Je rayonne, c’est le cas de le dire, mais j’en frisonne tout autant. Je suis à la fois tiraillée par l’envie de découvrir ce monde qui est le mien, et celle de fuir à toute vitesse, de peur de ne pas être à ma place. Alors qu’au fond de moi, je sens bien que mes pieds me tirent vers l’avant pour aller droit vers ma destinée.
Un peu cliché ? Il n’y a aucun doute à cela. Pourtant, la lumière qui s’échappe encore de moi, diminue et s’estompe pour laisser une chaleur paisible au creux de mon cœur. Je ne saurais pas l’expliquer, mais mes pouvoirs, mon essence et mon corps tout entier, savent que je suis de retour à la maison.
L’impatience m’envahit presque. Cependant, je cherche encore à comprendre pourquoi les chasseurs m’ont enlevé, et surtout comment ils ont pu passer le voile, s’ils ne sont pas capables de le voir ? Parce que dit comme ça, ça a plutôt l’air d’être une énorme contradiction. En revanche, et en y réfléchissant plus encore, je me pose d’autres questions. Des interrogations qui n’ont d’ailleurs rien à voir avec les chasseurs.
La première ? Comment se fait-il qu’il ait un prénom commençant par la lettre K ? Je pensais être la seule héritière du trône… Non, je n’ai pas la grosse tête, seulement, je suis étonnée de voir cette lettre présente ici, une fois de plus. De même, on la retrouve chez la reine qui porte le prénom, Kara. Pourquoi cette similitude ? Pourquoi est-ce que je suis encore dans l’ignorance de cette partie de mon identité ?
Ça fait trop de doutes, et de non-dits. Je n’en peux plus, et c’est pour cette raison que je n’avance plus. Je ne fais plus un pas, et je n’en ferais pas t’en que je n’aurais pas de réponse. Et il faut que je m’assure de bien comprendre ce que ma présence de ce côté du voile implique. En y pensant, je ne sais même pas comment se nomme mon père.
— Dites ? Quel est le prénom de mon père ? Demandé-je à mes deux loups protecteurs.
— Konan.
Encore un K. Est-ce normal ? Il doit bien y avoir une explication à cette bizarrerie. Oui, c’est étrange. Comment ça ne pourrait pas l’être ? Une famille entière avec des noms qui commencent par cette lettre, surtout quand celle-ci est difficile à porter. Du coup, je ne vais pas aller loin, si Louis me laisse avec cette petite réponse sans sens.
— Et c’est logique d’avoir des prénoms qui débutent par la lettre K, parce que… Tenté-je en lui tentant une perche.
— C’est assez compliqué à expliquer en fait. Mais en gros, ta famille gouverne le royaume depuis longtemps maintenant, et elle est appelée « K ».
— Euh… D’accord… Pourquoi ?
Mon loup n’a pas le temps de me répondre, que James le pousse et toussote comme s’il se préparait à faire un discours digne d’un roi. Ce qu’il n’est pas soit dit en passant. Mais qu’importe, tant que j’ai les réponses que j’attends. Après tout, il faut bien que j’apprenne comment fonctionne ce monde. Oui, je sais, je me répète…
— Comment t’expliquer ça ? Notre royaume fonctionne selon une hiérarchie bien précise, ça tu le sais déjà. Cependant, et pour qu’il y est un équilibre, nos rois et reines sont guidés par une règle que tous respectent ici. La loi des lettres. Ne me regarde pas de travers, tu vas comprendre.
James reprend son souffle, je ne vois pas comment des lettres peuvent-elles être sujettes à guider des êtres… Mes sourcils sont froncés, mes bras croisés sur ma poitrine. Tournée vers le chasseur, j’ouvre grand mes oreilles lorsqu’il ouvre à nouveau la bouche.
— C’est plutôt simple, chaque famille haut placée se distingue par sa lettre, lettre qui correspond dans le monde des hommes au nom de famille. La tienne est le « k ». Le seul problème, qui bénéficié d’ailleurs aux successeurs de ta famille, c’est que si une lettre n’a pas d’héritier vivant, alors nous passons à la suivante, avec de nouvelles lois, de nouveaux souverains. Un peu comme si on tournait la page vers un nouveau chapitre de notre histoire.
— Donc si je comprends bien, si je ne me montre pas au palais d’ici peu, la famille « M » prendra le pouvoir et dirigera tous les monstres. Mais comment ?
Louis, me voyant patauger dans la boue, redresse la tête pour prendre le relais du cours d’histoire. Il me sourit, pose sa main sur mon avant-bras, un frisson nous parcours. Je sens un flux d’énergie passer de ma peau à la sienne. En un hochement de tête, il capture mon regard, et je suis subjuguée par ses lèvres qui esquissent déjà des mots, des phrases.
— A la base de notre société, il y avait vingt-six familles, celles-ci ont instauré les lois de notre monde et érigé le voile qui nous protège. En plus de cela, ils ont écrit la règle de cession de couronne. Ce sont des monstres qui ont su s’élever au rang de fées.

J’ai beau être surprise par ce fonctionnement, une interrogation reste tout de même en suspens dans mon crâne. Presque signalée par une lumière vive. Suis-je vraiment la seule héritière ? Les souverains, n’ont-ils jamais pensé à avoir un second enfant ? Même si, je l’avoue… Ils étaient conscients de ma localisation… Toute cette affaire m’intrigue de plus en plus, et je semble être au centre d’évènements qui me dépassent.

— Il y a tout de même un élément qui me perturbe. Si je suis la seule héritière alors pourquoi est-ce que j’ai rencontré ce jeune homme au lac ?
— Qui ?
— Il m’a dit s’appeler, Killian. C’est pour cette raison que je me demande si mes parents n’ont pas eu un second enfant. Sinon, pourquoi aurait-il un prénom commençant ainsi ?
— Il y a bien un jeune monstre, une fée qui depuis quelques années est logée au palais, mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’un second. Il est arrivé peu après ta disparition. Et aujourd’hui, il est connu comme étant, Monsieur K.

Alors que la conversation prenait une tournure dans plus intéressante, James nous a interrompu pour nous faire réagir. D’après lui, nous allons nous enraciner à force de rester sur place. Il n’attend qu’une chose, qu'on arrive enfin au palais. Bon, je l’avoue, moi aussi, je suis impatiente d’y être, mais… La peur est bien présente au fond de mon cœur.

Suis-je vraiment seule ? Après tout, il m’a bien dit qu’on allait se revoir bientôt… J’ai besoin de savoir à quelle famille, il appartient. La mienne ou est-il seulement, un écho, une ombre du lac qui m’aide à voir plus claire. N’importe quoi, Kiera ! Je secoue la tête me sentant idiote de croire qu’une personne est là pour moi… Même si je sais que je suis déjà bien entourée. Mais…

Qui est-il ?

J’entends Killian autant que Monsieur K. Et, je n’arrive pas à distinguer le vrai du faux. Quelle est son identité quand la mienne vient juste de m’être révélé ? Des fois, j’en oublie ce détail. Mes intuitions et mon instinct prenant bien trop souvent le contrôle sur ma volonté. Comme toute à l’heure, et je me demande si je serais capable de retourner dans ce lieu enchanté pour découvrir ce qu’il est par rapport à moi.