10. Conseil de défense

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Arthur

Je rejoins Julia dans la salle des opérations. C’est Snow qui m’a prévenu qu’elle voulait organiser les choses avant que ce Porc qui agit en tant que Président n’essaie de réagir suite à notre splendide évasion. D’après Snow, Julia est très inquiète et s’imagine qu’il va faire bombarder le camp ou l’attaquer, en dissimulant ça comme une action des rebelles. J’ai du mal à y croire, mais souvent, son instinct s’est révélé juste et il faut lui faire confiance. Ce serait bête que, par excès de suffisance, on se retrouve avec plein de morts sur nos consciences. J’ai demandé à Dan de m’accompagner car, si j’ai bien compris, c’est une réunion de crise entre l’armée française et notre ONG. Laurent vient aussi, toujours à s’assurer que nous sommes en sécurité, même si je reste persuadé qu’à l’intérieur du camp, nous ne risquons pas grand-chose.

Julia m’adresse un charmant sourire lorsque je m’assois en face d’elle. Elle a abandonné sa robe et se retrouve à nouveau en uniforme militaire, beaucoup moins sexy, même si je devine et me souviens de tout ce qui se cache en dessous de ce treillis informe.

- Merci d’être venus aussi rapidement… Il faut absolument qu’on discute de la suite des événements car l’heure est grave. Avant ça, j’ai besoin de votre avis quant aux représentants des réfugiés à inviter autour de cette table. Lichtin a clairement sous-entendu qu’il avait au moins un espion ici, et j’aimerais qu’on reste en comité restreint.

- C’est volontaire de ne pas avoir invité Collins ? demande Snow. Non pas que ça me dérange, hein, tu sais ce que je pense de lui.

- Julia, pour les réfugiés, on peut inviter les anciens. Aucun d’eux n’ira trahir la Gitane, je te l’assure. Et on peut aussi faire venir Lorena, elle nous assiste depuis le début et je peux garantir sa discrétion.

- Tu en es certain ? Et pour répondre à ta question, Mathias, c’est volontaire. Je n’arrive pas à le cerner et je déteste ça.

- Oui, j’en suis certain, Lieutenant, soupiré-je. Il n’y a pas que des traitres dans le camp, il y a aussi plein de gens dignes de confiance.

- Je n’en doute pas… Tu peux aller les chercher alors ? Tu connais les enjeux et je suis sûre que tu sauras te montrer discret et ne pas inquiéter les gens. Tu peux revenir avec eux d’ici trente minutes, ça ira ?

- Oui, cheffe, j’y vais, dis-je un peu sèchement en me levant. Ne décidez pas de tout avant mon retour, hein ?

- On t’attend, évidemment. Je vais en profiter pour faire un point avec Dan et Snow sur les derniers potins du camp.

Je n’aime pas trop être renvoyé comme ça de la réunion, mais je comprends qu’elle me demande ça à moi. Je suis quand même celui qui a le plus de facilité à communiquer avec les Silvaniens. Je commence par aller chercher Lorena et lui explique rapidement les choses. Elle me conforte dans ma décision de demander aux trois séniors du camp, qui en sont aussi un peu les chefs, de se joindre à nous. Elle me surprend aussi en me demandant l’autorisation d’aller chercher les deux fermières qui nous ont rejoints avec leurs vaches il y a quelques mois.

- Pourquoi tu veux les faire venir ?

- Elles connaissent bien le coin et je me suis liée d’amitié avec Lena, la fille. J’ai toute confiance en elles, tu sais et elle est vraiment intelligente et futée.

- Elles ne parlent pas français, par contre, si ?

- Tu ne vas pas devenir aussi élitiste que Litchin quand même ! Si on ne doit compter que sur les élites qui parlent français, on est mal partis, Arthur. Tu sais que même si beaucoup d’entre nous ont appris le Français à l’école, ça reste une langue étrangère qu’on ne parle pas du tout dans les campagnes. Mais l’avantage d’avoir les deux fermières avec nous, c’est qu’elles pourront penser à des choses que même le Président ne pourrait pas imaginer.

Je réfléchis un instant et me demande à quel point je peux faire confiance à ces deux dames. C’est vrai que jusqu’à présent, elles se sont montrées toutes les deux très discrètes. Même la fille qui a une quarantaine d’années n’a pas fait d’histoire. Quelques ragots sur des soldats qui auraient bénéficié de ses charmes certaines longues soirées d’hiver, mais rien d’exceptionnel. C’est déjà un point très positif sur elles.

- Et puis, Lorena a raison, il ne faut pas être élitiste ! Toi, le fils de la Gitane, tu dois pouvoir entendre que le petit peuple est souvent beaucoup plus débrouillard que leurs chefs !

