VII

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Voilà plusieurs jours que je n’ai rien écrit dans ce « journal d’avant ». Une mauvaise passe. Je refusais de descendre au réfectoire et d’aller en promenade. Ce n’est que lorsqu’on a menacé de me supprimer les parloirs téléphoniques que j’ai eu un sursaut. Pas encore voulu couper le mince cordon qui me rattache au monde extérieur.

Je reprends donc le fil de mon récit.

Si je m’étais sentie aussi déstabilisée que fière quand Garin avait proposé d’acheter mon histoire pour en tourner un film, je le fus bien plus encore lorsqu’il revint me demander d’y tenir le rôle principal.

Cette perspective m’effraya au plus haut point. Des images anciennes me revenaient en mémoire : au collège et au lycée, j’avais participé à quelques représentations théâtrales, organisées par des professeurs dans le cadre de l’enseignement, alors que j’étais une adolescente boulote, mal dans sa peau.

Bien entendu, je n’y avais pas tenu le premier rôle et j’en avais gardé un souvenir plutôt douloureux. Comme une idiote, j’imaginais le regard de tout le public fixé sur moi, mes boutons et mes bourrelets, alors que je n’étais qu’une figurante anodine dans un tableau d’ensemble !

De ce point de vue, j’avais une revanche à prendre !

Après le départ de nos trois visiteurs, John et moi avions attendu avec impatience et inquiétude le retour de Lia. Comme d’habitude, c’est Bagus qui la ramenait sur son scooter fluo.

Dès qu’elle entra dans le restaurant, elle flaira quelque chose d’inhabituel :

Vous en faites une drôle de tête ! Il se passe quelque chose ?

On peut dire ça, oui, intervint John, mais rien de grave, rassure-toi, Lia. On vient de faire à ta mère une proposition inespérée…

Pour le restaurant ?

Non, tu n’y es pas du tout, bien que cela ait quand même quelque chose à voir avec.

John souriait en coin, Bagus était interloqué et Lia trépignait d’impatience à présent, en m’interrogeant :

Bon, allez, ne nous faites pas languir plus longtemps, c’est quoi, alors ?

Je me décidai enfin à parler :

Tes parents sortent d’ici, Bagus.

Comment ça ? Pourquoi ? s’inquiéta aussitôt le petit ami de Lia, craignant pour leur relation.

Ton père voudrait que je joue mon propre rôle dans son film. Il n’a pas trouvé d’actrice à lui convenir pour cela.

Wôw ! Super ! lancèrent à l’unisson les deux jeunes gens.

Ce n’est pas si simple, Lia. Tu le sais, toi, Bagus.

Si mon père dit que vous pouvez tenir le rôle, alors il faut le croire. Ce n’est pas la première fois qu’il emploie des non-professionnels. C’est un de ses dadas. Laissez-vous porter, Ratih, il sait faire.

Personne ne sera plus crédible que toi dans le rôle, maman, continua Lia. C’est une chance, incroyable, tu te tends compte ?

Justement, je trouve que j’en ai déjà eu beaucoup, ces derniers temps. Je ne veux pas tenter le diable.

Ça, c’est de la superstition pure et simple, maman. Tu ne vas quand même pas renoncer à devenir une vedette par superstition ?

Devenir une vedette ! Tout de suite les grands mots. Ce n’est pas de cela dont il s’agit, mais de vous quitter, vous et le restaurant, pour plusieurs mois. Voilà mon souci, avec, bien entendu, ma capacité à interpréter à l’écran mon propre rôle.

Les deux jeunes gens ne se donnaient pas pour battus. Bagus reprit :

C’est une chance incroyable, Ratih, une fierté pour vous et pour nous, vous ne pouvez pas laisser passer ça !

Oui, maman, réfléchis, si le film marche, c’est peut-être la fortune !

John mit un terme à la discussion :

Bon, nous allons réfléchir, enfin surtout Ratih et on verra demain. La nuit porte conseil, non ?

(à suivre)

© Pierre-Alain GASSE, 2017.


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