XXI

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Je suis sortie de l’hôtel par une porte arrière, car la police souhaitait éviter les journalistes. On m’avait menottée, sans me mettre les mains dans le dos, et deux policiers m’encadraient.

Comment décrire mon état mental à ce moment ? Tout était allé si vite ! Je dirais : une sorte d’état second, de conscience altérée, avec du brouillard plein la tête. J’avais l’impression d’être en train de tourner un film de série B et qu’à tout moment, quelqu’un allait crier dans un porte-voix : « Coupez ». Mais non.

Au lieu de cela, on m’a appuyé sur la tête pour me faire entrer dans une voiture de police blanche et bleue siglée NYPD, dont le gyrophare clignotait comme un néon de plus dans la nuit new-yorkaise. Puis, nous avons démarré en trombe vers le commissariat le plus proche.

Je ne sais comment, dès le lendemain, la presse s’est emparée de l’affaire. Les journalistes de faits divers doivent avoir des « antennes », officielles ou pas, dans les postes de police.

Toujours est-il que mon visage et mon nom se sont retrouvés à la une de tous les tabloïds de la ville, à commencer par les deux plus influents, le Daily News et le New York Post, avec des titres plus ronflants les uns que les autres :

« La découverte indonésienne Ratih Suharto accusée de coups mortels contre son compagnon », « Récompensée à Cannes, accusée de meurtre à New York », « Ratih Suharto, une ascension brisée », « Nuit tragique dans un Palace de Central Park : Ratih Suharto, arrêtée »…

Le grand public adore ces histoires : jaloux d’un succès qu’il ne comprend pas toujours, les revers de fortune « des riches et des puissants » le passionnent et lui apparaissent souvent comme une forme de justice immanente.

Je n’appartenais à aucune de ces deux catégories, mais par l’effet amplificateur des médias, j’y étais déjà assimilée.

Quatre jours plus tard, je passais devant une instance appelée Grand Jury ; c’est elle qui devait décider de mon renvoi ou non devant la Cour Suprême de l’État de New York, qui a compétence sur son territoire pour rendre les verdicts en matière criminelle.

Je craignais d’avoir à affronter les journalistes, mais l’audition devant le Grand Jury a lieu à huis clos.

La salle d’audience était haute, pourvue d’un plafond à caissons. Du bois sombre partout, murs – du sol au plafond – estrade, bureaux, barre et une odeur d’encaustique et de vieille poussière.

Entre le Juge, les jurés, le Procureur, ses adjoints, les greffiers, les huissiers, la sténographe qui transcrivait les débats, mon avocate et moi, nous étions une trentaine, je pense.

Le Procureur tenta d’apporter la preuve que j’avais bien mortellement frappé John lors de cette sinistre soirée, à l’issue de quoi il formula son acte d’accusation : « coups et blessures volontaires par instrument contondant ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

C’était faux, mais je respirai un peu mieux ; au moins, je n’étais pas accusée de préméditation !

Je donnai ma version des faits, sans changer une virgule à ce que j’avais déclaré devant le Tribunal Pénal, en dépit des conseils de mon avocate, qui ne pouvait intervenir à ce moment.

Le Procureur procéda à un contre-interrogatoire, essayant de me déstabiliser. Mais je restai de marbre.

Puis, après que l’on m’ait fait sortir de la salle, ce fut l’audition des témoins : les policiers, le Directeur de l’hôtel, deux voisins de chambre… et Garin.

Je sais qu’il nia catégoriquement avoir une relation adultère avec moi, ce qui était la stricte vérité, mais ne fut pas suffisant.

J’ai été inculpée.

Je m’y attendais.

Il y avait trop d’éléments en ma défaveur : ils ont ressorti la photo dans la presse people française et mon interview imprécise à CBS ; nos voisins de chambre ont confirmé la dispute violente entre John et moi ; on m’avait vue entrer en chemise de nuit dans celle de Garin ; mes empreintes se trouvaient sur le pied de la lampe.

À défaut de preuve formelle incontestable contre moi, le juge se forgea une intime conviction, estimant que le mobile était, je cite « l’arrivisme d’une femme qui cherchait une revanche à un premier échec dans son ascension sociale et n’avait pas supporté que son compagnon se mette en travers de son chemin » !

C’est ainsi que j’ai été renvoyée devant la Cour Suprême de l’État de New York.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2016.

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