31. Humanité ?

9 minutes de lecture

Si je vous dis que Lecossais est en face de moi et qu'on écrit parce qu'il pleut comme vache qui pisse dans ma jolie Normandie... C'est bizarre et plutôt sympa en fait, même si on est tous les deux bavards et que du coup, on avance moins vite. Mais bon, je peux vous dire qu'on a une histoire de plus de 700 pages en cours, donc. Techniquement, on peut bien prendre un peu de retard !

Il ne m'a pas encore fuie, c'est bon signe, non ? Ahah !


Bonne lecture !

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Julia

Je soupire en envoyant le rapport que nous avons bouclé avec Mathias. Je n’en peux plus de la paperasse, d’autant plus que celle-là a été plutôt corsée à finaliser.

- Je vais nous chercher du café.

- Je ne dis pas non, merci.

Snow sort de la salle des opérations et mon regard erre du côté du bureau où se trouve normalement Morin. Je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’il va nous quitter. Snow a raison, il ne peut pas rester, tout le monde se méfierait et ce serait un véritable cauchemar pour lui, mais ça fait chier.

Je suis perdue dans mes pensées quand mon ordinateur sonne. Rapide, le Colonel, et il doit encore avoir oublié de passer par la case lecture de rapport.

- Bonsoir, mon Colonel. Merci de m’accorder cet entretien de dernière minute, mais je pense que vous apprécierez une partie des nouvelles.

J’observe mon supérieur qui semble particulièrement fatigué. C’est sûr que jouer plus ou moins sur deux tableaux doit épuiser, et je me retiens de grimacer en repensant aux mots du Général sur ses goûts particuliers.

- Je serai brève, continué-je alors qu’il n’a fait qu’acquiescer, preuve que je l’emmerde très certainement. Le Président Lichtin est mort il y a quelques heures.

- Je vous demande pardon ? Qu’est-ce que vous avez dit ? s’étonne-t-il en s’approchant de son ordinateur.

- Le Président n’est plus de ce monde, Colonel. Il a été tué cet après-midi.

- Tué ? Par qui ? Pas par les rebelles, aux dernières nouvelles, ils sont encore loin de la capitale !

- Par son Général… Qui reprend les rênes du pays. Il doit parler aux médias ce soir d’ailleurs.

- Mais c’est quoi cette histoire ? Lichtin remplacé par Ankhov ? Il a quoi en tête ce général ? Rassurez-moi, Lieutenant, vous n’avez pas participé au coup ? Vous étiez au Palais, non ? Snow n’a pas voulu m’en dire plus, mais vous étiez là-bas pour affaires, je crois.

- Non, mon Colonel, pour être honnête avec vous, je ne l’ai absolument pas vu venir… Je m’attendais à un échange houleux avec le Président, au lieu de quoi, après quelques minutes, j’ai assisté à son assassinat. Croyez-moi, je ne le portais pas dans mon cœur, mais si j’avais pu éviter de voir ça, je n’aurais pas dit non. Tout est noté dans le rapport que j’ai fait avec Snow, Monsieur, dis-je alors que Mathias dépose une tasse de café devant moi et salue le Colonel.

- Ah oui, le rapport. Vous avez fait des études littéraires ou quoi ? J’ai ouvert le doc, il y a presque dix pages ! Vous pensez que j’ai que ça à faire de tout lire ? Vous avez quoi comme autre info à part la mort de Lichtin ? C’est ça qui prend vos dix pages ?

- Non, soupiré-je. Pendant mon absence, l’espion qui se trouvait sur le camp a été débusqué, Monsieur. Et… C’est l’un de nos hommes. Attendez avant de m’interrompre, je vous en prie. Lichtin était fourbe, il a menacé sa famille, est même allé jusqu’à faire en sorte que sa fille soit blessée, Colonel.

- Un de nos hommes ? N’importe quoi. Lichtin a beau être fourbe, il n’a pas pu aller jusque là quand même ! me répond-il assez hypocritement.

- Colonel… Je suis au courant de tout. J’ai eu un échange très intéressant avec le Général au Palais. Je n’ai pas tout noté dans le rapport, mais je sais que vous avez été, vous aussi, approché.

- Approché ? Que voulez-vous dire par là ? Je n’ai rien à me reprocher, moi, Lieutenant. Cessez donc vos sous-entendus !

- A vos ordres, Colonel, dis-je avec un sourire en coin. Toujours est-il que Morin a tout avoué à Snow, et qu’il a tenté de résister aux pressions du Président autant que possible. Mais quand sa fille a été blessée, il n’a pas eu le choix. Bref, j’aimerais qu’on fasse en sorte que tout se passe au mieux, même s’il est évident qu’il ne peut pas rester ici. C’est un gars bien, un bon soldat, qui mérite de pouvoir continuer à faire son métier.

