24. Sortir ses griffes

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Arthur

Je quitte Julia à contrecœur pour essayer de retrouver ma mère. Je n’ai aucune idée de l’endroit où elle a pu s’installer, tout ce que je sais, c’est qu’elle m’a dit qu’elle s’occupait de Lila et que je devais en profiter pour tremper ma mouillette. Ma mère et ses expressions…

- N’empêche que tu l’as bien trempée, ta mouillette. Et que tu aurais encore bien continué à le faire !

C’est vrai que je suis presque frustré de quitter Julia alors que je n’avais peut-être encore jamais connu une telle félicité. Une telle satisfaction. C’est dingue. Insensé.

- Arrête de sourire comme un con, ou c’est sûr que ta mère va se moquer de toi jusqu’à te rendre fou !

J’ai presque envie de répondre à ma petite voix que je m’en fous, mais je me raisonne. Je ne vais quand même pas argumenter avec moi-même ! Je ne suis pas fou à ce point-là, si ?

Je sors du bâtiment sans avoir vu trace de ma rebelle de mère. Les soldats ont commencé à reprendre leurs quartiers, les réfugiés aussi. L’ambiance est festive et c’est souvent ce qui arrive quand les gens réalisent qu’ils ont échappé à la mort et qu’ils sont encore bien vivants.

- L’ambiance est festive et je suis sûr que ça va bien baiser ce soir. Rien de mieux qu’une petite activité au lit pour se prouver qu’on est vivant ! Tu es bien placé pour le savoir, Tutur.

Eh bien, elle ne s’arrête plus, ma petite voix. Est-ce à cause de l’émotion d’avoir survécu ? De la folle nuit d’amour que j’ai passée et qui m’a complètement comblé ? En tous cas, je constate que les gens reviennent et retrouvent leurs emplacements comme si rien ne s’était passé. La résilience de ces peuples qui connaissent la guerre m’étonnera toujours. Je demande à ceux que je croise s’ils ont vu la Gitane et tous m’indiquent la tente du Commandant où je me rends en sifflotant sous le doux soleil de cet hiver silvanien. Je frappe sur la toile comme c’est devenu la coutume dans le camp, et, effectivement, la voix de ma mère me signale d’entrer.

- Bonjour Maman, pas facile de te retrouver. Tu as bien dormi ?

- Dormi ? pouffe-t-elle en jetant un œil au Commandant que je découvre toujours allongé dans son lit, torse nu. Disons que la nuit a été… Enrichissante !

Elle rit en venant m’embrasser et me serrer dans ses bras. Je sens clairement une odeur un peu ambrée, très masculine et mon regard se porte tour à tour sur les deux alors que je comprends ce qu’il s’est passé. Cela me perturbe un peu, je préfèrerais penser à autre chose, mais il faut que je me fasse une raison. Ma mère est veuve désormais, et elle s’est trop privée. Qui suis-je pour oser lui interdire quelque chose ?

- Et Lila, elle est où ? Ça ne valait pas le coup de la prendre avec vous si c’était pour avoir le même programme que nous, au final !

- Ne t’inquiète pas, elle a dormi toute la nuit sans entendre nos petites folies. Par contre, elle s’est réveillée à plusieurs reprises en raison de cauchemars sur la guerre au vu de ses cris. Tu n’as pas un psy dans ton équipe ? Le responsable financier a fait des économies sur la santé des réfugiés ?

- Le responsable financier n’avait pas d’argent pour financer un poste médical, Maman. Bon, je récupère Lila. Je suis juste passé vous dire aussi que Julia veut vous voir dans trente minutes dans la salle des opérations. Pas de bêtises, sinon vous allez être en retard !

