zéro, comme si j’étais votre mère adoptive plutôt que votre vraie mère indigne !

- Ça ne va pas être facile, soupire Sylvia sans pour autant s’éloigner, en sachant qu’on va se voir quelques minutes avant que tu ne retournes faire ta guerre.

- Ma guerre est celle de tout un peuple, ma belle. Celle de tout ton peuple, même si tu m’as l’air encore plus française que lorsqu’on a échangé en visio. C’est fou que tu aies oublié tout le silvanien que tu connaissais.

- La Silvanie m’a volé ma mère, tu croyais que j’allais faire quoi, développer une obsession pour ce pays ? Non, ce n’est pas mon peuple, Maman, mon peuple a moi est français.

Ma mère semble un peu gênée et je me décide à participer un peu à leurs échanges pour essayer de mettre de l’huile dans les rouages.

- Vous êtes bien mère et fille, l’une et l’autre. Vous avez pris toutes les deux une tonne de risques pour vous revoir, mais aucune ne veut baisser la garde avant l’autre ! Têtes de mules, faites vous une bise et profitez ! Ne gâchez pas cette rencontre comme on a gâché tout le reste !

- Oui, mon garçon, tu as raison. Je suis désolée, Sylvia, je regrette de ne pas t’avoir vue grandir, t’avoir accompagnée dans ta vie. Mais je suis heureuse de voir que tu es devenue une belle jeune femme. Je suis sûre que tu as dû bien t’amuser avec toutes tes conquêtes !

- Avec mes… Sérieux ? rit Sylvia. Bon sang, t’es folle, comme si j’allais te parler de mes conquêtes. Inconnue ou pas, tu restes ma mère !

- Ben, j’espère que tu as pris un peu de moi de ce côté là ! Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir !

- Eh les filles, on ne va pas commencer à parler de votre sexualité ! Bordel, ça fait cinq minutes qu’on s’est retrouvés et vous parlez déjà de choses que Lila ne devrait pas entendre.

La petite fille nous observe, amusée, et nous sourit.

- Vous êtes bizarres, les grands !

- C’est pas moi, c’est elle, marmonne Sylvia en prenant Lila dans ses bras. Je… Je suis contente de pouvoir te voir, Maman.

- Les femmes sont belles dans notre famille, en tous cas. Merci d’avoir abandonné ta famille pour venir me voir, ça me fait vraiment plaisir d’avoir mes deux enfants devant moi. Je ne pensais pas qu’un jour, ça arriverait. Je ne le mérite pas, vu ce que je vous ai fait subir. Bref, on s’en boit une pour fêter ça ?

- Là, à découvert, près du camp surveillé par l’armée silvanienne ? lui demande Sylvia.

- Moi je suis d’accord pour boire et fêter ça ! sourit Lila.

- Ah, elle au moins, c’est une vraie Zrinkak ! rit ma mère en sortant une bouteille de son sac.

Un de ses gardes du corps vient nous ramener des verres et rapidement nous trinquons à la santé de la Silvanie et à nos retrouvailles. Nous passons ensuite une heure à échanger sur des souvenirs et à parler avec ma mère de la vie de Sylvia en France avec ses enfants, son mari. Elle nous confirme que la situation s’est brutalement tendue à la capitale avec le dernier attentat qui a eu lieu contre l’armée. Elle soupçonne Ankhov d’avoir lui-même allumé la mèche, mais elle n’a aucune preuve. Elle espère toujours que le processus démocratique va continuer, mais c’est mal parti.

- Tu n’as vraiment pas bien choisi ton moment pour venir me voir, ma Puce. Je vais avoir du mal à me libérer avant que tu ne repartes.

- C’est de ma faute, Maman. Je pensais que les choses allaient se régler. Je me suis trompé. Mais elle va vite repartir maintenant qu’elle t’a vue !

- Il fallait que je vienne, j’en avais besoin, pour tourner la page et… Repartir de zéro, comme tu dis.

- Une fois tout ce désordre fini, je viendrai te voir en France et rencontrer ton mari pour lui dire qu’il a de la chance d’avoir une donzelle comme toi comme épouse ! Et pour me rendre compte par moi-même si tes enfants sont bien élevés. En attendant, trinquons une dernière fois avant de nous séparer !

- On verra ça, disons qu’on n’est plus à vingt ans près, soupire Sylvia, consciente que ce que dit notre mère ne veut rien dire ou presque après toutes ces années.

Effectivement, on n’est plus à vingt ans près. Mais ce moment marque sûrement le début d’une nouvelle vie pour ma sœur. Une vie où elle pourra dire d’où elle vient. Il faut espérer que la guerre se termine vite pour qu’elle puisse revenir avec sa famille et les faire renouer avec ses racines. Avec nos racines car, aujourd’hui, en présence de ma mère, je me sens plus Silvanien que je ne l’ai jamais été.

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