- Un soldat qui a trahi et mis en danger tout le monde, oui ! S’il avait parlé, on aurait pu protéger sa famille ! J’espère qu’il est aux arrêts, là !

- Colonel, je vous en prie, vous savez aussi bien que moi de quoi Lichtin était capable. Un peu d’humanité et de tolérance. Morin a un dossier parfait, j’ai une confiance absolue en lui. Il a été mis au pied du mur et était terrifié pour sa famille. Je crois que moi aussi, j’aurais flanché à sa place.

- Si je comprends bien, vous voulez qu’il ne soit pas sanctionné pour sa trahison ? Mais vous rigolez, Lieutenant, pour lui, c’est le tribunal militaire directement !

- Non, je ne plaisante pas, Colonel, je ne suis pas réputée pour ça. Morin a donné le minimum d’informations alors qu’il avait accès à tout. Sa fille a une jambe dans le plâtre et un traumatisme à vie pour l’armée. Qu’est-ce qu’on fait si on le sanctionne pour avoir voulu protéger les siens ? Pardonnez-moi, Colonel, mais j’ai un cœur, une famille pour qui je ferais tout, et je ne pense pas qu’envoyer Morin devant le tribunal fasse de nous une instance respectable.

J’affiche une confiance sans faille alors que j’ai les tripes nouées. Je m’attendais à moins de lutte avec lui en sachant qu’il a également eu affaire à Lichtin. Bordel, Germain ne lâche rien et son hypocrisie est insupportable.

- Lieutenant, arrêtez donc de défendre cette vermine qui nous a trahis. L’armée a des valeurs, et il faut les respecter !

- Des valeurs, m’esclaffé-je. Parlons-en des valeurs, mon Colonel. On peut peut-être parler des vôtres aussi, non ? Si Morin nous a trahis, qu’en est-il de vous ? Plier à la demande de Lichtin en arrêtant Arthur Zrinkak, quelle valeur ? De quoi vous a-t-il menacé ? Je vous en prie, je ne veux pas en arriver à faire remonter les informations que j’ai à votre sujet, Colonel. Je vous respecte et j’aime travailler sous vos ordres, mais Morin est un type bien et l’armée a autant besoin de lui qu’elle a besoin de vous.

Le Colonel me regarde en plissant les yeux. Je vois qu’il se demande ce que je sais et quelles informations je serais prête à dévoiler le cas échéant.

- Vous proposez quoi, alors, Lieutenant. Quelle serait, à votre avis, la juste sanction ?

- Retour immédiat en France et petit séjour avec les nouvelles recrues, Colonel. Rappel à l’ordre, évidemment, et pas de retour aux communications tant qu’il n’aura pas fait ses preuves.

- Je suppose que l’on peut faire ça. J’envoie une équipe le chercher dès demain. Autre chose, Lieutenant ?

- Non Colonel, ce sera tout. Je vous laisse à vos occupations, quelles qu’elles soient, dis-je en laissant planer un silence qui j’espère lui fait comprendre que je sais. Bonne soirée, Colonel, et merci.

Il ne me répond même pas et se déconnecte après avoir acquiescé rapidement. Je crois que j’ai froissé mon supérieur. Si j’avais encore un infime espoir de rester au-delà de ma mission, il vient de s’envoler, je crois. Je soupire lourdement et referme mon ordinateur, tombant sur le sourire de Snow.

- Pas de commentaires… Je vais aller voir Morin.

- Très bien, mais bien joué quand même, Ju.

- Ouais, à quel prix, hein ? Dans un mois, je ne suis plus là, tu peux en être sûr…

- Tu crois que tu ne pourras pas continuer à lui mettre la pression ?

- Ce n’est pas moi, ça, dis-je en me levant. J’ai l’impression d’être une Lichtin en puissance, ça me file la gerbe. Et puis, de toute façon, ce n’est pas uniquement lui qui décide… Il donne son avis, pour le reste, je crois que les articles d’Arthur et moi auront suffi à invalider ma demande. A plus tard, Snow. Tu peux voir pour qu’on reçoive la chaîne des informations d’ici pour le discours du Général ?

- Je m’en occupe, cheffe ! Courage, on trouvera des solutions !

- On verra ça, oui. Merci.

Je sors de la salle et descends les escaliers rapidement avant d’entrer dans l’une des chambres de mes hommes. Morin est là, assis sur son lit, la tête basse, et Collins, évidemment, se la joue gros bras pour changer.

