Episode 13

9 minutes de lecture

Jun me regarde les yeux grands ouverts. Il est comme ça depuis que j’ai parlé de son manager, je ne suis même pas sûr qu’il ait entendu la suite de mes explications.

- C… Comment es-tu au courant pour… ? M’enfin, je n’ai rien…

- La vidéo, les fans, le manager et notre travail ? Intervint Hae Kuk. Elle est plus perspicace que tu ne sembles le penser, commença-t-il à expliquer en jetant un regard à Jim do qui baissa la tête, honteux. Et puis il semblerait qu’elle se souvienne de choses qui l’ont aiguillées jusqu’à la vérité. On sait que tu n’as rien dit, ne t’inquiète pas. Mais maintenant il faudrait qu’on discute de ce que l’on doit faire.

- Qu’est-ce que tu veux dire ? Demanda Jim Do.

- Je veux dire qu’il faudrait peut-être en parler au manager. Imaginez ce qu’il dira le jour où il le découvrira ? Parce qu’on aura beau tout faire pour lui cacher, il finira par savoir. Et quand il comprendra qu’on lui a cacher la vérité… pour le groupe, ça pourrait être pire que si on lui dit maintenant.

J’observe Hae Kuk parler aux autres en me disant qu’il doit surement être le leader. Il semble sage et plus mure que les autres. Je me perds dans mes pensées quand soudain je réalise que plus personne ne parle. Au contraire, j’ai trois paires d’yeux fixées sur moi.

- Hmm ? Oui ? Quoi ?

Les trois garçons se regardent une dernière fois avant que Jun ne prenne la parole.

- J’ai quelque chose à te demander… je sais que tu es à l’hôpital, on pourra le faire après ta sortie, ce n’est pas grave, mais… est-ce que tu pourrais venir avec nous à l’appartement pour rencontrer le manager ?

Je reste bouche bée. Ils veulent que je rencontre leur manager ? Quoi. Lui dire ne suffit pas ?

- Mais pourquoi ? Vous avez peur qu’il ne me croie pas quand je dis que je préserverais votre identité secrète ?

Ils échangent de nouveau un regard. J’ai parlé en coréen pour être sûr que les trois comprennent ce que je dis. Ce n’est pas que ça me pose un problème, mais je ne sais pas comment je vais pouvoir échapper au contrôle de ma mère une fois sortie de l’hôpital. Après tout ce qui s’est passé je me vois mal lui dire sitôt rentré à la maison que je sors avec un groupe de garçon qu’elle ne connait pas, pour aller voir d’autres personnes qu’elle ne connait pas et dont elle n’a jamais entendu parler. Mais je ne pouvais pas m’absenter trop longtemps de l’hôpital au risque que l’on s’aperçoive de mon absence. Il était déjà bientôt l’heure du déjeuner.

- Je ne peux pas. Enfin pas tout de suite… pour l’instant il faut que je retourne à l’hôpital avant qu’on ne s’aperçoive que je suis partie.

Jun hoche la tête, il semble comprendre. Il empoigne mon fauteuil et retourne en direction de l’hôpital.

Ils me ramènent dans ma chambre. L’expédition n’a duré qu’une quarantaine de minutes en tout. Une infirmière arrive dans ma direction, elle a les sourcils froncés.

- Mademoiselle ! Je vous cherche depuis tout à l’heure ! Où étiez-vous passé ? Dit-elle en jetant un rapide coup d’œil aux trois garçons qui m’accompagne. Par réflexe ils baissent en même temps la tête.

- Oh ! Je suis vraiment désolée, j’étouffais dans ma chambre… mes amis étant venu me voir je leur ai proposer d’aller nous promener. Je suis descendu dans le hall avec eux. Ça m’a fait du bien de sortir… je n’en pouvais vraiment plus de rester enfermé dans cette chambre…

L’infirmière se radoucit.

- Je vois, mais il faut nous prévenir… ça va mieux maintenant ?

- Oui, vous avez raison, j’y penserai la prochaine fois. Ça va beaucoup mieux maintenant, oui ! Vous me cherchiez pourquoi ?

- J’étais venu pour retirer les machines auxquelles vous étiez reliés, puisque vos constantes sont normales il n’y a aucune raison qu’on vous les laisse. Mais puisque vous les avez déjà retirés toute seule pour sortir… dit-elle en pinçant les lèvres.

