34. Départs en série

9 minutes de lecture

Arthur

Un coq chante et je profite de la normalité de ce son pour m’évader un peu alors que je suis toujours sous la couette, dans ma tente, Julia vêtue d’une simple nuisette dans mes bras. Elle dort paisiblement, blottie contre moi, comme elle le fait presque toujours. Autant j’ai eu des partenaires qui s’écartent et gardent leurs distances pendant la nuit, autant elle, c’est l’inverse. En journée, elle maintient un minimum de distance que je qualifierais de professionnelle. Par contre, la nuit, à l’abri des regards indiscrets, plus aucune distance. Juste une énorme proximité, des moments de fusion intense et elle se colle le plus possible à moi, pour mon plus grand bonheur.

Un peu plus loin, j’entends la respiration régulière de Lila toujours endormie elle aussi alors que le soleil commence à se lever. Je suis content de voir qu’elle ne fait plus de cauchemars depuis qu’elle est revenue dormir avec nous. Notre présence l’apaise et les rituels qu’on installe l’aident à se sentir mieux, je pense. J’attends avec impatience le moment où elle va ouvrir les yeux et venir nous rejoindre dans le lit comme elle a pris l’habitude de le faire ces derniers jours. J’adore sentir son petit corps tout chaud se glisser entre le mien et celui de Julia. On se fait des câlins, des bisous, on profite, et j’avoue que désormais, je suis plus qu’attaché à Lila. Et je pense qu’il en est de même pour Julia. Alors que je me demande si je ne vais pas réveiller Julia pour quelques câlins plus coquins, j’entends le grincement du matelas de Lila et rapidement, je la sens qui se glisse sous les couvertures et vient déposer un gros bisou sur ma joue barbue.

- Bonjour Lila, bien dormi ?

- Bonjour les amoureux ! Oui, on fait quoi aujourd’hui ? Bonjour Julia ! dit-elle en réveillant la jeune femme avec un gros câlin dans ses petits bras.

- Bonjour jolie Lila, sourit Julia en la serrant contre elle. Bonjour Beau Bûcheron.

- Aujourd’hui, c’est le départ de Mamy. Elle part pour la capitale pour commencer sa campagne. Tu sais qu’elle veut devenir Présidente de Silvanie, non ?

- Oui, elle me l’a dit ! Et même que quand elle sera au Palais, elle m’invitera, elle a dit !

Je ris et me penche pour embrasser Julia qui se réveille toujours plus lentement que nous deux. Je la serre contre moi et profite de cette intimité entre nous. Que j’aimerais que ces moments ne finissent jamais, mais nous avons à faire. Rapidement, nous nous préparons et après un bon petit-déjeuner au réfectoire, nous rejoignons ma mère dans la tente du Commandant. Les deux se sont vraiment rapprochés et ma maman a retrouvé une nouvelle jeunesse. Dès qu’elle la voit, Lila, toujours aussi expressive, se jette dans ses bras alors que Julia et moi nous montrons plus réservés.

- Tu es sûre que c’est une bonne idée d’aller à la capitale ? Il n’y a même pas de date pour l’élection encore. Ça pourrait être dangereux.

- Justement, si j’y vais, ça va lui mettre la pression pour les organiser. On ne va pas attendre un an pour savoir s’il est honnête ou pas, quand même !

- Soyez prudente, Marina, intervient Julia. Je sais que c’est tentant de relâcher la pression, mais on ne sait jamais…

- Si je meurs, ce sera en martyre, ce sera bon pour la cause. Et si je survis, ça voudra dire que le pays va bien et que tout se passe bien pour la Silvanie. Donc, c’est gagnant, gagnant ! Ne vous inquiétez pas pour moi, Julia. Je pars tranquille, en plus, car je sais que vous veillez sur mon Arthur. Sans vous, qui sait ce qu’il serait capable de faire ? Vous savez comme moi que quand une idée lui vient, il peut se lancer dans des projets complètement fous.

- Oui, j’ai souvenir de ses frasques, mais il s’est calmé quand même, rit Julia en la prenant dans ses bras. Faites attention à vous, ce serait dommage quand même de mourir en martyre alors que vous vous êtes retrouvés.

