47. Contrôle familial

9 minutes de lecture

Julia

Je ferme la porte de mon bureau en sortant mon téléphone et souris en ouvrant le dernier mail d’Arthur. Il y a plusieurs photos de Lila et lui en train de grimacer, et mon cœur se gonfle d’amour pour ces deux êtres si loin de moi.

Le weekend dernier n’a pas eu l’effet escompté, mais j’ai passé un long moment au téléphone avec Mathias après avoir eu Arthur hier soir, et je constate que même à distance, mon ancien Sergent est efficace. Il me manque aussi, lui. C’est fou comme on s’attache aux gens, et je sais qu’avec Snow, ce sera pour la vie. Ce petit con m’est trop précieux, et je crois qu’il a conscience que je suis là aussi en cas de besoin. Pour preuve, son appel il y a quelques heures parce qu’il était dans la panade sur un point organisationnel.

- Lieutenant, tu pars enfin ?

Je me tourne et souris au Capitaine Torchet. J’aime beaucoup travailler avec lui à la base, et je sais ce qu’il vaut sur le terrain. C’est un homme bien, qui ne fera malheureusement plus d’OPEX suite à sa blessure au Mali. Nous avons un passif ensemble, mais ni l’un ni l’autre, nous ne manquons de professionnalisme. On a merdé en mission, certes, et j’en ai payé le prix à l’époque, mais ici, plus d’un an après, avec l’expérience supplémentaire et les retombées dues à notre petite aventure sur ma réputation, nous avons mis les choses au clair le jour où j’ai repris à la base et tout roule comme sur des roulettes.

- Oui, j’ai enfin fini mon rapport. Je te l’ai envoyé, d’ailleurs.

- Je devrais regagner mon bureau pour le lire et savoir comment se portent les recrues, mais j’ai la flemme et il est tard.

- Je vois, ris-je. En gros, j’y écris que les recrues souffrent le martyre et, entre nous, j’y prends un malin plaisir.

- Je n’en attendais pas moins de toi, sourit-il en me faisant signe de le suivre en direction de la sortie. Je t’enverrai le planning de la semaine prochaine, ce serait bien que tu restes à la base quelques jours. Je voudrais organiser une mission nocturne avec réveil surprise. Et on partirait deux ou trois jours pour l’habituel parcours d’orientation en équipes.

- On peut faire ça oui. Juste, si tu pouvais faire ça en fin de semaine, ça m’arrangerait. C’est l’anniversaire de ma mère mardi et ça fait trois ans que je n’ai pas été présente pour le D-Day.

- Pas de problème, mercredi à samedi soir, c’est bon pour toi ? me demande-t-il en me tenant la porte.

- Oui, on fait comme ça alors. Oh là là, j’ai déjà hâte de leur brailler dessus à deux heures du matin pour les réveiller, ris-je. Tu pars avec nous alors ? Ça va aller, ta jambe ?

- Oui, je vais venir, je ne suis pas handicapé tu sais ! Et puis, ça nous permettra de passer un peu plus de temps ensemble. Comme au bon vieux temps !

- Le bon vieux temps ne date que d’un an et quelques. On vieillit suffisamment vite, tu n’es pas obligé d’en rajouter une couche, souris-je.

- Toi, en tous cas, tu n'as pas pris une ride. La mission en Silvanie t'a fait du bien, tu es resplendissante.

- Rien que ça ? Alors profite du spectacle, parce que ma mère me gave comme une oie pour que je reprenne des kilos ! A ce rythme-là, je vais bientôt être moins endurante que nos petits jeunes en formation.

- Oh mais je profite, ne t'inquiète pas pour moi. Bonne nuit, Lieutenant. A demain. Je vais aller rêver un peu.

- Bonne nuit Capitaine, souris-je. A demain.

Je le laisse partir et me tourne vers la base. Cette base que j’ai toujours eu plaisir à retrouver, avant de partir en mission ou après. Un vrai chez-moi. Pourtant, cette fois, il me manque trop de choses pour vraiment m’y sentir bien. Un Snow qui débarque dans mon bureau après son service, notamment. Et la possibilité d’embrasser mon Bûcheron le soir. J’ai retrouvé cette base alors que je voulais rester là-bas, j’ai le retour amer et ça ne passe pas.

Je vérifie mes messages sur mon téléphone en franchissant le portail et sursaute en entendant mon nom. Malgré la pénombre de ce début de soirée, je reconnais la femme qui se dresse devant moi avant même de demander a qui j’ai à faire. Les mêmes yeux que son frère.

