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 Une famille. Ce mot résonna plusieurs fois dans la tête de Laïka. Elle l’avait perdue sa famille. Sa mère, son père, son frère. Elle se retrouvait seule ici. Sur l’Île. C’est ce qu’Henry lui avait dit. C’est réel, ce n’est pas un rêve mais c’est l’Île. Laïka fut tiré de ces pensées par une jeune femme qui lui attrapa doucement le bras. Fanny lui présenta ainsi Alia. Celle à qui je dois ma belle cicatrice. Petite fille de Dema, cheveux ondulés bruns entremêlés avec de multiples perles blanches rosés, yeux en amande. Une magnifique robe épaisse d’un rose pâle, assortis aux dessins en forme de fleurs exotique sur son visage.

Bras dessus, bras dessous, cette femme tout en rose traina Laïka au milieu de cette foule qui commençait à prendre forme autour des tables. Laïka ne voyait pas où Alia l’emmenait, trop rapide pour pouvoir distinguer les personnes qu’elles bousculaient, et les masques de peintures que chacun portait lui donnaient le vertige. Elle arriva enfin devant le fauteuil où une très vieille femme y était assise. Dema. Sil, qui était à ses côtés, fut surprise quand Laïka tomba à genoux. Une main s’approcha doucement pour essuyer les larmes qui avaient coulé.

 — Dema, souffla la jeune blonde.

Sil tiqua.

 — Tu te souviens…

 — Vous êtes Dema ? reprit Laïka.

La vieille femme hocha la tête. Le visage rond, ridé, foncé par le soleil ; le sourire aux lèvres, les yeux sombres, plissés, en amande. Laïka arrivait à se plonger dans son regard. Ce regard d’une mère qui lui disait que tout irait bien. Une vague de larmes se firent arrêtait par une deuxième main. Laïka rouvrit les paupières, le visage entre les paumes délicates de cette petite femme aux cheveux blanc qui prononça quatre mots bien distincts.

 — Tu n’es plus seule.

Dema se releva sans la quitter des yeux. Elle parla. Sil fit la traduction.

 — Elle était très heureuse d’apprendre ton réveil et attristée concernant tes souvenirs perdus mais tu peux être assurée qu’elle…

Sil s’arrêta, Pame était apparu. Elle fit un hochement de tête pour s’excuser et s’adressa à Laïka.

 — Antoine veut te voir avant que le repas commence.

Alors Sil termina avant de laisser partir Laïka.

 — Nous ferons notre possible pour t’aider.

 — Tu vois, fit Walter légèrement soul, c’est dans ce genre de moment qu’Antoine est un chef pour moi.

Kalan releva la tête, cherchant le sujet de sa nouvelle discussion.

 — C’est vrai, continua-t-il en montrant Antoine d’un signe de la tête, que parfois je doute mais là, il n’y a que lui pour faire une telle impression sur l’estrade…

Kalan leva les yeux au ciel et Walter but une énième gorgée.

 — De toute façon, il a été approuvé par Ruthem et Rül. rajouta-il.

Accoudés au bar, ils dégustaient les nouveaux crus que la famille de Dema avait apporté avant que les plats arrivent. Elliott passait de temps en temps surveiller Walter qui finissait bien trop vite son verre. De loin les trois hommes virent qu’Antoine se fit rejoindre par une amie de longue date. 

 — Vous avez vu Laïka, fit le barman. Fanny et Bertille se sont bien débrouillé pour cacher sa maigreur. Elle plutôt jolie dans ce poncho bleu, c’est son genre.

 — Le rouge lui va mieux.

Walter et Elliott se tournèrent vers Kalan. Il but d’une traite son verre et, fronçant les sourcils, se rendit d’un pas assuré là où on l’appelait.

 Bousculant légèrement quelques personnes sur son passage sans s’excuser, Kalan arriva à leur niveau. La table petite et bien à l’écart permettait à Antoine d’être tranquille.

 — Voici Kalan.

Laïka se retourna et leva la tête devant ce grand homme aux cheveux bruns qui arborait un dessin très particulier sur le visage. Une grosse tâche sombre et grotesque, s’étirant de son œil gauche et finissant au menton.

 — C’est mon bras droit, et j’ai entièrement confiance en lui, même s’il est un peu sauvage et fait quelque fois peur.

Laïka sourit à la remarque mais Kalan resta froid, un léger ennui inscrit sur son visage. Laïka déglutit et, derrière lui, elle vit qu’on l’observait.

 — Tu peux aller les rejoindre. Elle se tourna vers Antoine. Le repas va bientôt débuter de toute façon.

Laïka le salua, souriant maladroitement et s’éloigna d’eux.

 Une fois partie, Kalan se retourna, l’observant l’air amusé rejoindre Naëlle.

 — Tu pourrais être plus cool, râla Antoine. Elle n’a aucun souvenir de toi.