- Oui, Maman, ce serait bête, surtout que Sylvia est en train de s’organiser pour pouvoir venir te rencontrer. Tu ne verras pas tes petits-enfants, mais au moins tu pourrais revoir ta fille aussi.

- Tu crois qu’elle va vraiment le faire, Arthur ? Cela me fait un peu peur de l’imaginer ici. Surtout qu’elle n’est pas revenue depuis qu’elle était toute petite.

- On voit vraiment que tu ne la connais pas. Elle a dit qu’elle allait venir, elle va le faire. Le temps d’avoir les autorisations, elle sera là.

Je vois qu’elle est un peu heurtée par ma remarque, mais elle fait le choix de ne pas réagir et sourit tristement. Encore une fois, en effet, elle fait le choix de sacrifier sa famille et sa relation nouvellement reconstruite avec nous pour prendre des risques pour la Silvanie. Une partie de moi, le petit garçon sûrement, lui en veut toujours alors que l’autre l’admire pour sa persistance dans ses choix.

- Si je suis à la capitale, ce sera plus simple pour elle de me trouver que ça ne l’a été pour toi. Je suis contente de savoir que je vais retrouver ma petite fille.

- Petite ? Elle a plus de trente ans, la petite, ris-je doucement.

- Elle reste ma petite fille comme tu restes mon petit garçon… Je crois que toutes les mères voient leurs enfants comme ça même quand ils sont barbus et plus grands qu’elles, non ?

- Je suppose.

- Mamy, tu me diras quand tu seras au Palais, hein ? J’ai hâte de le voir !

- Promis, ma belle. Maintenant que le vilain troll n’y est plus, on va pouvoir y passer du temps, sourit ma mère en prenant Lila dans ses bras.

- Le vilain troll, j’espère qu’il n’a pas été remplacé par le vilain soldat, murmuré-je alors que Julia me serre le bras. Bonne route, Maman, je suis content que le Commandant t’accompagne en tous cas. Je suis plus rassuré. Tu as bien fait de te séparer de mon cousin. Il était trop bête pour assurer ta défense, même si je ne doute pas de sa bonne volonté.

- Je ne pouvais surtout pas m’envoyer en l’air avec ton cousin, alors qu’avec Ernest, sourit-elle en me faisant un clin d'œil. Allez, à très vite, mon Chéri. Fais attention à toi et écoute bien ce que Julia te dira, compris ?

- Oui, Maman, dis-je dans un sourire, comme si j’étais toujours le petit garçon qu’elle a abandonné.

- Bien, mon Chéri. Et vous, Julia, s’il lui arrive quoi que ce soit, je vous jure que je saurai vous retrouver jusqu’en Enfer si c’est nécessaire.

- C’est noté, belle-maman, autant d’amour, ça me fait chaud au coeur, rit Julia.

- Belle-maman ? rit-elle. J’espère que je serai invitée aux noces alors !

Avant qu’on ait pu répondre, elle sort dans un mouvement rapide et nous ne pouvons qu’admirer sa belle robe bleue turquoise alors qu’elle monte dans la voiture qu’a déjà préparée le Commandant. Ce couple va faire des malheurs, j’espère juste que ce ne sera pas au prix de leurs vies.

Nous la regardons s’éloigner avant d’entamer notre petite inspection quotidienne du campement. Les choses sont vraiment en ordre et Julia et moi pouvons nous féliciter de voir comme tout fonctionne. Ce n’est pas Mirallès qui aurait pu obtenir de tels résultats, c’est sûr ! Lila est avec nous et nous discutons un peu avec les réfugiés et les soldats que nous croisons. Tout à coup, nous entendons un peu d’agitation et la porte d’entrée du campement s’ouvre. Ma mère aurait-elle oublié quelque chose ? C’est étrange, mais non, ce n’est pas elle. Vu le véhicule, c’est le Colonel qui nous fait l’honneur d’une visite. Julia se tend immédiatement et me regarde sans que je puisse comprendre ce qu’il se cache derrière son expression.

- Qu’est-ce qu’il y a, Julia ? Tu ne t’attendais pas à sa visite ?

- Non… Ce n’est jamais très bon, une visite surprise, soupire-t-elle. Je vous laisse finir le tour sans moi, je vais voir ce qu’il nous veut.