- Vous êtes Sylvia, c’est ça ?

- Ah, je vois que vous me reconnaissez. Je suis en effet la sœur d'Arthur. Vous finissez tard, dites donc !

- Arthur va bien ? lui demandé-je rapidement en me demandant pourquoi elle se pointe ici.

- Oui, lui est sur un petit nuage depuis qu'il vous connaît. Mais moi, je voulais juger sur pièce qui avait pris tant de place dans sa vie. On peut discuter ?

- Oh, je vois, ris-je nerveusement. Bien sûr. Vous voulez rentrer au chaud ? Ou on peut aller au bar du coin. Rassurez-moi, vous n’avez pas d’arme ? Arthur m’a dit que vous n’hésiteriez pas à me tuer si je faisais des bêtises. Mais, promis, je n’ai rien fait de mal.

Elle éclate de rire et pose sa main sur le haut de mon bras.

- J'aime bien ton sens de l'humour ! Je crois qu'on va s'entendre toutes les deux. Ce soir, je ne suis pas armée, mais peut-être que j'aurais dû. C'est qui le type pas mal qui vient de sortir ? Il avait l'air un peu trop heureux à mon goût. Genre, il vient de tirer son coup, si tu vois ce que je veux dire ! Mais pas toi. Il s'est fait plaisir tout seul dans son coin ?

- Peut-être, ris-je. Il va falloir que je mène mon enquête alors. C’est le Capitaine Torchet, mon supérieur. On est déjà parti en mission ensemble. Je t’assure que tu as bien fait de venir désarmée, s’il s’est fait plaisir, ce n’est certainement pas avec moi. Ça fait longtemps que tu m’attends ?

- Ouais, ça fait deux heures que je poireaute. Quelle idée de bosser aussi tard ! Tu m'étonnes que tu t'entendes bien avec Arti. Lui aussi bosse trop. Allons au bar, j'ai faim et je veux tout savoir sur toi !

- Ça marche, je te dois bien un verre.

Je lui fais signe de me suivre et nous gagnons le bar rapidement. Il ne fait pas bien chaud et Sylvia doit être frigorifiée. Je vois que le côté un peu fou des Zrinkak est généralisé et qu'Arthur connaît le côté protecteur d'une fratrie. Tu m'étonnes qu'on s'entende bien !

Le bar est fréquenté par quelques soldats qui me saluent d'un signe de tête lorsqu'ils m'aperçoivent. C'est ici que les gars viennent choper une nana avant de partir en mission. Il est connu pour être le repère de l'armée, et les femmes qui viennent ici, généralement, le font pour s'envoyer en l'air avec l'uniforme.

- Alors, qu'est-ce que tu veux savoir au juste ? lui demandé-je une fois que nous sommes installées et qu'un serveur a pris notre commande.

- Ben, d'abord, c'est vraiment sérieux avec mon frère ou je dois me préparer à ramasser à la petite cuillère son cœur d'artichaut ? Sois franche, hein, que je me prépare. Je ne suis pas là pour te juger.

- Eh bien, au moins c'est cash. Ok, pour la faire courte, je n'aurais pas risqué ma réputation et ma carrière pour un truc qui n'est pas sérieux. Je t'assure que je suis sincère avec ton frère et, pour être honnête, je déteste cette distance et la vis plutôt mal. Mais je m'accroche, il en vaut la peine.

- Cool alors. Bon maintenant, la question qui me turlupine vraiment. Tu lui trouves quoi à mon frère ? J'espère que tu réussiras à lui faire raser son horrible barbe ! On dirait un ours sorti des forêts ! dit-elle en riant.

- Merde, je vais perdre des points si je te dis que j'aime beaucoup sa barbe ? m’esclaffé-je. Je bosse avec des mecs tous rasés de près, j'adore son côté bûcheron, moi. Et je lui trouve plein de choses, à ton frère. Bon, franchement, au début j'ai eu envie de l’étriper, mais il est passionné et profondément bon, rêveur et drôle, sincère et sans faux-semblant. Bref, je passerai sur le côté beau gosse et tout ce qui touche à l'intime, mais ouais, j'ai trouvé plein de choses qui me plaisent beaucoup.

- Wow. Tu es vraiment mordue, toi ! Je ne vais pas avoir d'alliée dans ma grande bataille contre sa barbe, mais je pense que j'en aurai une pour l'étriper quand il agira avant de réfléchir. Il est con, parfois, tu as remarqué ?

