20. Derrière le voile

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Alors que mon corps reprend sa place aux côtés de mon Loup, je perçois les derniers fourmillements de mon voyage au lac. L’odeur musqué de Louis entre en contact avec mes narines. Mais même si un sourire a tenté de s’installer sur mon visage, il s’efface au rappel des paroles de Kilian. Un soupire m’échappe, je suis contrariée et aussi perdue quant à ce qui m’attends de l’autre côté du voile.

— Tout va bien ?

Mon Loup me surprend tout en posant sa main sur ma paume. La chaleur de sa peau sur la mienne me rassure, mes doigts se serrent autour des siens et enfin mon sourire s’étire sur mon visage. Tout va bien. Non, en fait rien ne va ! Comment ? Oui. Comment pourrais-je assimiler toutes ces révélations si facilement ? Kilian est mon frère, mon jumeau et je ne m’en souviens pas du tout. C’est le vide, le néant total dans ma mémoire.

— Il est mon… Non, rien. On arrive.

— Juste un voile à traverser, Princesse. Ensuite, vous serez de retour chez vous.

— Arrête d’être aussi formel, Lou.

— Lou ?

En me rendant compte de mon aveu quant au surnom que j’aime lui donner en pensées, j’hausse les épaules en signe d’innocence. J’adore voir cette lumière de fierté qui brillent dans ses yeux en prenant conscience de ce nom par lequel je l’ai appelé. Enfin… Posant mon regard sur Louis, je remarque ses lèvres former un fin sourire en coin. La chaleur qui envahit mes joues, trahit vite les sentiments qui m’emportent à cet instant.

Ces émotions sont trop fortes.

Trop pour être réelles.

Presque… imprévisibles.

D’ailleurs, ce n’est que lorsque je perçois le doux son du rire de Lucia que je me concentre à nouveau sur la route. Ce chemin me mène vers mon destin. Ce destin dont j’ignore encore les conséquences. A présent, le voile est face à nous. Il se dresse telle une muraille. Une barrière grisâtre faite de brouillard. Plus on approche de cet amas de nuages opaques, et plus mon ventre se tord d’appréhension.

— Prête ? m’interroge Louis dans mon dos.

— Si tu es prêt, je le suis aussi.

Un clin d’œil lui suffit à répondre à mon affirmation. Nous y sommes. Mon loup accélère et notre voiture plonge progressivement dans le nuage brumeux. La traversée me hérisse les poils, un frisson que je ne contrôle pas frôle ma nuque et un dernier souffle d’air frais me traverse de part en part. Dans un sursaut, je cligne des yeux.

Mes paupières s’ouvrent et se referment plusieurs fois avant de se stabiliser sur un spectacle incroyable. La surface nuageuse s’estompe et laisse place à un paysage verdoyant, luxuriant presque irréel. Ma respiration s’en coupe, je n’arrive pas à croire ce qui pourtant est devant moi. Cette magnificence féérique me rappelle des vagues souvenirs, des rêves que je faisais enfant.

Et alors que je parcours encore les étendues face à nous, mon regard percute un chemin, une route qui remonte vers une colline non loin d’ici. Colline sur laquelle se dresse une immense bâtisse, un monument que je me suis tant de fois vu dessiner au cours de mon temps libre. Un édifice de pierre érigée de tours et de gargouilles. Des reliefs, des gravures, des détails que j’ai cru imaginer prennent vie ici. Et tous résonnent en moi.

Observer chaque parcelle de cette montagne électrocute toute mes certitudes. La verdure que je pensais avoir aperçu à l’envolée des nuages se transforme en murs de pierres. Bientôt les arbres ne sont plus que colonnes et des sculptures à l’image de ces monstres qui font peurs aux humains. Des statues aux dos ailés barrent ce qui semble être l’arche d’entrée. Mais plus j’en examine le reste, plus je remarque que la bâtisse en elle-même est sur plusieurs étages. Des mélanges de diverses époques, romaine, gothique, victorienne.

Un parfait mélange des savoirs architecturaux du monde entier. Pourtant ce qui me surprend, c’est de savoir que cette tour, celle jumelle à la nef principale renferme une chambre aux murs dorés. Une chambre dans laquelle fut déposer des draps de soie et un baldaquin aux douces couleurs du soleil. Une suite où j’aimais me réfugier, me perdre pour mieux respirer et jouer avec mes poupées dans leur propre palais miniature.

