19. Trouver Lila

7 minutes de lecture

Julia

Je m’engouffre dans la grange en appelant Lila encore et encore, totalement paniquée. Je n’arrive pas à croire que nous ayons perdu la petite, et l’idée de la laisser là m’est insupportable. J’ouvre les portes du rez-de-chaussée les unes après les autres, sans cesser de l’appeler, suivie de près par Arthur, qui semble tout aussi chamboulé que moi, si ce n’est plus.

Tout était bouclé, bon sang, tout était parfait. Marina nous a permis de gagner un temps essentiel pour terminer de mettre tout le monde en sécurité. Je ne sais pas vraiment ce qu’elle a fait, mais le principal, ce sont ces minutes supplémentaires qui ont permis au dernier camion de partir chargé. De mon côté, j’étais prête à me faire du militaire, prête à répondre à l’attaque du Président, à défendre ce territoire qu’il compte nous enlever, cet espace que nous avons mis tant d’implication à construire. Mais le Commandant devra se débrouiller sans moi, et j’espère qu’il n’y aura aucun blessé chez les réfugiés, ni accident avec ces armes de l’armée française que je leur ai confiées, sinon, autant dire que ma carrière militaire est terminée.

Je suis Arthur dans les escaliers et m’engouffre dans la salle des opérations alors qu’il ouvre la porte de mes quartiers. Personne ici, je commence à désespérer, c’est le lieu qui me semblait le plus logique pour qu’elle soit venue se cacher.

- Julia, elle est là !

Un énorme soupir m’échappe et je sens tout mon corps se détendre en un instant. Je les rejoins dans ma chambre et trouve Lila blottie dans les bras d’Arthur qui la câline tendrement. Le tableau est des plus adorables, et je ne peux m’empêcher de les rejoindre pour les enlacer.

- Qu’est-ce que tu faisais là, Jolie Lila, voyons ? dis-je doucement en caressant ses longs cheveux.

- Tu es la cheffe, j’avais peur et toi tu protèges. Mais tu n’étais pas là, dit-elle en sanglotant.

- On est là, maintenant, tout va bien. Il faut qu’on file, et vite.

- Julia, on n’a plus le temps de rejoindre la Grotte, là. Et le Commandant, il doit pas être à côté. Tu veux qu’on essaie quand même d’aller le retrouver ?

- Pas avec Lila, c’est trop risqué… On peut peut-être rejoindre le camion, non ? Non… Il vaut mieux qu’on se mette à l’abri, tu as raison. On file à la cave de la maison, c’est le plus sécurisé. Ça te va ?

- La dernière fois qu’on s’est retrouvé dans une cave, j’en suis sorti blessé. Tu es sûre que c’est une bonne idée ?

- Je te promets de ne pas t’attirer dans un trou pour te sauver la vie. Allez, arrête de discuter, il faut qu’on traverse un bout du camp, on n’a pas le temps…

J’enlève mon casque que je dépose sur la tête de Lila en lui faisant un clin d'œil, et tire le bras libre d’Arthur pour l’entraîner à ma suite dans les escaliers. Le camp est bien trop silencieux, on dirait un village fantôme angoissant, si bien que le sifflement bien reconnaissable de l’obus qui fend l’air ne nous échappe pas. Le corps de ferme n’est plus bien loin, mais il suffirait d’un coup de malchance pour que, sur la taille du camp, ce soit là, sur nous, que tombe cette bombe.

- Par là !

Je dévie de ma trajectoire et entraîne mon Bûcheron avec moi pour nous abriter derrière la benne à ordures quelques secondes seulement avant que le sol ne tremble sous nos pieds et que le bruit de l’explosion fasse siffler nos oreilles. Lila presse ses mains sur les miennes, posées sur ses oreilles, et le regard d’Arthur doit refléter le mien. La peur y est inscrite à l’encre indélébile. Un nuage de fumée nous recouvre rapidement et je me relève quelques secondes pour constater que ce que je pensais est bien ce qu’il s’est passé : un bout de la maison a été touché, ainsi que la partie du campement des réfugiés qui la jouxtait.

- Ok, on ne traîne pas, crié-je sans doute, les oreilles encore sifflantes. On n’est pas loin de la maison. C’est bon ou tu veux que je prenne le relais avec Lila ?

- Ça va, je ne la lâche pas. Je te suis !

Je l’embrasse sur la joue et me relève pour reprendre notre course en direction de la maison, ou de ce qu’il en reste. J’espère que le plancher de l’étage ne s’est pas totalement effondré, sinon nous n’aurons pas accès à la cave et ce serait vraiment la merde. Arthur suit le rythme et, dieu merci, nous arrivons avant d’entendre à nouveau siffler dans le ciel. L’entrée étant détruite, je nous fais contourner la maison et grimpe par la fenêtre de la cuisine avant de récupérer Lila, qu’Arthur me tend de l’extérieur. La petite est en larmes et mon cœur se serre à l’idée qu’elle sera marquée à vie par cette journée.

La trappe de la cave est à quelques pas, et le grincement qu’elle fait lorsque je l’ouvre me rassure instantanément. Nous y sommes, nous allons survivre. Sentiment qui ne dure pas puisqu’un nouveau son désagréable perce le calme de la campagne.

- Vite, Arthur, descends !