Comme à mon habitude, je ne me pose pas plus de questions et fais confiance à mon instinct et ma petite voix.

- OK, Lorena. Va les chercher et moi je ramène nos anciens.

Après quelques rapides palabres, et bénéficiant de mon aura de fils de la Gitane dont j’abuse parfois pour arriver à mes fins, je retourne à la salle des opérations avec les Silvaniens. Quand j’arrive, Julia est en train de rigoler avec Snow qui a posé sa main sur son épaule. J’ai un bref instant de jalousie avant de me raisonner et de me rappeler que Snow s’est toujours montré respectueux envers elle. Pas facile d’être amoureux en temps de guerre et quand on doit se cacher des autres. Nous prenons tous place autour de la table et je lance une petite blague en Silvanien à l’intention de Lena et de sa mère.

- Content de voir que vous êtes venues sans vos vaches et vos poules ! Pas sûr que la Lieutenant aurait apprécié de devoir crier au-dessus des meuglements !

Les deux femmes me sourient et se détendent un peu, même si elles restent tendues en raison de leur participation à ce conseil de défense.

- Ça en fait du monde… Et il va vous falloir traduire, dit doucement Julia à mon intention avant de se redresser pour s’adresser à tout le monde. Bonjour à tous et merci d’être ici. Comme vous le savez sans doute, Arthur et moi-même sommes partis du Palais d’une façon peu ordinaire, qui risque de nous poser problème sur le long terme. Votre Président est vraiment un enfoiré, et pardonnez-moi ce terme, mais c’est encore gentil, je crois. Bref, il semblerait que nous ayons du souci à nous faire pour la suite. On va y aller étape par étape, mais nous avons besoin les uns des autres et il faut vraiment qu’on travaille main dans la main pour éviter un malheur…

- Vous nous avez mis en danger ? demande Hector, un des anciens qui prononce ces mots d’un ton accusateur.

- Nous ne sommes pas responsables de la folie du Président, Hector.

J’interviens et réponds alors que Lorena assure la traduction des différents échanges. Cette femme est vraiment précieuse et nous aide à rendre cette rencontre moins compliquée qu’elle ne pourrait l’être si j’étais le seul à pouvoir tout traduire.

- Il nous a fait prisonniers, la Lieutenant et moi. Et nous avons juste trouvé le moyen de partir sans qu’il soit vraiment d’accord… Je ne crois pas qu’il ose s’opposer à nous, mais la Lieutenant n’est pas de mon avis. Tu peux leur expliquer ce que tu penses qu’il va faire, Julia ?

- J’espère me tromper, je vous assure, mais j’ai côtoyé d’un peu trop près le Président ces dernières vingt-quatre heures et je pense qu’il est vraiment capable de tout. Est-ce que vous avez eu l’occasion de voir la Capitale ? Tous les quartiers les moins aisés ont été bombardés alors que le Palais est intact, et je suis certaine que ça ne vient pas des Rebelles, pourtant il leur met tout sur le dos. L’humanitaire, les réfugiés, Litchin s’en fout et c’est écoeurant, mais surtout inquiétant pour nous. Hier soir, il nous a clairement dit que l’armée surveillait le camp ici, qu’elle pouvait intervenir à tout moment.

- L’armée française a promis de nous protéger, énonce Carl d’une voix forte et autoritaire, est-ce que c’est une promesse de pacotille ?

- Et vous voulez que je fasse quoi avec cinquante hommes ? Sans compter les moyens aériens ? Je ne suis pas SuperWoman, impossible pour moi de m’envoler à la vue d’un missile pour le détourner dans l’espace, bougonne Julia en le fusillant du regard.

- Et on vous a fait venir ici pour ça, pour essayer de trouver des solutions pour que tout le monde soit en sécurité et éviter qu’un drame arrive. On est tous ici dans la même galère, dis-je pour renforcer le discours de Julia.

- Voilà, soupire-t-elle alors qu’elle semble, à cet instant, porter tout le poids du monde sur ses épaules. D’autant plus qu’il semblerait que le Président ait des yeux et des oreilles ici…

- Pas ici, Madame Lieutenant, ici on soutient la Gitane, s’emporte Hector alors que les deux autres adressent des regards courroucés vers Julia.

- Vous avez bien compris ce qu’il se passe alors ? demandé-je pour calmer les choses. Est-ce que vous avez des questions ? Des propositions à nous faire ? Lena, Maria, n’hésitez pas aussi, vous êtes un peu les locales du coin, si vous avez des idées, on est preneurs.

- Des idées pour quoi, concrètement ? Parce qu’à part baisser la tête et prier, je ne vois pas ce qu’on pourrait faire, là, demande Maria, l’air défaitiste.