- Sortez d’ici.

Mon ton doit être suffisamment froid pour que même Collins ne l’ouvre pas. Lui et les deux autres hommes présents, comme si c’était nécessaire, sortent sans broncher, non sans avoir lancé un regard noir à Morin qui a levé les yeux vers moi. Je me faufile entre les couchettes et m’assieds face à lui.

- Le Général Ankhov m’a appris la nouvelle, et le Sergent Snow n’a pu que confirmer. Je suis déçue, Florent, vraiment.

- Désolé, mon Lieutenant. Je n’ai pas su être assez fort… Je… commence-t-il avant d’éclater en sanglots.

- Regardez-moi, Sergent, ayez au moins l’honnêteté d’assumer vos actes. Vous avez voulu protéger votre famille, c’est entendable. Ça n’excuse pas tout, mais je peux le comprendre.

- Je vous jure que j’ai tout fait pour résister et que je lui ai donné aussi peu d’informations que je pouvais, Lieutenant.

- Je le sais, Florent. Je n’en doute pas une seconde, parce que j’ai confiance en vous. Ce qui me déçoit, c’est que vous n’ayez pas eu assez confiance en moi pour venir m’en parler, soupiré-je.

- Il m’avait dit qu’il tuerait ma fille si j’en parlais à qui que ce soit. J’ai pas osé. Je suis un raté, et maintenant, je vais finir dans une prison militaire. De toute façon, je ne mérite pas mieux.

- Comment va votre fille, d’ailleurs ?

- Ça va, elle s’est remise de son accident. Mais ce n’était pas un accident, vous le savez aussi bien que moi.

- Effectivement, je le sais. Écoutez, si ça ne tenait qu’à moi, je vous collerais de latrines jusqu’à la fin de votre mission ici pour le geste, mais je sais que lorsqu’il s’agit de la famille, toute rationalité nous quitte. C’est l’instinct de protection qui prend le dessus. J’aurais vraiment aimé que vous m’en parliez, comme j’aurais aimé que vous ne révéliez pas ce qui se passe entre Arthur et moi au Colonel. Mais, certes, c’était sans doute une information moins dangereuse que lui révéler que nous organisions une évacuation, ou que la Gitane était sur le camp, ou que nous sortions à telle heure, tel jour.

- J’ai fait ce que j’ai pu, mon Lieutenant. Je ne suis qu’un simple être humain. Désolé de ne pas avoir été à la hauteur. J’assumerai les conséquences et la prison.

- Vous n’irez pas en prison, Sergent. Ce n’est pas au programme. En revanche, vous repartez pour la base demain, et j’imagine pour la France dans la foulée. Et vous ferez un stage avec les nouvelles recrues au pays, histoire de vous rappeler ce que vous avez subi pour en arriver là où vous étiez jusqu’à il y a peu.

- Oh merci Lieutenant ! Je suis sûr que c’est vous qui avez convaincu le Colonel d’être magnanime !

- Je vous l’ai dit, j’ai confiance en vous. J’espère qu’ils vous laisseront voir vos proches avant de vous embarquer en stage. Et j’espère aussi vous retrouver sur ma prochaine mission Sergent Morin, requinqué et prêt à servir votre pays, quoi qu’il en coûte, dis-je en me levant.

- Je serai prêt, Lieutenant. Je vous le jure, rajoute-t-il en se levant pour me prendre dans ses bras.

- Prenez soin de vous. Et montrez-leur, là-bas, que vous êtes toujours aussi engagé. Je vous libère de Collins, mais je vous demande de rester dans la grange en attendant votre départ et de ne pas remonter aux communications, évidemment. On vous apportera vos repas. Oh, au fait, Sergent… Lichtin est mort. Vous êtes libre et votre famille est en sécurité à présent.

- Je ne sais pas comment vous remercier, mon Lieutenant. Tout ça est si… Merci !

- Ne me remerciez pas, c’est le Capitaine Torchet qui s’occupe des recrues à la base, vous allez souffrir. Et… Je saurai faire appel à vous si besoin. Vous m’en devez une, soldat, souris-je.

- Oui, Lieutenant, à votre service !

Je le salue et sors de la chambre alors qu’il se met au garde à vous. Je crois que je me ramollis avec l’âge. C’est pas possible autrement. Je voulais lui passer la soufflante de sa vie pour qu’il se rappelle bien ce que ça fait de trahir son supérieur, au lieu de quoi j’ai joué la gentille et compréhensive Julia. Faut croire qu’Arthur le rêveur déteint sur moi…

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