Episode 7

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Un mélange d'émotions me prend aux tripes et à la gorge. Non ça ne se peut pas. Pas lui. Pas maintenant. Pourquoi ?

Les cinq hommes partent en courant vers la sortie, je les suis et grimpe dans un van. L'homme dans la trentaine s'est installé derrière le volant et il démarre sitôt la porte fermée.

Je remarque qu'aucun d'entre eux n'a mis de ceinture, je fronce les sourcils en pensant qu'un jour il finira par leur arriver des bricoles à ne pas s'attacher en voiture. Jun m'en avait parlé mais je n'avais pas voulu y croire jusqu'à ce que je le voie maintenant. Seul le chauffeur a pris le temps de s'attacher.

Nous roulons en direction de ce qu'il semblerait être l'hôpital et même si je suis contente d'y aller pour pouvoir voir Jun je m'inquiète encore plus de ce qui les a rendus aussi fébrile.

On arrive à l'hôpital un moment après et je les suis comme leur ombre quand ils se précipitent vers la chambre de leur ami. Dans le couloir on tombe sur un médecin et ils s'arrêtent pour lui demander plus d'informations à propos de Jun. Même si je ne comprends pas, je me doute que c'est de ça qu'ils parlent.

Le médecin essaye d'adopter un ton calme et rassurant mais personne ne se laisse duper, ses yeux sont tristes et fuyant. Tandis qu'il retourne à ses occupations, nous nous approchons plus doucement, presque timidement de la chambre où se trouve Jun.

J'hésite sur le pas de la porte à rentrer dans la chambre. Je veux le rencontrer, le voir pour de vrai, mais ai-je vraiment envie que ce soit dans ces conditions ? Qu'il soit dans cet état, et moi dans le mien ? Lui inconscient, moi fantôme, une rencontre qui n'en est pas une et qui n'existe pas, qui n'existera pas dans le monde réel, qui n'existera pas pour lui ou les autres, seulement pour moi et ce jusqu'à ce que je disparaisse pour de bon.

Je ferme les yeux et m'imagine m'évanouir comme un léger nuage de vapeur d'eau éparpillés par la brise, et je décide qu'il est hors de question que je disparaisse sans avoir rencontré Jun au moins une fois. Je franchis le pas de la porte et pénètre dans la chambre d'hôpital, aussi froide qu'impersonnelle.

Les amis de Jun et ce que je suppose être son manager se sont rassemblés autour de son lit. Il reste une place au pied du lit. Je m'y dirige doucement le regard rivé au sol. Je ne veux pas le voir avant d'être en face de lui. Une fois en place je lève lentement les yeux et je le découvre.

Il est méconnaissable par rapport aux photos du hall de l'agence et il me semble tellement fragile. Il est pâle, un gros bandage enserre son crâne, il a besoin d'une assistance respiratoire et a donc un masque qui lui couvre le nez et la bouche. Plusieurs machines l'entourent de bip répétitif.

Soudain l'une de ces machines s'emballe.

Quelque chose ne va pas mais le corps inanimé de Jun reste calme, il ne montre aucun signe de ce qui est en train de se passer. Une infirmière arrive très vite, elle examine rapidement la situation avant d'appeler un médecin et des renforts. Tout ce petit monde arrive dans la chambre en courant tandis qu'elle pousse les garçons dehors.

Moi je reste. Personne ne me met dehors puisque personne ne me voit.

Je les regarde se mettre de part et d'autre du lit de mon ami et commencer la réanimation. Il vient de faire un arrêt cardiaque. Je les vois agir vite, avec des gestes précis, sûrement répété de nombreuses fois. Je remarque alors quelque chose qui me fige.

Il y a quelqu'un d'autre dans la pièce. Quelqu'un que je connais bien sans le connaître vraiment.

Jun.

Non je ne suis pas folle il est debout à côté de son lit et il me fixe, tandis que son corps est toujours inerte sur le lit. J'ouvre la bouche pour dire quelque chose. Mais avant que je ne puisse prononcer le moindre mot il disparait.

L'équipe soignante s'active différemment. Il a retrouvé un rythme cardiaque normal mais il l'emmène au bloc en urgence. Je les suis pour ne rien manquer. Je veux savoir ce qui arrive à mon ami.

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Là, tout de suite. Je suis mort n’est-ce pas ?

Le moniteur cardiaque indique un tracé plat et le médecin envoie des décharges électriques à mon cœur dans l’espoir de le ranimer. Je suis mort, c’est une certitude.

Quelque chose, ou plutôt une silhouette au niveau de mon regard périphérique me perturbe. Je lève les yeux vers elle. Oui, c’est bien elle, c’est Mèl. Que fait-elle ici ? Est-elle venu de France jusqu’ici pour me voir ? Et pourquoi est-ce la seule à avoir pu rester dans la chambre ? Ils ont mis mes amis et mon manager dehors.

Le temps d’un battement de cils et son regard n’est plus braqué sur le moi du lit mais bien sur moi.

Celui qui est à côté du lit.

Celui qui se sait mort.

Elle peut me voir !

Je n’ai pas le temps de prononcer un mot que je suis plongée dans le noir.

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L’opération se passe bien. Je n’y comprends pas grand-chose évidemment mais je le perçois à l’expression sur le visage du chirurgien. Enfin en tout cas à celle de ses yeux parce qu’entre son bandeau et son masque de chirurgien on ne voit pas grand-chose. Je cherche des yeux la silhouette de Jun mais je ne la trouve pas. Je suis d’abord déçue avant de réaliser que je suis en train d’espérer qu’il soit mort pour pouvoir le voir. Je secoue la tête dans l’espoir de me reprendre.