- Oh ça, tu n’as pas idée, ris-je. J’ai eu envie de l’étriper plus d’une fois, mais il a pris du plomb dans la cervelle là-bas, je crois. Ou l’amour rend aveugle, qui sait !

Sylvia sourit et me regarde un instant alors que le serveur ramène nos boissons. Elle a aussi pris un sandwich et mord dedans avec entrain avant de se pencher vers moi, un peu plus hésitante que précédemment.

- Et ma mère… Tu l’as rencontrée ? Elle est comment ? Tu en penses quoi ?

- Ta mère ? Je peux te répondre honnêtement sans risquer de perdre des points ? souris-je avant de boire une gorgée de mon Mojito.

- Tu crois quoi ? Elle m’a abandonnée quand j’étais gamine, il n’y a pas de points à perdre après ça.

- Je croyais Arthur un peu fou, mais votre mère est complètement barrée. Tu sais, je ne sais pas trop ce qu’Arthur t’a dit de la situation en Silvanie, et je n’excuse pas le fait qu’elle vous ait abandonnés, mais le Président était un homme abject qui a usé et abusé de son pouvoir. Ta mère espérait pouvoir vous offrir un pays sans guerre, malheureusement ça a traîné bien trop longtemps…

- Et physiquement, je lui ressemble ? Je sais qu’elle est folle, mais j’aurais trop aimé avoir une maman en grandissant. Je ne sais pas du tout comment me positionner maintenant qu’elle est de nouveau vivante. C’est compliqué à vivre, tu sais ?

- Je ne sais pas, mais je peux l’imaginer oui, d’autant plus que j’ai vu ton frère dans la même galère. Tu lui ressembles, oui, les mêmes yeux, la même couleur de cheveux. Le regard moins marqué par la guerre qu’elle, c’est sûr, mais difficile de ne pas voir le lien.

- Tu sais que je t’en veux un peu ? me dit-elle en sirotant son cocktail.

- Ah oui ? Merde, pourquoi donc ?

- Je suis jalouse en fait. Tu viens de passer six mois avec mon frère, tu as vu et as pu échangé avec ma mère. Moi, je n’ai pas pu faire tout ça. C’est bête, cette jalousie, mais je ne peux pas m’empêcher de me dire que j’aurais aimé être à ta place. Tu dois me trouver folle.

- Un peu, mais c’est familial apparemment, ris-je. Crois-moi, tu es bien mieux ici, en sécurité. Avec une mère aussi connue que la tienne, pas sûre que te balader en Silvanie aurait été une bonne idée.

- Arthur m’a raconté comment vous avez été faits prisonniers. Tu dois être aussi folle que nous pour rester avec lui. Je crois que je te donne ma bénédiction, même si ça n’a aucune valeur et qu’Arthur fait bien ce qu’il veut !

- Je crois que la folie a déteint, ris-je en sortant mon téléphone pour regarder l’heure. Je suis désolée, mais j’ai un rencard virtuel dans trente-cinq minutes avec un fou, je vais devoir te laisser. Tu ne m’en veux pas ?

- Non pas du tout, je suis ravie de t’avoir rencontrée, Julia. J’espère que mon frérot ne va pas déconner et que vous allez continuer votre si belle relation. Je ne l’ai jamais vu si heureux, en tous cas. Vivement que l’on puisse se revoir. Fais-lui un bisou de ma part ce soir !

- Compte sur moi, Sylvia. Et… Si tu veux qu’on discute, passe-moi un coup de fil la prochaine fois, ça t’évitera de faire le pied de grue devant la grille, souris-je en notant mon numéro de portable sur un morceau de papier avant de le faire glisser jusqu’à elle. A bientôt !

- A très vite, Julia. Je te présenterai à mes enfants et à mon homme. Comme ça, tu auras l’impression de faire encore plus partie de la famille. Bonne nuit !

- Avec plaisir. Bon retour, attention à la route.

Je sors du bar un sourire aux lèvres, et pas seulement parce que mon rendez-vous avec Arthur approche. Les Zrinkak sont vraiment dingues, et le pire, c’est que j’adore ça. Franchement, oser venir me voir à la base ? Entre sa mère et sa sœur, Arthur doit avoir l’habitude des femmes de caractère. Si parfois je me demande ce qu’il me trouve, je comprends qu’il aime qu’on l’enquiquine et qu’on lui tienne tête, le Bûcheron. Et il a visé juste avec moi.

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