XXII

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On pouvait encore espérer que Ratih ait droit à une liberté sous caution en attendant le procès, mais il n’en fut rien. Le Procureur et le Juge restèrent intraitables. Elle demeurerait incarcérée au Rose M. Singer Center, sur l’île de Rykers, jusqu’au matin du procès. La seule concession qui lui fut accordée fut son transfert dans la voiture de ses avocats, dûment escortée.

Au lieu d’arriver en fourgon cellulaire et d’entrer au Tribunal par une porte de service, c’est donc entourée de son avocate et ses associés que, six semaines plus tard, Ratih gravit les trente-deux marches de la Cour Suprême de l’État de New York, au 60 Centre Street, dans Manhattan.

C’était donner à la presse l’occasion de photos à sensation qui, une fois de plus, allaient faire la une des tabloïds.

L’édifice de la Cour Suprême, vu du ciel, est un hexagone dont le centre est occupé par la verrière d’un hall circulaire.

Les seize colonnes corinthiennes de la façade néo-classique écrasent déjà le visiteur de toute leur hauteur. Elles sont surmontées par un immense fronton triangulaire.

Supportant celui-ci, une frise avec une citation, légèrement inexacte de George Washington ; là où il écrivit « The due administration of justice is the firmest pillar of good government (1)», les architectes ont fait graver « the true administration… » L’erreur, légère au demeurant, n’a été découverte qu’en 2009 !

La monumentalité de la façade s’efface devant l’immense salle des pas perdus qu’est le hall, au sol de marbre vert : une rotonde de plus de soixante mètres de circonférence, haute de vingt-trois mètres.

La coupole centrale, ornée de fresques dans le style des années trente représentant l’histoire de la loi en six tableaux, est à la mesure du reste : imposante. Sur le pourtour du hall d’entrée, cinq portes monumentales, correspondant aux côtés restants de l’hexagone, sont séparées par des séries de deux colonnes doriques.

Autant dire que pénétrer là en justiciable, c’est ressentir aussitôt tout le poids de l’institution. On peut supposer que telle était l’intention des bâtisseurs. Ratih en eut un frisson prolongé. Silencieux, le petit groupe se dirigea vers la salle d’audience qui avait été assignée à son affaire.

Hormis un plafond encore plus élevé et des lambris à panneaux jusqu’à hauteur de porte, elle ressemblait assez à celle du Grand Jury.

Ratih et ses avocats prirent les places qui leur étaient dévolues, derrière la barre, en face de l’estrade du juge et de ses assesseurs.

Elle aurait rêvé que le magistrat fût une femme de couleur, issue d’un milieu populaire, plus favorable à des gens comme elle. Il n’en fut rien. Celui qui s’était vu confier son affaire était un WASP (2) pur jus.

Et le juge Connolly n’était pas connu pour être laxiste dans l’application de la loi, bien au contraire ; de plus, certains le taxaient de misogynie.

Le procès s’ouvrait à dix heures et commença par la sélection du jury. Toutes les personnes tirées au sort sur les listes électorales et inscrites au tableau de la session entrèrent dans la salle. À l’appel de leur nom par le greffier, elles prirent place dans le box qui leur était réservé.

Toutes avaient l’air pénétrées par l’importance de la tâche qui leur incombait ; chez certaines on devinait l’appréhension d’être retenues.

Elles furent successivement interrogées par le Juge, le Procureur et la défense. Il s’agissait surtout de savoir si l’une ou l’autre avait une opinion préconcue sur le cas à juger, principal motif de rejet.

Par ailleurs, les avocats de Ratih pouvaient procéder à deux récusations d’office. Ils écartèrent un jeune homme au look punk et un pasteur. Le Procureur pour sa part ne récusa personne.

Ayant été approuvés par les deux parties, les jurés, au nombre requis de douze, plus deux suppléants, prêtèrent serment d’impartialité et de confidentialité, avant d’être installés dans le box. Ensuite, le juge leur expliqua le déroulement du procès, les principes fondamentaux du droit ainsi que les devoirs de leur fonction.

Six hommes et six femmes. La parité avait été respectée. La diversité professionnelle aussi : un ouvrier, deux employés, deux professions libérales, deux commerçants, deux mères au foyer, un journaliste, une artiste de cirque et un musicien. Quant aux origines, elles différaient elles aussi, avec une prédominance des Blancs, suivis par les Latinos, les Afro-américains et les Asiatiques.

Le procès allait pouvoir commencer.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2016.

(1) Lettre au Procureur Général Edmund Randolph, 28 septembre 1789 : « La correcte administration de la justice est le pilier le plus solide d’une bonne gouvernance ».

(2) Nom donné, aux États-Unis, aux citoyens de race blanche, d’origine anglo-saxonne et de religion protestante, constituant les couches dirigeantes du pays.

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