- On vient avec toi, autant qu’on sache tout de suite pourquoi il est là. Et qu’on puisse te défendre, s’il faut, n’est-ce pas Lila ? Ensemble, il ne peut rien nous arriver !

- Sauf si tu fais des bêtises, c’est Mamy qui le dit, rit Lila en attrapant nos mains.

- Moi ? Faire des bêtises ? Pas possible, tu me surveilles.

Et c’est tous les trois ensemble que nous rejoignons le bâtiment principal où le Colonel nous attend devant son véhicule. Il discute avec Snow qui l’a accueilli à son arrivée.

- Colonel, le salue Julia en se mettant au garde à vous.

- Bonjour Lieutenant. Repos. Vous avez l’air en forme, ça fait plaisir.

- Maintenant que le camp tourne bien, c’est plus calme et moins lourd à porter, Colonel. Que nous vaut cette visite ?

- Où peut-on se voir en privé ? Dans la salle des opérations, c’est possible ?

- Heu… Oui, bien sûr. Allons-y.

- Quand vous dites en privé, vous ne voulez pas dire sans moi ? interviens-je. Tout ce qui concerne le camp me concerne aussi, non ?

- C’est que ça concerne surtout la Lieutenant, Zrinkak, c’est une affaire pour l’armée, pas pour les civils.

- Est-ce qu’il est arrivé quelque chose à l’un de mes proches, Colonel ? lui demande Julia, tout à coup sur les nerfs. Qu’est-ce qui nécessite absolument une discussion en privé ?

- Cela concerne votre demande de maintien ici sur le camp et celle de Snow. Si vous ne voyez aucun inconvénient à ce qu’on discute de ça avec Zrinkak, ça ne me dérange pas de l’inclure à nos échanges.

- Je… Ça concerne donc le camp, et par conséquent Arthur. Allez-y, nous vous écoutons.

- Allons nous asseoir, Lieutenant, il faut qu’on évoque différents sujets avec vous.

Je me demande si c’est une bonne idée d’y aller avec Lila, mais elle est accrochée à ma main comme une moule à son rocher. Nous montons donc les escaliers tous ensemble derrière le Colonel qui mène le train. Nous nous installons autour de la table, et Lila se met sur mes genoux. Tout le monde attend que le Colonel reprenne la parole.

- Alors, vous avez fait tous les deux une demande pour rester six mois de plus ici, en Silvanie. Vous savez tous les deux que ce n’est pas dans les procédures habituelles, n’est-ce pas ?

- Oui, Colonel, lui répondent Julia et Snow à l’unisson.

- Bien, je vous annonce que nous avons accepté la demande d’un d’entre vous ! Pour assurer la continuité de ce camp qui est si bien tenu, mais permettre à l’autre de prendre un repos bien mérité. C’est déjà formidable, non ?

Il m’énerve, le Colonel, avec son attitude où il ne dit pas tout, où il ménage ses effets et s’amuse avec son auditoire. J’ai envie de lui demander de se dépêcher de dire ce qu’il en est, mais je me contiens et ronge mon frein, en silence.

- Ça n’a rien de formidable, Colonel. Le Sergent Snow et moi partons en mission ensemble depuis plus de dix ans. On est une équipe, l’un ne va pas sans l’autre. La moitié de ce qui a été fait ici n’aurait pu avoir lieu sans lui, et inversement. Donc, là, vous dites que vous nous séparez ?

- Oui, nous vous séparons. J’ai la joie de vous annoncer que le sergent Snow est désormais le Lieutenant Snow et qu’il va prendre la suite ici de ce que vous avez commencé. Quant à vous, Lieutenant, vous avez la chance de pouvoir retourner en France dès la semaine prochaine. Un repos bien mérité après toutes ces émotions, n’est-ce pas ?

Mon monde est en train de s’écrouler. Dans moins d’une semaine, Julia va partir. Dans moins d’une semaine, je vais me retrouver sans la femme de ma vie. Comment est-ce possible ? Cette annonce du Colonel me glace le sang. Je regarde Julia qui semble aussi désespérée que moi et j’ai l’impression qu’un mur transparent est en train de se dresser entre elle et moi. J’ai l’impression un peu folle que je me retrouve sur un satellite qui vient de sortir de son orbite et s’éloigne à grande vitesse de sa planète. Julia s’en va, et moi je reste. Jamais je n’y survivrai.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0