XIX

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Finalement, John est venu me rejoindre à New York. Mais cela s’est mal passé.

Le jour de son arrivée surprise, j’étais très heureuse et nous avons passé une super journée, mais dès qu’il s’est retrouvé en présence de Garin, les choses se sont gâtées.

Je devais participer à une émission de troisième partie de soirée pour CBS, pas bien loin de notre hôtel.

Nous sommes partis en taxi tous les trois et déjà, dans la voiture, l’ambiance était pesante.

Sur place, Garin a dû rester en coulisse avec John et je ne sais pas ce qui s’est passé entre eux, mais quand je suis sortie du plateau, Garin était renversé dans un fauteuil et se tamponnait le nez avec un mouchoir rouge de sang. John l’avait frappé et était parti fumer à l’extérieur.

Je suis allé le chercher et je leur ai demandé de se serrer la main, ce qu’ils ont fait à contrecœur, et nous sommes rentrés tous les trois, dans une ambiance plus que morose. Dans le taxi, chacun regardait de son côté et moi droit devant.

Mais une fois dans la chambre, alors qu’on allait se déshabiller, John a laissé éclater son ressentiment contre moi et Garin. Le ton est monté et je lui ai demandé de partir. Il a refusé. Alors, j’ai menacé de le faire expulser par la sécurité de l’hôtel. Il a fini par m’injurier. Au bout d’un moment, en désespoir de cause, je lui ai jeté à la figure que s’il n’arrêtait pas, j’allais rejoindre Garin. Sa colère a redoublé. J’ai bien cru qu’il allait me frapper. Je ne voulais pas perdre la face, je ne me suis pas dégonflée.

C’est comme ça que je sortie en chemise de nuit dans le couloir de l’hôtel pour aller toquer à la porte de Garin (après Cannes, Ulla était rentrée à Jakarta).

Je tambourinai un moment, avant qu’il n’ouvre, en caleçon à fleurs, le cheveu hirsute. Je tombai dans ses bras :

Que se passe-t-il, Ratih ? Qu’est-ce que tu fais là ?

C’est John, il est fou furieux. Il m’a menacée…

Ce n’était pas tout à fait vrai, mais après l’épisode de CBS, c’était crédible et Garin a aussitôt réagi :

Bon. Rentre et enferme-toi. Tu n’ouvres à personne d’autre que moi, d’accord ?

J’acquiesçai.

Qu’est-ce que tu vas faire ?

Je ne sais pas. Essayer de le raisonner.

Fais attention à toi. Il est furieux.

Ne t’en fais pas.

Et il est parti en courant vers ma chambre, au milieu du couloir.

Un long moment s’est écoulé. Cela m’a paru interminable. Je tournais en rond, incapable de rester assise.

Quand il est revenu, livide, il était accompagné du directeur de l’hôtel et de deux agents qui, sans ménagements, m’ont fait sortir de sa chambre et raccompagné dans la mienne pour que j’y prenne quelques affaires, ont-ils dit.

J’ai su qu’un malheur était arrivé.

Notre chambre était en désordre, comme si on l’avait fouillée, penderie, placards et tiroirs ouverts, valises vidées sur le sol. Sur le lit ouvert, allongé sur le ventre, John, une plaie à la tête. Renversée par terre, la lampe de chevet, au lourd piétement de bronze. Et sur la moquette et les draps, du sang, beaucoup de sang. Alors, j’ai compris. J’ai hurlé, comme on appelle au secours : « John ! »

C’était trop tard. Un officier de police et le médecin de l’hôtel venaient de constater son décès et me maintenaient fermement à distance.

Je me débattais et criais tellement que, sur l’insistance du directeur de l’hôtel, inquiet pour le sommeil de ses clients et la réputation de son établissement, le praticien a fini par m’administrer un calmant.

Des inspecteurs en civil ont remplacé les agents. La scène de crime a été isolée. Une femme m’a accompagnée dans la salle de bains pour que je m’habille. Des hommes en blanc sont arrivés. Des flashes ont crépité. Un policier m’a lu mes droits, déclarée en état d’arrestation et menottée. Tout cela s’est passé très vite.

Avant qu’on m’emmène, Garin a juste eu le temps de me lancer :

Je m’occupe de te trouver un avocat. Ne dis rien avant qu’il arrive.

D’après les apparences, j’avais commis un homicide !

Garin n’a dit que la vérité, mais son témoignage ne m’a pas aidée.

Les flics de la criminelle ont prétendu que notre dispute avait mal tourné, que j’avais frappé John avec la lampe de chevet et simulé un cambriolage à la va-vite.

Le sang était bien celui de John et mes empreintes se trouvaient sur la lampe (normal, c’était celle de mon côté du lit !)

Avant l’audience préliminaire devant le juge quand l’avocate engagée par Garin s’est présentée, j’ai intérieurement remercié celui-ci d’avoir pensé que je serais plus à l’aise pour parler à une femme.

Mrs Lisbeth Jones. C’était une black dans la quarantaine, jolie, lunettes, queue de cheval et talons hauts.

Très rapidement, elle a déclaré que ma meilleure chance devant le juge, c’était de plaider coupable et d’invoquer la légitime défense, qu’autrement je pouvais en prendre pour vingt ans !

Dans l’état d’abattement où j’étais, tout m’était égal. C’est à peine si j’ai réagi à cette effrayante nouvelle !

Mais je ne voyais pas pourquoi j’aurais dû avouer un crime que je n’avais pas commis ! Au Tribunal, je me suis obstinée et j’ai donc refusé les deux perches qui m’étaient tendues.

Mal m’en a pris ! J’allais m’en mordre les doigts. La loi américaine est une machine impitoyable, capable de broyer les plus résistants.

(à suivre)

© Pierre-Alain GASSE, 2017.

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