- Des idées pour défendre l’endroit, des idées pour trouver de quoi nous abriter. Des idées pour sortir de ce bourbier !

Je m’emporte un peu et Dan met son bras sur le mien pour me calmer. Je me rassois et Julia reprend la main, de manière moins agitée que moi.

- Bon, je peux déjà vous dire qu’on va renforcer la sécurité autour du camp. Je dois encore voir avec le Colonel, mais il devrait nous affecter des hommes supplémentaires et nous permettre d’avoir davantage de postes de garde sur les chemins qui mènent au camp. En revanche, là où ça pêche, c’est pour tout ce qui concerne les abris en cas d’attaque. Là, je sèche, j’ai besoin de vous. Hormis la cave de la ferme, il n’y a aucun lieu suffisamment solide pour que les réfugiés puissent se mettre à l’abri.

- Lieutenant, je ne me suis pas exprimé jusqu’à maintenant, et je vais le faire, énonce en se levant le troisième Ancien, celui que tout le monde appelle Le Commandant.

C’est un ancien militaire, un homme de peu de mots mais que tout le monde respecte du fait à la fois de son âge, mais aussi de sa prestance. C’est un dur, un gars qui a, selon ce qu’on m’a rapporté, connu la torture et qui l’a aussi pratiquée. Un Silvanien dans toute sa splendeur et je me demande ce qu’il va nous dire.

- Je vois bien que vous êtes honnête dans vos propos. J’avais des doutes, je vous l’avoue, en voyant ce qui est arrivé à Arthur qui a failli se retrouver dans les prisons gouvernementales parce que votre Colonel est un incapable qui a peur de son ombre. Bref, pour les postes de garde, on va vous aider. Officiellement, on ne sera pas armés, on ne veut pas vous mettre en difficulté, mais nous saurons nous protéger. Pour le reste, on est des Silvaniens. On ne va pas dans des caves. On n’est pas là pour se cacher. Ne nous insultez pas en nous faisant agir comme des taupes.

Lorsqu’il se rassoit, le silence se fait dans la pièce. Je me demande si quelqu’un va oser prendre la parole après ça, mais je croise le regard de Julia qui se lève à son tour. Cette femme est vraiment impressionnante, magnifique de détermination et de fierté. J’espère juste qu’elle ne va pas froisser les Silvaniens.

- C’est tout à votre honneur, à tous, de vouloir combattre, et je le comprends, croyez-moi. Personnellement, je ne me vois pas aller me planquer sous terre, mais en cas de bombardement, hormis sous terre, je ne vois pas d’autre lieu où se protéger… Et je pense en priorité aux enfants. J’ai bien compris que votre coeur à tous ou presque ici était rebelle, et je crois que le mien aussi, au vu de ce que je découvre, mais comme l’a justement dit Carl, l’armée française s’est engagée à protéger les réfugiés, et je peux vous assurer que je ne respire que pour ça depuis plus de quatre mois, peu importe ce que mon Colonel peut dire ou faire, m’ordonner ou non. Je ne veux pas avoir à faire un nouveau discours pour un mort, soldat comme Silvanien. Une fois, c’était déjà trop.

A l’autre bout de la table, Lena est en train de chuchoter de manière agitée avec Lorena. Contrairement aux autres échanges, ça n’a pas l’air d’être de la traduction, mais Lena semble vouloir s’exprimer alors que Lorena fait non de la tête.

- Lena, Lorena, vous voulez ajouter quelque chose ?

- Pour les enfants et leurs mamans, commence Lena timidement, il y a…

- Oui, Lena, parle, tu es là pour ça, pour nous aider ! Quelle est ton idée ? dis-je pour l’encourager alors qu’elle semble hésiter.

- Ce n’est pas une bonne idée, intervient Lorena qui a l’air de vouloir couper court à la discussion.

- Lorena, ce n’est pas à toi d’en juger. Laisse donc tout le monde s’exprimer.

- Il y a un endroit près d’ici, continue la fermière, où les enfants pourraient se cacher pendant quelques jours. C’est une grotte miraculeuse où la Vierge est apparue et qui possède un endroit aménagé pour les pèlerins.

- Pas la Grotte sacrée, malheureuse ! C’est sacrilège d’y aller, s’emporte Maria contre sa fille.

- S’il vous plaît ? Un peu de calme et une traduction ? les interrompt Julia avant de se tourner vers moi. C’est quoi, cette idée qui semble réveiller tout le monde ?

- Si tu es prête à offenser les saints locaux, je crois qu’on a la solution pour mettre tous ceux qui veulent à l’abri, murmuré-je en la regardant.

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