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 Les différents petits groupes de femmes présentent dans l’atelier papotaient chacun de leur côté. Toutes derrière leur métier à filer, s’occupant de trier, nettoyer, peignier et filer la laine. Si ce n’était pas la tonte c’était la chasse qui leur donnait tout ce travail. Tous ces fils seraient par la suite utilisés par celles qui s’occupent de produire les vêtements et accessoires les plus travaillés du village.

 — J’ai appris que la fille d’Abi est tombée malade, fit Megane à sa compagne de travail. Elle nous a fait une indigestion la pauvre.

 — C’est plutôt nous qu’on devrait plaindre, répondit la vielle femme. T’as vu toutes cette laine à faire et ce retard que ces chasseurs nous ont fait !

 — Un jour. Ils ont reporté leur chasse d’UN jour.

 — Mais on va devoir travailler comme des chiffonniers pour finir avant la fête ! grogna Elisabeth.

Megane leva les yeux au ciel. Elles étaient toutes deux dans un coin éclairé par de nombreuse bougies ainsi que par le petit Niah* qui se trouvait sur l'épaule de Megane ; entourées par des paniers remplies de fourrures qu'elles triaient et peignaient.

 — Ces chasseurs, ils n’ont aucun respect pour ceux qui travaillent derrière !

Elisabeth s’arrêta pour tousser longuement, Megane se concentra alors sur son travail, un sourire au coin de la bouche. Puis la vieille femme fronça les sourcils, murmurant quelques jurons contre sa toux.

 — Je ne vois pas pourquoi tu t’énerves contre eux, c’est l’incident avec Laïka qui les as retardés. Mais c’est une très bonne nouvelle qu’elle se soit réveillée avant la fête.

 — Réveillée… On en parle mais ça fera trois jours qu’on n’a pas vu le bout de son nez à celle-là. grommela Elisabeth.

 Henry souleva le rideau de la chambre. Un filet de lumière lui montra le grand lit occupé par l’endeuillée, inerte. Il accrocha la porte en tissu sur le côté et s’approcha du lit, allumant la bougie avec deux pierres. Laïka lui faisait dos, silencieuse.

 — Je sais que tu es réveillée alors lève-toi.

Laïka ne bougea pas, les yeux désormais ouverts.

 — Laïka s’il te plait, il faut que tu te lèves, que tu t’habilles, bouger et que tu manges.

Henry haussa un sourcil, elle ne réagissait pas.

 — Et peut-être que tu ailles au toilette, Fanny m’a dit que tu es constipée depuis…

 — J’ai compris, fit-elle en se relevant pour lui faire face.

 — Oh, regardez-moi ce regard noir.

Henry esquissa un sourire.

 — De toute façon y a pas de toilettes ici. bougonna-t-elle.

 — C’est vrai, commença Henry la mine amusée, que pour les petites envies pressantes on a les pots de chambre mais pour les grosses envies il y a quand même répartie à plusieurs endroits des toilettes. Tu peux facilement les reconnaitre, ce sont des petites cabanes en bois entourée de fleurs, des Porôdaü pour cacher l’odeur. Si t’as déjà dû en voir, on les utilise dans nos chaussures comme déo par exemple.

Laïka le regarda la bouche entre-ouverte.

 — On est vraiment en train de parler de ça ?

 — De quoi, fit Henry curieux.

 — De toilettes et de caca.

Henry échappa un rire.

 — Je suis content de te retrouver.

Laïka le fixa puis se mit à le dévisager, gêné il tourna la tête.

 — Pourquoi tu dis ça ? Tu es content de me retrouver, on s’était perdue ?

Son sourire disparu doucement puis il se redressa.

 — Antoine m’a dit que tes souvenirs n’étaient pas revenus.

 — Non.

 — Tu n’as pas à trop t’en faire, ils vont…

 — Comment veux-tu que je ne m’en fasse pas ! Huit ans de ma vie ont disparu ! Est-ce que tu te rends compte de ce que ça représente sans parler de….

 — Ils vont revenir. continua Henry. Tes souvenirs vont revenir avec le temps donc tu n’as pas à t’en vouloir. finit-il à mi-voix. Si tu me laissais finir mes phrases.

Laïka resta stoïque, les larmes aux yeux. Puis ses épaules s’affaissèrent.

 — Pas Alex. Alex ne va pas revenir. Henry, dis-moi que tout ça n’est qu’un cauchemar.

 — Et tu te sentiras mieux ?

Laïka resta silencieuse.

 — Je ne veux pas te mentir Laïka.

