08. La grande évasion

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Arthur

Alors que je vais me lancer dans mon discours, je suis bousculé par cet ignoble individu qui s’est glissé entre Julia et moi. Le juron qu’il pousse et le regard outré qu’il porte à Julia qui vient de lui mettre une claque est vite remplacé par un grand sourire et un éclat de rire. Sans façon, il attrape mon micro et reprend la parole.

- Eh bien, Arthur, je comprends pourquoi vous souhaitez continuer à bénéficier d’une protection aussi rapprochée ! Quel caractère, cette femme, l’armée française se défend bien ! Alors, racontez-nous votre challenge, le mien est clair : transformer cette résistance en excitation avant la fin de la nuit ! A vous la parole !

Je ne peux m’empêcher de jeter un œil à Julia qui a repris ses distances et s’est éloignée de quelques pas. Je n’ai pas vu ce qu’il s’est passé mais, étant donné son énervement et la claque magistrale qu’elle lui a assénée, il a dû se permettre un geste déplacé qu’il n’est pas là de reproduire en public. Par contre, il va vraiment falloir que Snow soit efficace pour nous aider à sortir de là. Peut-être que je peux nous aider à y parvenir avec mon petit discours improvisé. Mon cerveau carbure à fond pour essayer d’imaginer ce que je vais bien pouvoir dire sans insulter notre hôte.

- Mes bien chers frères, mes bien chères soeurs, reprenez donc avec moi tous en chœur la bonne parole de votre Président. Non, je ne vais pas parler du boogy woogy que me réserve l’armée française, mais bien de la mission de Food Crisis qui est mise ici à l’honneur.

Je vois Snow pouffer de rire devant ce début que j’ai rythmé sur l’air de la chanson, comme si de rien n’était, afin de me moquer un peu de l’assemblée qui a littéralement bu les paroles de son leader. Je constate que mon effet fonctionne sur quelques-unes des personnes présentes qui esquissent un sourire, alors que le Président arque un sourcil, pas sûr de savoir si je me moque ou pas de lui.

- Alors, je tiens d’abord à vous expliquer pourquoi nous sommes ici, protégés par l’armée française sous l’égide de l’ONU. Quand on voit les casques bleus débarquer dans un pays, ce n’est jamais bon signe. C’est que quelque part, le Gouvernement a échoué à protéger et prendre en charge une partie de sa population. Je n’irai pas jusqu’à dire que si les leaders de ces pays pensaient davantage avec leur tête qu’avec leur entrejambe, la situation serait plus favorable, mais il est certain que notre présence est un aveu d’impuissance flagrante de certains ici. Beaucoup de belles paroles, mais quand on doit passer à l’acte, certains ont clairement besoin de viagra ou de stimulant pour relever la situation ! Eh bien, le Viagra, le stimulant, c’est nous ! Et je suis donc fier d’être mis à l’honneur par votre Président qui a au moins eu le bon goût de se rendre compte qu’il y avait des personnes que cette guerre mettait en difficulté, qui se retrouvaient sans rien, sans toit ni repas. Je n’ai pas l’impression que le bon goût soit de mise ici, il faut donc en profiter quand on en trouve une trace ! Alors des applaudissements, déjà, pour votre Président !

Les personnes présentes se joignent à moi poliment pour applaudir Victor Lichtin qui hésite encore à savoir à quel point je suis en train de me moquer de lui. Mais mon enthousiasme à l’applaudir a l’air de le calmer un peu. Je reprends alors mon petit discours en me demandant bien comment je vais pouvoir me sortir de cette situation vraiment pas confortable.

- Merci donc, cher Président, pour cette invitation à laquelle je ne pouvais résister. C’est en effet l’occasion de mettre en lumière toutes ces populations qui se retrouvent sans rien en raison d’une guerre qui ne dit pas son nom, d’une guerre qui se déroule loin des ors et des apparats de la capitale, même s’il semblerait qu’elle ait tendance à se rapprocher de plus en plus. Peut-être que vous devriez essayer de charmer ma mère comme vous avez essayé de séduire la Lieutenant Vidal. Je pense que les deux ont autant envie l’une que l’autre de vous plaire. Vu votre succès ici, je ne sais pas si je dois vous souhaiter le même avec la Gitane. Quoique. Elle est surement aussi folle que vous, vous devriez peut-être parvenir à vous entendre ! Ne vous énervez pas, cher Victor, je tiens juste à démontrer à l’auditoire ce que le N de ONG veut dire. Le N veut dire NON. Et quand c’est non, c’est non, n’est-ce pas ?

J’insiste lourdement sur le “non” en regardant Julia qui m’adresse un grand sourire auquel je réponds par un clin d'œil avant de continuer, imperturbable.

