14. Le torchon brûle dans le camp

7 minutes de lecture

Arthur

Je lis et relis les différents articles qui nous concernent dans l'édition du jour du torchon publié par le Gouvernement. Un vrai mélange de choses très vraies et très positives, surtout pour l'ONG, et de petites piques ou des éléments qui remettent en cause notre gestion du camp parce qu'on serait trop occupé à "penser à notre progéniture en cours de fabrication lubrique" ou au "plaisir de baiser l'armée française dans tous les sens du terme." J'imagine bien la scène avec le Président qui annote le texte original du journaliste avec un feutre rouge. Quel con. D'ailleurs, je suis sûr que c'est lui qui a écrit nos deux portraits. Je suis décrit comme un fonctionnaire sans charme et sans ambition qui a abandonné son pays pour mieux revenir le piller tout en rejetant les jolies femmes du pays pas assez distinguées pour satisfaire mes appétits pervers. Les termes sont plus élogieux pour Julia, même s'ils tournent tous ou presque autour de ses seins et de ses fesses "dignes d'un festin de Président."

- Là dessus, il a raison quand même. Tu bandes rien que de penser à ses jolis seins aux tétons qui pointent et durcissent sous ta langue et à ses fesses entre tes mains. Pas étonnant qu'il soit jaloux, Gros Porc.

Je bande aussi en repensant à la soirée d'hier. Il faudrait que je me calme car vu comment nous nous sommes quittés, je crois que ça va être disette pour un bon moment, là.

Lorsque Lila se précipite pour accueillir la Lieutenant, je préfère rester à l'intérieur de la tente. Snow m'a bien fait comprendre tout à l'heure qu'elle ne voulait pas me voir ou me parler pour le moment. Je respecte donc sa décision et fais mine de me concentrer sur le rapport hebdomadaire de Laurent sur la sécurité du camp. C'est vrai que c'est passionnant de voir qu'une des tentes est mal fixée et présente un risque de chute important ! J'ai vraiment l'impression qu'il ne se rend pas compte des dangers réels qui planent sur nous...

- Arthur ! Julia est venue me voir mais elle a oublié sa robe de princesse !

- Elle n'est pas toute nue, rassure moi, dis-je en l'attirant sur mes genoux.

- Non, Snow est là, et je ne me promène pas à poil devant lui, contrairement à d’autres, intervient une voix qui me fait sourire instantanément.

- Ah Snow ! Quelle idée de faire le garde du corps ! Tu vois le spectacle dont tu nous prives ?

Je me lève pour accueillir Julia, mais elle pose son bras contre mon torse pour m'arrêter net dans mon élan alors que j'allais l'embrasser.

- S’il te plaît, c’est… Enfin, ce n’est pas vraiment le moment, soupire-t-elle en regardant derrière moi le journal posé sur mon bureau.

- Oh… Mais… ici… Enfin, je comprends…

Non, je ne comprends pas vraiment ce que ce journal change pour nous. Je suis même blessé de son rejet mais j'essaie de le cacher autant que possible.

- Tu as pu voir avec le Colonel pour avoir des hommes ou je dois solliciter les Anciens pour vous donner un coup de main ? demandé-je d'un ton plus froid que je le souhaitais.

- Le Colonel, rit-elle nerveusement, a été plus occupé à me passer une soufflante, pour changer, qu’à me trouver des hommes. Pas avant quarante-huit heures, donc si certains Silvaniens veulent participer à la construction des points d’observation sur les routes, je ne dis pas non.

- Je vais leur demander, ils seront ravis de pouvoir aider.

Je regarde avec un mélange de tristesse et d'envie Lila qui est venue se lover dans les bras de Julia.

- Tu dérailles là, Tutur. Tu es jaloux d'une petite fille !

Je ne comprends pas vraiment ce qui a changé en tous cas. Le journal, c'est clairement de la propagande avec un ramassis de fausses informations et à part les photos sexys, ses gars ne vont rien avoir à se mettre sous la dent. Sur ce sujet comme sur celui de la vengeance du Président, je ne suis pas aussi pessimiste qu'elle.

- Ju, intervient Snow, il est au courant, le Colonel, que tu vas demander à des civils de nous aider ? Tu crois pas qu’il faudrait son accord avant de faire encore un truc qui va t’attirer des ennuis ?

- On ne va pas parquer les civils dans le camp s’ils souhaitent donner un coup de main, si ? De toute façon, je suis dans un bourbier pas possible, ça de plus ou de moins.

- Il n’a qu’à venir lui-même votre Colonel, s’il n’est pas content. Ou remettre Mirallès, tiens. Tant qu’à nous faire chier, il devrait aller jusqu’au bout, m’énervé-je.

- Ne parle pas trop vite, soupire Julia, bien possible qu’il prenne ma suite.

- Tu ne vas pas pouvoir rester finalement ?

Eh mince, j’aurais pas dû parler de Mirallès, je vais nous porter la poisse avec ça. S’il revient, le camp va partir en cacahuète, c’est sûr.

- Après ce torchon ? Les chances sont minimes, autant être honnête… Enfin, peut-être que Snow sera promu, qui sait, puisque lui aussi a fait la demande de rester.