Je récupère la petite fille pas très loin de la tente en train de raconter aux autres enfants comment Julia a sauvé tout le monde, Je souris à l’écouter romancer toute l’histoire, mais me dis qu’elle a déjà vécu énormément de choses pour son âge. En tous cas, rentrer avec elle, main dans la main, m’aide à ne pas trop penser à ma mère qui se donne à un autre homme que mon père. Je lui en veux même si je sais que ce n’est pas raisonnable. Elle a au moins eu le bon goût de le respecter jusqu’à sa mort et je devrais m’en réjouir. Mais savoir qu’elle donne ce dont elle a privé mon père toute sa vie me perturbe.

C’est dans cet état d’esprit que je retrouve Julia en grande discussion avec Snow. Ils s’arrêtent quand nous entrons, ce qui, là aussi, me perturbe un peu. La complicité qu’ils ont tous les deux est forte et, parfois, je me sens exclu. C’est bête, c’est irrationnel, mais c’est comme ça. Je soupire et suis heureux de voir Julia me serrer dans ses bras avec Lila. Content de voir que c’est à moi aussi qu’elle distribue ses bisous et pas à Snow. Stupide jalousie.

J’accompagne Lila dans la chambre de la Lieutenant et me mets à dessiner avec elle pendant que Julia et Snow discutent à voix basse dans la salle à côté. Je tends l’oreille mais ne parviens pas à saisir ce qu’ils se disent. Lorsque la Gitane arrive avec le Commandant, je me dis que le Bûcheron va enfin pouvoir discuter avec Snow dans le rôle de Blanche Neige, ma mère dans celui de la Reine Mère, et la Lieutenant dans le rôle de la Belle avec le Commandant qui pourrait faire la Bête.

- Il manque des nains dans ton histoire, non ? Et la Bête, c’est pas le même délire, tu deviens fou, mon petit.

Je me traite intérieurement de débile mental avant de laisser Lila dans la chambre de Julia pour retrouver les autres. C’est ma mère qui attaque immédiatement, en entrant dans le vif du sujet de manière directe comme d’habitude.

- Alors, Julia, pourquoi nous avoir fait venir ici ? Pas pour parler des prouesses de mon fils au lit, quand même ?

- Je vois que vous n’avez pas perdu votre bagou, Marina. Évidemment, je compte passer une heure à tout vous raconter, vous n’êtes que sa mère de toute façon, lui répond Julia, taquine. Non, je voudrais connaître vos intentions concernant Lichtin.

- Nos intentions ? Elles ne sont pas claires ? Vous êtes peut-être mignonne, mais pas bien maligne, Julia. Je veux le retrouver et le couvrir de bisous ! se moque ma mère, qui a quand même l’air intrigué.

- Est-ce qu’on pourrait être sérieux cinq minutes ? En plus, vous imaginer embrasser le Président me donne envie de vomir… Beurk ! grimace Julia. Arthur va en faire des cauchemars à coup sûr.

- On va le renverser, le Président, intervient le Commandant. Marina veut prendre son temps, mais si vous avez une solution, demain, on l’attaque.

- Croyez-moi, j’adorerais vous accompagner et faire du vide là-bas… Mais, je suis là sous couvert de l’ONU, je ne peux pas prendre parti. Enfin, pas officiellement. Mathias, dit-elle en faisant signe à Snow qui dépose deux dossiers devant nous. Vous avez là toutes les informations récoltées sur ce type et son armée, clairement de quoi le calmer, et éventuellement réussir à le faire destituer, j’imagine.

- Vous croyez que quelques papiers vont le faire flancher ? Il y a quoi là dedans ? demande ma mère.

- Je vois que votre fils tient de vous, bougonne Julia. Si on vous donne un dossier, c’est pas pour vous dire ce qu’il y a dedans mais pour que vous l’ouvriez pour constater par vous-même. Là dedans, il y a des preuves que Lichtin bombarde des villages sous couvert d’attaque de la rébellion, incluant notre camp. Il y a aussi des clichés de militaires lors de passages dans les villages touchés, qui font mal au cœur de par leur brutalité dirigée vers femmes et enfants. Il vous faut d’autres détails ou vous ouvrez ce fichu dossier ?

