XVI

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Nos deux protagonistes furent aussitôt aspirés par le vortex du succès. À tel point qu’il fallut retarder le départ, changer les billets de retour pour répondre à toutes les sollicitations des media.

Radios, télés, presse écrite spécialisée, les journalistes comme les actrices et acteurs primés se succédaient dans l’espace dédié installé sur la Croisette et les interviews se donnaient à la chaîne. Encore un aspect de la célébrité dont Ratih n’avait pas mesuré le poids. Car, à la longue, cela devenait fastidieux.

Le soir de la remise des prix, ils avaient été conviés à la Cannes French Party Madame Figaro sur le rooftop du palace J. W. Marriott, où ils côtoyèrent l’alpha et l’oméga du cinéma français.

Idéalement situé entre le Carlton et le Majestic, l’ex Hilton avait été construit en 1988 sur l’emplacement du premier Palais des Festivals. Rénové de fond en comble cinq ans plus tôt, il avait fière allure dans la nuit cannoise avec ses néons roses et bleus qui rythmaient sa façade.

Ce soir-là, au Club by Albane, une éphémère superstructure isophonique de plus de 100 tonnes déposée au 7e étage du palace par une grue chaque année pour le Festival, Ratih avait été éclipsée par Ulla, la blonde épouse de Garin, ex-star des podiums et passerelles.

Cette dernière fit sensation dans une robe longue Schiaparelli Couture rose fuchsia qui ressemblait beaucoup à celle que portait Uma Thurman ici même l’année précédente, dirent les mauvaises langues.

Ratih, elle, faute de mieux, avait dû remettre sa robe Didit Hediprasetyo, mais à part quelques regards féminins appuyés, elle n’enregistra aucune réflexion désagréable.

Arrivée au bras droit de Garin, tandis qu’Ulla monopolisait le gauche, lors de cette soirée, elle croisa des acteurs et actrices dont les noms lui étaient inconnus hier encore, mais qui brillaient au firmament du cinéma français : Jean Dujardin, Vincent Cassel, Anthony Delon, Pierre Niney, Gilles Lellouche, Guillaume Canet... Sophie Marceau, Audrey Tautou, Mélanie Thiéry, Mélanie Doutey, Marion Cotillard, Éva Green, Ludivine Saignier, Cécile de France…

Comme il fallait s’y attendre, les garçons l’impressionnèrent plus que les filles. Au total, Guillaume Canet et Sophie Marceau eurent sa préférence. Lui, pour son charme sexy et discret, elle pour la permanence de sa beauté, connue jusqu’en Asie.

Elle fut présentée à Albane Cléret, la maîtresse des lieux toute de noir vêtue, et un cliché paparazzé vint immortaliser la scène.

Et la tête lui tourna.

On l’entoura, on la félicita, on l’interrogea.

Dans ce cadre, un peu moins formel que celui de la Croisette, les questions gênantes ne tardèrent pas : « Comment elle-même et son entourage vivaient-ils cette success-story ? », « Songeait-elle à faire carrière dans le cinéma ? », « Quels étaient ses projets après ce film ? », « Avait-elle déjà reçu d’autres propositions de tournage ? ».

Mais elle ne savait plus, à présent, ce qu’elle voulait vraiment faire de sa vie : assurer la prospérité de son restaurant ou s’épanouir sous la chaleur des sunlights ? Et elle mesurait qu’il lui faudrait sans doute choisir.

Alors, que répondre à toutes ces questions ? Inventer ? Broder ? Suggérer ? La vérité seule lui apparaissait impropre à dire : trop incertaine, trop plate, trop commune, trop quelconque.

Garin, plus expérimenté, délivra des réponses vagues, étudiées, dilatoires, tout en sachant qu’il y aurait un après, que le succès de ce film lui permettrait de tourner d’autres.

Ratih, elle, se laissa enfermer dans des réponses exagérées, des affirmations péremptoires, des projets mensongers que son auditoire écouta poliment sans y croire un instant.

Ratih souffrait du syndrome de la « starlette ».

Quelques vodkas Belvedère thym et pamplemousse aidant – c’était la nouveauté phare de la saison – les nombreux journalistes présents réussirent à mettre en scène une photo de Garin recevant un baiser de ses deux charmantes accompagnatrices. Assez anodine, au demeurant, dans son contexte.

Hélas, quelques jours plus tard, la presse people reproduisait en une de ses éditions la seule partie droite du cliché, celle où apparaissaient Garin et Ratih, avec ces titres tantôt interrogateurs, tantôt affirmatifs : « Cannes : une romance est-elle en train de naître ? », « Un Pygmalion indonésien récompensé à Cannes », « Ratih Suharto, un Grand Prix et un nouvel amour ? »…

Ulla entra aussitôt dans une rage froide et obligea son époux à appeler son avocat et déposer plainte pour diffamation. L’hebdomadaire concerné n’en avait cure. Il vivait fort bien de ces pratiques mensongères depuis des années et n’était pas à une condamnation près !

Ratih, rougissante de colère et de honte, donna une interview de démenti le jour même de la publication, mais les réseaux sociaux s’étaient emparés de l’affaire et le buzz courait sur la Toile.

C’est ainsi qu’il parvint jusqu’à John et contribua au renforcement chez lui d’un double sentiment de frustration et de jalousie. Il commençait sérieusement à regretter d’avoir poussé Ratih dans cette aventure !

Garin, d’abord apparu comme un second sauveur pour sa compagne, avait ensuite obtenu le statut de rival potentiel, pour devenir aujourd’hui une espèce de bête noire, qui hantait ses nuits et assombrissait ses jours.

John n’ambitionnait plus qu’une chose : que tout ce cirque médiatique finisse, que Ratih disparaisse des gazettes et que la vie au Sundoro Sunshine reprenne son cours initial !

C’était compter sans le poids des contrats signés et sans les atermoiements de Ratih elle-même.

(à suivre)

© Pierre-Alain GASSE, 2017.

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