- Promu ? Ça m’étonnerait. Et si je reste et que toi tu te barres, ça va mal aller pour ton matricule, Cheffe. Si je suis éloigné de Justine et que tu n’es même pas là, je vais vraiment passer pour un con !

- C’est pas moi qui choisis, tu sais ce que je veux, et ce n’est certainement pas rentrer… Bref, marmonne-t-elle en caressant les cheveux de Lila. On va se promener un peu, jolie Lila ? Il y a du soleil, ça fait du bien !

- Oh oui ! Je comprends rien à vos histoires, mais tu vas partir, Julia ? demande-t-elle, inquiète.

- Normalement, tu sais, Mathias, une partie des militaires et moi on doit partir début Mars, oui… Notre mission sera finie, mais on a demandé à rester plus longtemps Snow et moi.

Je vois que Lila est triste quand elle sort avec Julia de la tente. Je n’ose pas les suivre, mais Snow roule des yeux et m’attrape par le bras pour m’inviter à les rejoindre. Je bougonne mais me lève. Alors que nous sortons à notre tour de la tente, je me sens un peu obligé de parler au Sergent.

- Mathias, tu suis Justine sur les réseaux sociaux ou pas ?

- Heu, non, j’ai pas ces conneries moi, pourquoi ?

- Je crois qu’elle a retrouvé la copine avec qui elle vivait avant de partir, Snow. Elle ne t’en a pas parlé ?

- Une copine ? Une… coloc, tu veux dire ?

- Une coloc avec qui elle couchait, oui. Je crois qu’elle ne fait pas trop de différence, tant qu’elle peut en profiter.

- Attends, t’es sérieux ? Elle a une meuf ? Elle m’a jamais parlé de ça, bougonne-t-il, visiblement déçu.

- Oui, tu devrais lui en parler, que les choses soient claires entre vous. Peut-être qu’elle a terminé sa relation, tu sais. Je tenais juste à te le faire savoir, après ce qu’on a vécu ici, tu mérites bien mon honnêteté.

- Merci, soupire Snow en me donnant une tape dans le dos qui pourrait me décoller les poumons. Je vais voir ça avec elle…

On rattrape rapidement les filles. Lila est en train de montrer des choses à Julia et de lui faire répéter le mot silvanien. La petite éclate de rire à chaque fois qu’elle entend l’accent français de Julia et le spectacle est vraiment charmant. Un peu plus loin, une famille silvanienne est en train de célébrer quelque chose et nous nous rapprochons, curieux de savoir ce qu’il se passe. Il s’agit d’une famille où le papa est parti rejoindre la rébellion et, quand nous arrivons, tout le monde se tait, un peu comme si nous étions l’ennemi.

- Vous allez bien ? leur demandé-je en silvanien.

- Tu viens faire quoi, là ? Tu es le héros du Président, les ors du Palais ne te manquent pas ? Tu daignes encore nous parler ?

- Il ne faut pas croire tout ce qu’il y a sur ce journal, vous savez. Ils m’ont fait prisonnier pour faire pression sur ma mère, mais Snow, le Sergent, est venu à notre aide, expliqué-je dans un sourire en montrant le blond à mes côtés.

- Donc, le journal ment ? Pour toi et la Cheffe des militaires aussi, peut-être ? On n’est pas aveugle, tu sais.

- Ah, sur ça, ils ne mentent pas, non, ris-je. D’ailleurs, ça a bien rendu Lichtin jaloux ! Quoique maintenant que tout le camp sait, je crois que je vais galérer à retourner dans le lit de cette belle femme. Elle a peur que ses hommes ne la respectent plus à cause de moi. La Dona é mobile, chantonné-je en souriant.

- Tenez, reprend la mère de famille en français. Du gâteau pour vous tous. C’est la fête de ma fille.

- Ah, Joyeux anniversaire !

Je me tourne vers Snow et Julia qui me regardent chanter avec de grands yeux étonnés et je m’arrête immédiatement.

- Quoi ? Ils étaient fâchés par le journal, je les ai rassurés. Tu vois, Julia, en parlant et en communicant, tu vas pouvoir faire pareil avec tes hommes. Ils vous offrent du bon gâteau, il faut en profiter !

- J’y penserai, soupire Julia avant de sourire à la mère en prenant deux morceaux de gâteau pour en donner un à Lila. Merci beaucoup.

J’attrape un morceau pour moi et en donne un à Snow. Les rires que nous échangeons pendant ce petit instant avec cette famille me font du bien. L’enfant est à peine plus jeune que Lila et elle est aux anges. C’est pour des instants comme ça que je fais mon travail. C’est pour permettre aux réfugiés de retrouver un peu de normalité et de joie dans leur vie que je fais des sacrifices. Et c’est grâce à des petits bonheurs comme ça que je parviens à rester optimiste pour l’avenir. Julia est certes préoccupée et n’a pas voulu m’embrasser, elle va certes vouloir mettre un peu de distance entre elle et moi pour garder la face devant ses hommes, mais ça ne fait rien. Je suis sûr que ça ne va pas durer et que tout va bientôt redevenir comme avant.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0