Je ne dis rien, je baisse la tête, honteuse. Cette infirmière se démène pour moi et en contrepartie je ne fais que lui rendre la tâche plus difficile.

- Bon je vous laisse avec vos amis. Vous voulez de l’aide pour vous remettre dans votre lit ? Parce que j’imagine que si vous avez eu besoin de ce fauteuil c’est que vous aviez du mal à vous mobiliser.

- Oui, je suppose que c’est parce que j’ai dormi pendant un peu plus d’un mois. Ne vous inquiétez pas, si j’ai besoin d’aide je vous appellerai, mais pour l’instant j’aimerai rester un peu plus longtemps dans le fauteuil. Après tout je suis restée allongée pendant bien trop longtemps là, dis-je avec une pointe d’humour histoire de détendre l’atmosphère.

- Très bien, je vous dis à tout à l’heure dans ce cas.

Elle part, les garçons me raccompagnent dans la chambre. Ils s’assurent que j’ai tout ce qu’il faut, me promettent de m’envoyer un message pour me dire quand ils seront arrivés puis partent à leur tour. Les fleurs sont toujours posées là où Jim Do les a laissés quand ils sont venus me chercher, sur mon lit. Je prends le temps de les détailler. Elles sont très belles mais elles ne vont pas le rester longtemps si je ne les mets pas dans l’eau rapidement. Heureusement une aide-soignante arrive avec le plateau contenant mon déjeuner.

- Ça va ? Vous avez eu de la visite ? Oh les jolies fleurs ! Vous voulez que je les mette dans l’eau ?

J’hoche la tête en la remerciant. Mon plateau ne contient pas grand-chose. N’ayant pas mangé d’aliments solides durant plus d’un mois, je réintègre doucement les aliments solides. J’avais donc commencé avec du bouillon il y a quelques jours, puis des compotes, yaourt, madeleine et autre aliments mous. Aujourd’hui j’ai de la purée orange, surement de la purée de carotte, accompagné de mon éternelle soupe. Les médecins et kiné trouvent que je m’en sors bien, ils pensent que comme je suis jeune je vais récupérer plus facilement et rapidement, mais que je ne dois pas ménager mes efforts.

Je passe le reste de la journée à réfléchir à la façon dont je vais expliquer les derniers évènements à ma mère. J’ai dans l’idée que mon père sera au contraire ravi de me laisser reprendre une vie normale.

Le lendemain, mes parents arrivent peu de temps après que l’on m’a débarrassé le petit déjeuner.

- Bonjour ma chérie ! Me dit ma mère avec un grand sourire.

- Ça va ma puce ? Complète mon père.

- Tu ne t’es pas trop ennuyé toute la journée hier ? Je t’ai ramené de la lecture et de quoi t’occuper, comme ça d’ici ta sortie tu vas pouvoir occuper tes journées. Parce que je sais que c’est pas très sympathique de rester toute la journée enfermé dans une chambre à l’hôpital.

Hier j’avais longuement réfléchi à ce que je pouvais dire à mes parents et ce qu’il était préférable de modifier légèrement. Je savais que l’infirmière allait surement lui dire que j’étais sortie, je préférais prendre les devants en lui donnant ma version, plutôt qu’elle ne le découvre par la bouche de quelqu’un d’autre. Mais pour cela il allait également falloir que je lui explique la présence de ces fameux amis qu’elle ne connaissait pas.

- Merci maman ! C’est très gentil ! Au fait, il faut que je te dise quelque chose.

A mon ton mi-sérieux mi-innocent, elle s’arrête et me regarde, en attendant que je développe.

- Tu te rappelles qu’avec Anna on s’intéressait à la Corée ?

- Oui. Dit-elle en attendant clairement la suite.

- Et bien… je m’étais mise à apprendre le coréen, et pour m’aider j’avais cherché un correspondant grâce à une application.

- Ah bon ? Mais je ne savais pas…

- Je ne savais pas si tu serais d’accord… et puis je voulais te faire la surprise. Tu disais tout le temps qu’apprendre une langue c’était ouvrir un peu plus son esprit à une autre culture, à d’autres croyances, à une autre façon de voir la vie et le monde.

- Oui… je ne savais pas que vous m’écoutiez quand je disais cela.