Je… Le claquement de ma portière me réveille. Sous mes pieds à présent sur le sol, je ressens la vibration de ce monde qui est le mien. Des grondements résonnent au loin, et alors que mes yeux avaient été happés par le véhicule, des croassements me parviennent. Une envolée sauvage, sombre, dense et magique s’évade des murs, des tours, des ponts et autres remparts qui construisent ce monument aux proportions immenses.

Les corbeaux aux ailes d’ébènes virevoltent et décrivent des cercles autour de la colline de roches. Ils dansent aux rythmes des quelques pas que je fais. Nous sommes connectés, de drôle de vibrations montent le long de mes jambes, elles prennent peu à peu possession de mes hanches pour ensuite se faufiler vers mes bras. Bientôt, c’est tout mon corps qui pulse en harmonie avec les battements de leurs plumes.

Une chaleur s’empare de moi, et dans un réflexe incertain, je relève les yeux vers l’entrée de ce bâtiment imposant, de cette colline, de ce château. Mon bras se tend vers l’avant et sans que je ne le contrôle, une étincelle d’or quitte ma paume pour foncer à l’intérieur de la forteresse. Elle rejoint cette partie de mon âme que j’avais perdue, ce morceau de moi oublié en même temps que mon enfance.

C’est la main de Lou sur mon épaule qui stabilise les vibrations. Bientôt elles disparaissent, et le bruit sourd des battements d’ailes s’estompent, s’effritent. Les corbeaux s’éloignent et le silence reprendre sa place. Comment… Ce moment était intense, et la chaleur encore présente au creux de ma main est la preuve de sa réalité. Dans l’espoir de la garder près de moi, je serre les doigts mais, c’est trop tard. Elle aussi disparaît alors mon bras tombe, retrouve sa position initiale le long de mon corps.

— Comment ? forme mes lèvres sans mon accord.

— Le voile, Princesse. C’est un portail. Il t’a ramené chez toi. Même moi, je l’ai senti.

Sa dernière phrase est un murmure, cependant j’en comprends l’impact. Le monde, mon monde m’a reconnu… Pourtant, j’ai ce sentiment en moi, cette appréhension qui m’assure que si la terre m’accueille dans un moment d’étincelle, les monstres eux seront bien plus durs à convaincre. Mes racines sont ici. Mais suis-je encore la bienvenue dans un monde qui a oublié sa princesse, la pensant perdue à jamais ?

***

Tu es à ta place. Ne le sens-tu pas ? La terre t’appelle.

***

La terre peut-être. Mais tendant la main à nouveau vers l’immensité dressée face à nous, j’exprime mon incertitude, mes craintes. Ma présence derrière le voile est-elle une évidence pour tous ? Si ma place est ici, alors pourquoi personne ne m’a permis de rentrer chez moi avant ? Pourquoi, alors que des protecteurs sont à mes côtés ? D’ailleurs, comment une chasseuse pourrait prétendre à la succession d’un trône dans le monde monstrueux ?

— Princesse ? m’interroge Lucia.

— Je suis prête.

Lucia accompagné d’Hugo m’aident à monter dans l’habitacle. Je suis sonnée par les événements. Mes yeux fixés sur ce qui semble être mon futur. Nous avançons lentement, comme pour savourer ses derniers mètres qui nous sépare de l’entrée du château. Cette porte de bois à deux battants et gardée par deux officiers. Des dévoreurs. Des arracheurs de chairs trop rares et précieux pour parcourir le monde terrestre. Ils sont droit comme des i, fiers dans leurs armures de fer.

Quand enfin, nous parvenons à la place qui s’étire devant la porte de bois, nous descendons tous de voiture. Certains soupirs de soulagement me parviennent. Mes pensées, elles, sont à la recherche d’une présence, une personne qui je le sais m’attend. Même Lou doit sentir mes sentiments, lui d’habitude si neutre affiche un visage fermé et des sourcils froncés. James quant à lui vient se planter à ma droit, les poings crispés. Lucia et Hugo, eux, restent en retrait.

Et moi, je n’ai qu’une idée qui tourne en boucle à l’instant où les deux gardes posent leurs regards sur nous : c’est la fin du voyage. La fin d’une course contre la montre, pour qu’un nouveau livre s’ouvre. Si je suis un monstre alors je l’assumerais, mais je reste une chasseuse. Une chasseuse dont la peur s’évapore pour faire place à une détermination nouvelle.

Je suis prête.

Prête à découvrir ceux qui m’ont donné la vie.

Prête à poser les yeux sur ce frère oublié.

Prête à hériter d’une couronne d’ivoire.

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