 — Disons que je voulais la tester. Ça fait bizarre de la voir comme ça. Faible. Surtout quand je pense qu’il n’y a même pas trois mois vous ne pouviez pas vous voir…

 — Kalan !

Ce dernier soupira, il vint s’affaler à côté de son chef, un bras derrière le dossier, toisant la foule du regard.

 — Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?

 — Je voulais savoir si tout allait bien et elle pour sa part s’est excusée.

Kalan leva un sourcil, il se redressa, croisant les bras.

 — Elle s’est excusée ? Pourquoi ?

Antoine la regarda s’installer au côté de Naëlle et Iris à la table des éclaireurs.

 — Elle s’en veut de nous avoir fait peur la dernière fois.

 — Et ses souvenirs ?

 — C’est ça ta nouvelle mission.

 — Pardon ?

 — Je veux que tu la surveille autant qu’il t’est possible de le faire et lorsqu’il y a quelque chose…

 — Oh attend ! C’est une blague que tu me fais là ? Devant le silence d’Antoine, il reprit les sourcils froncés. Que tu me demandes de chasser un dreïn ou je ne sais quoi je veux bien, mais là…

Kalan se rapprocha d’Antoine, baissant le ton.

 — Je ne suis pas une nounou. Et on parle de Laïka là.

Antoine le regardait, ne bougeant pas, puis claqua sa langue sur son palais.

 — Oublie tout la concernant. Pense à elle comme à une enfant de treize ans pour laquelle je ne veux pas qu’il lui arrive de nouveau quelque chose, d’accord ?

 — Il s’est passé quoi ce jour-là ? Antoine ? Et moi je te répète que…

Kalan s’arrêta, se redressant, et fuit le regard de ceux qui venaient saluer le chef du village, puis il reprit.

 — Je ne fais pas garderie !

 — Vois ça comme une partie de chasse si t’amuse mais fais-le.

Antoine se leva par la suite, laissant seul à la table Kalan, bloqué dans sa position. Les yeux plissés, la bouche entre-ouverte, n’ayant pas eu la chance de se défendre. Il finit par tourner doucement la tête et son regard tomba sur la table de Laïka. Il soupira.

 — Putain.

 Les assiettes s’enchainaient. Plusieurs entrées, plusieurs plats, plusieurs desserts. Les serveurs se relayaient, ainsi que les personnes en cuisines, tout devait être en ordre. La chef des cuisines orchestrer tout le déroulement du repas. A table, on savourait les nouvelles recettes, on riait, on louait le travail qu’effectuer tous ces volontaires.

Laïka se faisait aussi discrète que possible assise au milieu de six inconnus. Ecoutant, observant ce qui l’entourait, elle faisait mine de sourire quand on la regardait et répondait timidement aux différentes questions. Naëlle avait été briefé par Fanny sur les sujets qu’on pouvait ou pas aborder et redressait parfois la discussion. Iris rassurait Laïka d’un regard face aux questions un peu vicieuses et aux plats suspects de couleurs étranges.

 Huit ans d’absence, huit ans passés en quelques instants que Laïka voyait clairement devant elle. Vide de sens, vidée de toute son énergie, elle n’avait pensé à rien durant ces derniers jours. Le deuil. Il fallait qu’il y ait un mort pour le faire et le cerveau de Laïka n’avait pas réussi à traiter cette information. Pourquoi certains jeunes de son collège se présentait devant elle et pas d’autres ? Pourquoi voyait-elle de la compassion, une certaine intimité chez des inconnus ? C’était un rêve éveillé qu’elle vivait et qui se concrétisa lorsqu’ayant fini le repas, on se mit à souffler sur les bougies. Laïka remarqua qu’Iris n’était plus présente à table et la salle se plongea petit à petit dans le noir. Alors la magie opéra.

Un cortège arriva, en file indienne, les hommes portant des lanternes à l’envoutante lumière bleue. Autour d’eux, des femmes au vêtement serré, blanc, avec une multitude de bandeaux qui avait été préalablement trempé dans la même peinture utilisée pour les visages. En effet, à la portée de ces lumières, les dessins s’illuminaient. Chacune des femmes en blanc arborait une couleur, les hommes s’approchèrent des tables et formèrent un rond, enfermant les femmes. Là, un ballet commença. Les porteurs de lanterne se firent remplacer par une personne assise à la table la plus proche, et rejoignirent les femmes. Un spectacle de lumière bercé par la musique des pas des danseurs se déroula devant les yeux des spectateurs émerveillés.

Ce qui te semble être primitif à première vue, t’apparaitra par la suite magnifique. Laïka comprit en voyant que tous, même elle, faisait partie de la scène de ce spectacle envoutant. Des lignes, des vagues, des points, des formes, des fleurs, des feuilles apparaissaient dans le noir. Le rythme entrainant des danseurs provoqua un frisson à celle qui venait d’oublier tous ses problèmes.

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