XVII

4 minutes de lecture

Je reprends le fil de mon histoire, après une mauvaise semaine où je n’ai pas ouvert ce cahier. C’est l’hiver. Le temps est gris et froid et moi au fond du trou. Envie de rien. Mon humeur joue les montagnes russes comme ça, depuis mon arrivée ici. Mon avocate n’a pas encore réussi à obtenir un permis de visite pour Lia. Et puis ce matin, un rayon de soleil est tombé sur mon visage, pour la première fois depuis je ne sais combien de jours. C’est fou comme le moindre changement peut avoir des répercussions sur le moral. J’ai mieux mangé et voilà que j’ai envie d’écrire à nouveau… J’en étais où déjà ? Ah, oui, au lendemain de la remise des prix à Cannes.

Il fallait que je m’excuse platement, je le sentais. Je me connectai au réseau wifi de notre hôtel cannois et composai avec une certaine appréhension le numéro du portable de John.

À cette heure, au restaurant, il devait être en train de préparer le service du déjeuner. Le personnel indonésien, il faut être derrière, sinon rien ne va. J’allais le déranger dans son travail, sans aucun doute, mais je ne pouvais pas retarder davantage cet appel. Une sonnerie, deux, trois...

Allô, John, c’est moi, Ratih…

Enfin ! Je commençais à être inquiet. Bon, alors, ça s’est bien passé, félicitations !

Oui, oui, merci, je suis super contente, mais on est rentrés tard et j’étais trop fatiguée hier soir, excuse-moi… On a eu plein d’interviews et de photos à faire.

Un petit SMS, quand même…

Oui, je sais, dans le feu de l’action et le brouhaha, je n’ai pas entendu sonner mon portable et pas du tout pensé à le regarder de la soirée ensuite.

C’est ça ! Autrement dit, loin des yeux, loin du cœur.

Tu sais bien que ce n’est pas vrai !

Je pourrais commencer à en douter. Quand est-ce que tu rentres ? On a besoin de toi ici, moi, Lia, le restaurant, tu le sais, ça ?

John, on a déjà eu cette discussion. Tu as lu comme moi le contrat que j’ai signé. Tu sais que je dois respecter mes engagements et faire cette tournée de promotion du film comme prévu.

Il y eut un silence pesant à l’autre bout du fil.

Et vous allez où, après la France ? finit par dire une voix fatiguée.

À New York, quatre jours, tu le sais. Et tu avais promis de venir me rejoindre là-bas pour le week-end prochain.

C’était avant que tu ne m’oublies comme une vieille chaussette. Il y a pas mal de boulot ici, en ce moment. Je vais voir.

Cette réponse ne respirait pas l’enthousiasme, c’était le moins qu’on puisse dire. Mais curieusement, je ressentais un certain détachement devant ces “représailles”.

Chéri, je t’en prie !

Bonne nuit, si tu viens de rentrer. Bisous. À plus.

Il avait raccroché.

J’eus un instant la tentation de rappeler pour ne pas rester sur ce malentendu, mais à la place, c’est le numéro de Lia que je composai.

À la quatrième sonnerie, elle décrocha :

Allô, maman ?

Oui, c’est moi.

Tu es aussi difficile à joindre qu’une star, dis donc ! Félicitations pour ce prix !

Merci, ma fille. Vous allez bien, toi et Bagus ?

Oui, oui, tout va bien, ne t’en fais pas. Et toi ? Pas trop fatiguée, avec toutes ces émotions ?

Assez quand même, mais ce matin je n’ai rien avant onze heures : une interview à la Radio, France Culture, je crois, alors après cet appel, je vais essayer de dormir quelques heures.

Tu as eu John ?

Oui, juste avant toi. Il était un peu fâché et a rapidement raccroché.

Il faut le comprendre aussi. Ce n’est pas facile pour lui.

Je sais. Finalement, tout ça n’a pas que des conséquences positives.

Qu’est-ce que tu croyais, maman ?

À vrai dire, je ne croyais rien, j’espérais seulement, mais je vois bien que ça ne va pas être si facile…

Tu voudrais continuer ? John est d’accord ?

On n’en a pas encore parlé.

Je vois… On dirait qu’il y a de l’eau dans le gaz.

Je ne sais pas. J’espère qu’il va venir me rejoindre à New York, en fin de semaine. On a besoin de discuter de tout ça. Dis-le lui, toi aussi.

C’est le monde à l’envers, maman, mais OK, je vais le faire.

Merci, chérie, j’ai hâte de vous voir tous les trois. Je vous embrasse.

Moi aussi, maman, bye, fais attention à toi.

Oui, toi aussi, Lia.

T’inquiète !

Depuis l’officialisation de sa relation avec Bagus, mes rapports avec Lia n’étaient plus du tout les mêmes qu’auparavant. Sans doute se considérait-elle plus comme une jeune femme que comme l’adolescente qu’elle était encore, pourtant. Elle avait mûri et ne cherchait pas à s’opposer à moi, au contraire. Il était loin le temps où chaque conversation terminait en affrontement. C’était très agréable et reposant. Je ne dirais pas que d’ennemies nous étions devenues amies, mais il y avait un peu de ça quand même. »

Je vais arrêter pour ce soir. J’ai les yeux qui papillotent et l’ampoule de ma cellule a des faiblesses aussi. On dirait qu’elle va bientôt rendre l’âme. Et j’entends le pas de la matonne et le cliquetis de son trousseau. Ça va être l’extinction des feux. La plongée dans la nuit du pénitencier. Et c’est loin d’être le silence, vous pouvez me croire ! C’est fou les bruits que l’on entend ici la nuit ! Toux, ronflements, bruits de canalisations, guichets que l’on ouvre et referme, tours de clé… Il vaut mieux ne pas avoir le sommeil trop léger ! Enfin, on s’habitue, plus ou moins.

(à suivre)

© Pierre-Alain GASSE, 2017.

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