 — Quand j’étais dans la forêt commença-t-elle pour changer de sujet, j’arrêtais pas de me dire que ce n’était pas réel, j’avais peur et en même temps je me disais que rien ne pouvait m’arriver, comme dans un rêve. Et puis je t’ai vu. J’ai su tout de suite sut que c’était toi. Tu étais là au milieu de ce paysage bleu magnifique et je me suis dit que c’était forcément un rêve. Après tout t’étais vieux.

 — Vieux ? Ouah, merci je vais avoir 22 ans.

 — Non mais comprends moi j’ai l’image de ta bouille de treize ans dans ma tête alors te voir fatigué avec… une barbe.

 — Fatigué avec une barbe… Quoi, tu n’aimes pas ma barbe ?

Laïka ne répondit pas, alors Henry lui tapota le front.

 — Allez, viens découvrir le monde extérieur avec moi. Tu te souviendras peut-être de quelque chose, et au pire on créera de nouveaux souvenirs.

Laïka fronça les sourcils.

 — J’ai pas envie de voir du monde. Henry j’arrive pas à comprendre ce qu’il se passe.

 — D’accord, ne t’inquiète pas. On ne verra personne mais tu peux au moins te doucher.

Elle releva les yeux sur lui.

 — T’es en train de dire que je…

 — Oui. Donc mademoiselle veuillez descendre prendre un bain. Nous en avons spécialement amené un pour votre bien être avec savons et serviettes à la laine de Conaö.

Et Henry se leva en lui tendant la main, le sourire jusqu’aux oreilles.

 — Je te déteste, lâcha-t-elle apathique.

 Antoine attendait Henry dehors, les épaules tendues, les bras croisés, la tête baissée. Son manteau sombre contrastait avec le paysage enneigé et calme de cette matinée agité par les préparations de la fête hivernale. Lorsqu’enfin Henry sortit, il se précipita vers lui.

 — Elle t’a parlé ? Elle se souvient de quelque chose ?

Henry l’intima de s’éloigner de la maison.

 — Aucun souvenir ne semble lui remonter à la surface. J’ai même utilisé les mots comme Porôdaü et Conaö pour voir sa réaction, et j’ai bien vu que c’était du chinois pour elle.

Henry leva la tête, le ciel était bleu, sans nuage.

 — Fanny nous a dit qu’elle n’était plus sous les effets des plantes. Elle est donc pleinement consciente et…. J’ai juste l’impression, continua-t-il, de retrouver la Laïka qu’on connaissait dans notre ancienne vie. J’ai même réussi à la faire sourire en lâchant une blague.

Puis il regarda Antoine dans les yeux.

 — Est-ce mal… si je ne veux pas qu’elle se rappelle ?

Son ami posa une main sur son épaule.

 — Si j’avais le choix, je souhaiterais aussi tout oublier. Il soupira. Si il faut qu’elle reste plus longtemps pour faire son deuil je vais demander à…

 — Non, Antoine ça n’ira pas, elle est peut-être restée au lit pendant trois jours mais je ne crois pas qu’elle ait fait son deuil. Elle espère encore que tout ça ne soit qu’un cauchemar.

 — Tu lui as répondit quoi ?

 — J’ai joué au serpent, j’ai évité la question. Je n’ai pas non plus abordé le sujet de son dreïn.

 — Fanny veut attendre. Elle veut être celle qui lui annonce.

 — Kalan n’a toujours rien trouver ?

 — On n’a reçu aucune réponse.

 — Au moins il n’a pas de problème.

 Le sang s'écoulait sur le tapis blanc de neige. Le cadavre de l'animal se faisait dévorer par le dreïn de Kalan, observé par l'Ahem perché sur un tronc mort. Le chasseur se bandait le bras droit, assis devant une rivière, ses cheveux mouillés en arrière, ses vêtements de chasse séchant devant un feu rudimentaire perdue dans le paysage enneigé. Le Miror* qu'il avait tué n'était qu'un vagabond impulsif. Kalan releva alors les yeux et il le vit. De l'autre côté de la rive, entre les arbres sombres, son objectif l'observait. Le jeune homme à la cicatrice esquissa un sourire.

 — Toujours là quand je veux abandonner.

___

Niah : Petit rongeur élancé aux poils lumineux.

Ahem : Rapace aux quatre ailes et aux oreilles pointues, apprivoisé pour transmettre des messages.

Miror : Félin ressemblant à une panthère souvent bleu foncé avec quelques tâches blanches ; se déplaçant souvent en groupe.

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