- Et bien il se trouve que j’ai sympathisé avec un coréen. Il a trois ans de plus que moi, il s’appelle Jun, et en apprenant ce qui m’étais arrivée, il est venu jusqu’ici en France pour venir me voir. C’est lui qui m’a amené ces fleurs d’ailleurs.

Ma mère ne dit rien. Elle semble essayer d’assimiler les informations. Mon père ne dit rien. Il écoute. Je reprends.

- Il est venu à l’hôpital hier matin, en fin de matinée même, je suis descendu prendre l’air avec lui un moment. Deux de ses amis qui l’ont accompagné jusqu’ici nous ont rejoint. Ça m’a fait tellement de bien de prendre l’air ! J’étais ravie ! Il m’a même proposé de venir dans son appartement de location lorsque je serais sortie d’ici. J’étais contente, je pensais qu’il m’avait oublié tout ce temps, mais non. Je me suis vraiment fait un ami international… je regrette qu’Anna n’ait pu le rencontrer… je suis sûr qu’elle l’aurait beaucoup apprécié. Elle aussi voulait trouver un correspondant.

Elle ne dit toujours rien. J’essaye d’être la plus naturel possible.

- Oh ! Et vous n’avez rien remarqué ? Je n’ai plus ces machines ! L’infirmière me les a retirés hier, le médecin a dit que ce n’était plus nécessaire étant donné que mes constantes étaient normales.

- Oui, j’ai discuté avec l’infirmière déjà. Elle m’a raconté ça. Elle m’a aussi dit que tu t’étais souvenu de l’accident. Me dit ma mère avec douceur.

Je me rembrunis. Je n’ai pas envie de parler de ça.

- C’est vraiment nécessaire que j’en parle ?

- Il faudra que tu en parles ma puce, intervient mon père. A nous ou à quelqu’un d’autre, maintenant ou plus tard, même si le plus tôt possible serait le mieux. Ça t’aidera à dépasser ça, à tourner la page. Autrement ça risque de te ronger…

Je ne dis rien, j’hoche lentement la tête. J’ai conscience qu’il a raison. Mais je ne suis pas prête à partager les images, les sons et les odeurs horribles qui me sont revenu en tête.

- Alors comme ça tes amis sont venus te voir hier ? Mais c’est génial ! Repris mon père pour changer de sujet. Alors, il arrive à parler français ton Jun ?

- Oui ! Il a bien progressé, malgré mon absence. Bien sûr il a encore beaucoup à apprendre mais moi aussi j’ai encore beaucoup à apprendre en coréen !

Nous parlons le reste de la mâtinée de tout sauf de l’accident. Nous parlons du dessin, une autre de mes occupations d’après les carnets de croquis que j’ai rempli. Ma mère m’apprend que j’ai également une tablette graphique à la maison qui me permet de dessiner sur mon ordinateur. J’aborde alors un sujet qui m’inquiète. Mon futur…

- Je faisais quoi comme étude ? J’ai 20 ans, normalement j’ai obtenu mon bac il y a 2 ans. Et qu’est-ce que je vais faire maintenant ?

Mes parents se regardent, puis ma mère me regarde, les yeux dans les yeux. Elle prend la parole.

- Qu’est-ce que tu veux faire maintenant ? Tu sais, des fois lorsque ce genre d’évènements arrivent, c’est le moment de se remettre en question et faire ce dont on a vraiment envie. Une sorte de remise des compteurs à zéro. Mais pour répondre à ta question, tu as eu ton BAC, puis tu as commencé une année de licence. Ça ne t’a pas plu alors tu as arrêté et tu as pris une année sabbatique. Tu as donc encore quelques mois pour prendre une décision sur ton avenir avant que les inscriptions à la fac ne commencent. Enfin, si tu veux toujours allées à la fac.

J’intègre ce que vient de me dire ma mère. J’ai bien compris qu’elle me proposait de repartir avec une page vierge et de recommencer à écrire. Ecrire une nouvelle histoire. Pour l’instant je ne sais pas. Tellement de choses s’offrent à moi. Elle a raison, lorsqu’on a frôlé la mort, on a plus envie de faire quelque chose qui ne nous motive pas réellement. On ne veut pas perdre de temps, la vie est vraiment trop fragile.

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