Ma mère n’ouvre pas le dossier mais dévisage Julia. Les deux femmes se jaugent, se regardent pour savoir jusqu’où l’autre est prête à aller. Finalement, ma mère baisse les yeux.

- Pas besoin de l’ouvrir, j’ai assez vu de massacres comme ça. On va l’envoyer directement aux médias. Ils se feront un plaisir de diffuser l’information. Ça le calmera peut-être… Mais il ne tombera qu’à la force des armes…

- Je préfère largement le plan de la Gitane au tien, Ju, intervient Snow. Ça, c’est sensé !

- Boucle-la, Snow, soupire Julia. Vous ne pensez pas qu’on peut se servir de ce dossier pour le faire chanter et l’amener là où vous le souhaitez ?

- Oui, Julia a raison, dis-je finalement. Quand les armes parlent, les voix se taisent et les gens meurent. Je pense que si quelqu’un lui montre tout ça, il va se barrer aux îles Caïmans ou dans un autre paradis fiscal et on pourra le remplacer démocratiquement. Sans violence. Ça vaut le coup pour sauver des vies, notamment.

- Attends de connaître le plan au complet avant de t’avancer, le Bûcheron, s’esclaffe le Sergent. Parce que ta belle compte aller déposer elle-même ce dossier sur le bureau du Président.

- Quoi ? N’importe quoi ! C’est quoi cette idée de merde ? m’énervé-je aussitôt. Tu es complètement folle ou quoi ?

- Ah ben voilà, tu fais moins le malin là, Zrinkak !

- Mathias, ça suffit, s’agace Julia. Si je veux faire ça, c’est pour assurer la sécurité du camp, et la tienne aussi. On sait très bien que Lichtin va chercher à te récupérer pour faire flancher Marina. Avec ce dossier, il ne pourra rien faire sans que les conséquences soient désastreuses pour son image. Et avec un peu de patience et du doigté, qui sait si on ne peut pas le pousser dans ses retranchements ?

- Tu es folle, Julia. Moi, je ne valide pas ce plan, dis-je avec force. Il y a tellement d’incertitudes ! Tu ne vas pas te jeter dans les griffes du loup, quand même ?

- Si, mais pas sans sortir les griffes, moi aussi. Je veux voir ses yeux de pervers s’animer de colère et son assurance de porc flancher. Et je veux être certaine que le camp ne risquera plus aucun bombardement. Soyons honnêtes, dans un mois et quelques, je ne suis plus là. Jamais ma demande ne sera acceptée, encore moins avec ton cliché envoyé aux médias, Arthur. Je ne peux pas partir en sachant que toi ou le camp êtes en danger à cause de ce pourri.

- Elle a raison, souligne ma mère. Et si c’est Julia qui le fait, pris par son envie et sa perversion, il ne se méfiera pas comme avec une autre personne. Julia peut même expliquer qu’elle est séduite par sa force, à ce pervers. Un vrai moyen de l'entraîner dans ce piège sans trop de difficulté. Je suis pour.

- Je suis surtout séduite par l’envie de lui couper les couilles, mais soit. Tu te rappelles de ce que tu me reprochais, Zrinkak, quand on s’est rencontré ?

- Je t’ai reproché tant de trucs, tu parles de quoi ?

- D’utiliser les armes à outrance ? De ne pas réfléchir et de foncer tête baissée ? De ne pas assurer la sécurité comme il fallait ? Au choix, sourit-elle, fière de me montrer qu’elle fait tout le contraire avec cette idée.

- De toute façon, elle a déjà décidé, m’interpelle ma mère. Cela se voit dans son regard. Ta petite amie est folle, Arthur. Je l’aime bien, hein ? Mais elle est encore plus barjo que moi !

Je la regarde et constate qu’en effet, rien ne la fera changer de décision. Je me dis que faute de pouvoir lui faire changer d’avis, il va falloir que je m’organise avec Snow qui fulmine aussi pour l’empêcher de se lancer dans cette aventure aussi dangereuse qu’insensée.

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