- Non, je n’ai pas de compte à rendre au Gouvernement, non je n’ai pas de compte à rendre aux Rebelles. Car notre mission, c’est de protéger et venir en aide à ceux qui souffrent. Et c’est ce que nous faisons avec l’entier support de l’armée. Car la Lieutenant Vidal qui nous accompagne ici n’est pas qu’un morceau de viande pour lequel des coqs en manque se battent. Non, Snow, désolé de te décevoir, dis-je alors que mon regard ne quitte pas celui du Président qui essaie visiblement de contrôler sa colère. Non, et je crois avoir dit que Non, c’était non, il me semble, mais certains ont besoin de l’entendre plusieurs fois apparemment, bref, je disais que la Lieutenant et l’armée française font des miracles ici. Ils vont sur le terrain, affrontent les tirs ennemis, évitent les bombes, dégagent les ruines et nous aident à gérer l’intendance d’un camp qui grossit au fur et à mesure que les combats s’intensifient. Incroyable non qu'au-dessus des seins, il y ait un cerveau ? Eh bien, c’est le cas pourtant et je vous remercie, très cher Victor pour l’avoir fait venir avec moi sur scène. Merci à tous d’applaudir Julia Vidal et l’armée française !

Les applaudissements sont là plus nourris et plus chaleureux et Snow se permet même d’émettre un puissant sifflement, ses doigts entre ses lèvres, tel un cowboy qui assiste à un rodéo. Je souris car il est dans le même mood que moi. Le Président nous a lancé un défi, on le relève. Tant pis pour les conséquences, on aura le temps d’y penser après.

- Surtout si tu as la chance de passer tes prochaines années en prison et pas dans un cercueil après ton exécution, chevalier Tutur.

Le regard courroucé de Victor Lichtin est en effet parlant. Je crois qu’il est en train de regretter de m’avoir invité sous le prétexte de me mettre à l’honneur.

- Je vois que vous commencez à en avoir tous assez de ces grands discours, et que vous n’avez qu’une hâte, c’est de pouvoir accéder au buffet et aux boissons, surtout. J’imagine que notre cher, très cher, Victor n’a pas lésiné sur le champagne qui doit être importé directement de France. Je vais donc vous libérer, mais avant ça, laissez-moi l’honneur de vous informer de la très grande nouvelle du jour que le Président, dans sa modestie bien connue, n’a pas souhaité dévoiler, me laissant ce privilège.

Tous les regards sont portés sur moi et j’essaie de donner le change, de prendre un air de confiance que je n’ai pas du tout au fond de moi.

- Tu as intérêt à être imaginatif, Tutur, parce que là, même moi, je ne sais pas quelle connerie tu vas sortir, et ça m’inquiète.

Oui, il va falloir que l’idée du siècle vienne. Cela va peut-être définir si ce soir je me fais fusiller ou si c’est moi qui vais tirer un coup. Bref, c’est le moment ou jamais d’y aller franco. Plus c’est gros, plus ça a de chance de passer.

- Notre Grand Président a en effet compris toute l’importance que ce camp avait pour sa population, pour ce peuple qu’il aime tant et qu’il respecte avec tant de force. Dans sa grande bonté, il a décidé d’allouer une subvention de plus de trois cent mille euros, ce qui va nous permettre de construire des abris pour les personnes dans de petites unités familiales et individuelles en bois et éviter ainsi que les gens ne continuent à dormir dans des conditions indignes ! Et vous savez quoi ? Il est tellement modeste qu’il nous a demandé d’aller annoncer cette bonne nouvelle aux réfugiés en présence des médias officiels du pays dès ce soir ! Alors, là, bravo Monsieur le Président !

Et là, Snow lance une salve d’applaudissements en sautant sur scène pour nous rejoindre, comme si on avait répété cet enchaînement depuis des mois. Il saisit Victor Litchin par les épaules et le porte sur le devant de la scène au moment où quelques flashes crépitent.

- Pour le Président, hip, hip, hip ! Hourra ! lance-t-il sous notre regard amusé.

Je sens qu’il doit bouillir intérieurement mais il se retrouve coincé, surtout que je fais attention à ne pas lui laisser accès au micro afin qu’il ne puisse pas apporter de démenti. Il n’a d’autre choix que de sourire alors que Snow prend la pose avec lui, son bras autour de son épaule, en faisant le V de la victoire, tout sourire. Ce mec est fou, mais là, je l’adore quand il agit comme ça.

Lorsqu’il me fait signe, je saisis Julia par la hanche et l’entraine avec moi pendant que le Président est occupé à répondre à une journaliste de la télé officielle. Il rage, mais n’ose pas intervenir alors que nous sortons devant tout le monde, félicités par de nombreuses personnes sur le chemin, et les gardes ne tentent pas d'intervenir. Nous sommes ainsi accompagnés par une joyeuse foule jusqu’au véhicule de Snow qui s’installe à l’avant, triomphant et sûr de lui, alors que je prends place à l’arrière avec Julia, incrédule devant le déroulé des événements. Le Sergent ne se fait pas prier et appuie sur le champignon, nous faisant démarrer sur les chapeaux de roue. Un crissement de pneus et quelques virages plus loin, nous sommes en route vers le campement. Si ça, ce n’est pas une évasion digne de James Bond !

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