Mon Bûcheron ne se fait pas prier et emprunte l’échelle qu’il dévale rapidement, avant de me tendre les bras pour récupérer Lila. Le sol tremble à nouveau sous mes pieds et j’ai tout le loisir de voir, à travers le trou béant de la maison, la terre du champ s’envoler. Nos vaches viennent de voir leur trois étoiles en partie ravagé. Je m’engouffre dans le trou de la cave et referme la trappe derrière moi avant de finir de descendre l’échelle. Je m’empresse de récupérer ma lampe torche pour nous éclairer et aller allumer les lampes à huile que nous avons laissées ici.

- Vous allez bien ? Est-ce que vous êtes blessés ? demandé-je sans pouvoir m’empêcher de les toucher pour les examiner.

- Oui, ça va. Ça faisait du bruit, mais c’était pas sur nous. Pas de bobo, Lila ?

- Non, chouine la petite puce en nichant son nez dans le cou d’Arthur. J’ai peur.

- T’inquiète, on est avec Julia, lui dit mon Bûcheron en la câlinant. Rien ne peut nous arriver. Elle a dit qu’elle allait nous protéger, Wonderwoman, on ne risque rien. Et puis, ici, c’est comme dans un château, non ? Le dragon ne peut rentrer et la princesse est en sécurité.

Nous sursautons tous les trois en entendant une nouvelle bombe s’écraser pas bien loin d’ici.

- C’est pas un dragon, Arthur, c’est des bombes, n’importe quoi ! lui reproche Lila, me faisant sourire.

- Ah mince, on m’a menti ! Encore un mauvais coup de l’armée, ça ! Julia ! Pourquoi tu m’as dit que c’était un dragon ?

- Tu es bête Arthur, lui lance la petite fille en lui faisant une grosse bise sur la joue barbue. Et tu piques !

- Elle a raison, tu es bête, tu piques, et en plus tu es culotté de me coller ça sur le dos, dis-je en l’embrassant sur l’autre joue.

- Ça me va, moi, si je récupère autant de bisous en étant bête ! Et si je chante une chanson, j’ai encore le droit à des bisous ?

- Ça dépend de ce que tu chantes, n’oublie pas que je suis armée, quand même.

Je lui fais un clin d'œil et enlève le casque de la tête de Lila avant de me débarrasser de mon Famas et mon gilet par-balles. L’espace est bas de plafond et très sombre, je déteste ça, mais c’est le meilleur endroit possible pour survivre à cet instant.

- Vous avez soif ? Faim ? Il y a ce qu’il faut, dis-je en tirant sur le matelas qu’on a stocké là avant de récupérer des couvertures.

- Moi, je veux bien à boire, dit Lila en se blottissant entre Arthur et moi, trait d’union tout mignon entre les deux adultes de son monde.

- Bien ma petite demoiselle. Dans une minute, je profite du câlin, d’accord ?

- Oui, tu fais comme tu veux, c’est toi la Cheffe ! Il n’y a que Arthur qui n’obéit pas tout le temps, rit-elle en oubliant déjà le bombardement.

- A qui le dis-tu, ris-je, il est têtu comme un âne, Arthur !

- Mesdames, je suis un ancien Silvanien, c’est normal non ?

- Tu parles, la belle excuse !

Je vais récupérer des bouteilles d’eau et des rations dans l’un des placards, et m’assieds sur le matelas en leur faisant signe de me rejoindre. Il n’y a plus de bruit à l’extérieur, et j’espère qu’aucun assaut ne doit être lancé par les soldats Silvaniens. Je ne peux m’empêcher de tendre l’oreille vers l’extérieur. Je ne doute pas qu’ils nous trouvent ici, s’ils viennent dans le camp, et il est hors de question que nous soyons pris par surprise.

Une fois Arthur installé dos contre le mur, je viens me presser contre lui et observe Lila, assise à côté de lui, boire jusqu’à plus soif et s’essuyer la bouche sur son pull poussiéreux. J’enfouis mon nez dans le cou de mon Bûcheron et ne peux m’empêcher de rire.

- Ça me rappelle notre premier rencard, mais tu es plus en forme, et on n’a plus un chien dans les pattes.

- Non, on a une jolie petite fille à la place. Notre relation évolue trop vite ! rigole-t-il en me serrant contre lui.

- Ouais, mais j’ai toujours pas de tenue d’infirmière, et je ne changerai pas d’avis, compte pas sur moi pour ça !

- Je commence à me faire à la tenue de militaire. Vu tout ce qu’elle cache, peut-être bien que j’ai un nouveau fantasme dans ma vie, me dit-il avec un sourire en coin qui me fait toujours craquer.

Je glisse ma main sur sa nuque et viens presser mes lèvres contre les siennes, savourant le retour du calme autant que de sentir son corps, bien vivant, contre le mien. Lila vient finalement se glisser entre nous, nous faisant sourire tous les deux. Je déplie deux couvertures sur nous alors que nous nous allongeons sur l’étroit matelas tous les trois. Le silence se fait durant un moment, et la petite finit par s’endormir dans nos bras alors que je me perds dans les yeux de mon Bûcheron, dans la pénombre de cette cave froide, mais qui nous a sans doute sauvé la vie.

- J’espère que tout le monde est sain et sauf, murmuré-je finalement. J’ai vraiment envie de pouvoir dire qu’on a réussi.

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