Après ce qu’il m’a paru un temps infini, l’opération est terminée. Dehors on retrouve le manager uniquement, les garçons ont sûrement dû rentrer. Le manager se dirige immédiatement vers le chirurgien et même sans rien comprendre de se qu’ils se disent je saisis que la situation est beaucoup plus encourageante qu’avant. Je les suis jusque dans la chambre de Jun et je m’assois contre le mur.

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J’ouvre doucement les yeux. J’ai la sensation de revenir de loin. Je ne me rappelle de rien. Pourquoi suis-je ici ? Que s’est-il passé ? Je vois le manager qui dors à côté de moi.

Je veux me relever. J’en ai soudain marre d’être allongé. Je tente de me redresser mais la chambre de met à tourner autour de moi et une petite douleur lancinante vient me vriller le crâne. Je grogne en retombant sur mes oreillers. Ce son à suffit à réveiller le manager qui en me voyant les yeux ouverts affiche un grand sourire. Il a une tête pas terribles le pauvre. Je me demande depuis combien de temps je suis là et depuis combien de temps lui il est là à me veiller.

- Dong Jun-a, ça va ? Tu m’entends ? Tu sais qui je suis ?

- Oui, ne vous inquiétez pas manager. Vous feriez mieux de vous reposer vous avez une tête horrible…

Il éclate de rire. Je suis fière de moi. Je ne voulais pas qu’il s’inquiète pour moi. Je le préfère avec un grand sourire.

- Parle pour toi ! Me répond-il.

Je retrouve légèrement mon sérieux. Je veux lui demander quelque chose.

- Que s’est-il passé ?

Le sourire du manager s’efface. Au lieu de ça il affiche une mine sérieuse presque sombre.

- Tu t’entrainais avec les autres membres quand en faisant la pirouette de la nouvelle chorégraphie tu es mal retombé. On t’a directement emmené ici où tu as été soigné. Maintenant tu es tiré d’affaire, il faut juste te reposer.

Je ne dis rien j'hoche simplement la tête. Sentant la fatigue me tomber dessus je ferme doucement les yeux et je plonge dans les ténèbres.

Tout d’abord je ne perçois qu’une silhouette. Puis l’image se précise. Il s’agit d’une jeune fille. Elle est étrangère. Je la reconnais facilement, c’est Mèl. Je l’appelle mais elle ne m’entend pas. Je lui fais signe mais elle ne me voit pas.

Que se passe-t-il ?

Et soudain je me souviens. Les souvenirs me reviennent un à un, image après image comme lorsqu’on regarde un album photo. Je me revois allonger dans le lit me sachant mort et je la revois elle m’observant. Pourquoi pouvait-elle me voir alors que personne ne le pouvait ? Maintenant je sais pourquoi. Je sais que cette question que je me pose peut se poser dans l’autre sens. Pourquoi pouvais-je la voir alors que personne ne la voyait ? Parce que j’étais mort. Alors que lui est-il arrivé ? Est-elle morte elle aussi ?

Non.

Non ce doit être plus complexe que ça.

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Il vient de se rendormir. Il va bien. Il est sur la voie de la guérison. Il est temps pour moi de rentrer, je dois voir ma sœur.

Je suis de retour à l’aéroport, j’ai eu la chance de trouver un touriste étranger qui y allait et je l’ai suivi. Maintenant je n’ai plus qu’à trouver et attendre un vol en direction de la France.

Ce n’est que le lendemain matin que l’annonce du vol est faite. Je me réveille en sursaut et me prépare à monter. Une fois à bord je dois encore attendre que tous les passagers soit assis pour pouvoir trouver moi aussi une place assise. Malheureusement pour moi il ne reste aucune place assise.

Je me promène donc entre les rangés durant tout le voyage, profitant d’une place laissé libre par son propriétaire le temps de quelques minutes pour aller chercher quelque chose ou aller aux toilettes. Mais ils sont peu nombreux à se lever. Il n’y qu’à la fin du voyage pratiquement que je trouve l’endroit où les hôtesses de l’air s’assoient.

Après ce qui me paraît une éternité j’arrive à Paris. Je rentre à la maison.

Il est tard et je n’ai qu’une envie, dormir. Je me dirige donc vers ma chambre, mais une photo que je n’avais jusque-là, jamais vue, attire mon attention. Elle est sur le buffet dans le salon caché par un pot de fleur, dans un cadre, posé là, comme oublié par les propriétaires de cette maison. Je prends le cadre pour mieux voir l’image et une douleur familière me vrille le crâne lorsque je découvre l’image.

Je suis dans ma chambre, assise en tailleur sur mon lit et ma sœur et assise de la même façon que moi en face de moi. J’ai l’impression de me voir dans un miroir. On se dispute. On n’est pas d’accord sur qui devrait prendre le volant ce soir à la fête où nous allons. Nous avons toutes les deux le permis de conduire et une seule voiture. La personne qui sera chargé de conduire ne pourra pas boire d’alcool et évidemment on veut toutes les deux en boire.

Notre mère nous a déjà expliqué plusieurs fois qu’on peut s’amuser dans consommer d’alcool et nous l’avons nous-même expérimenté chacune notre tour mais pour cette soirée d’anniversaire c’est différent. Il s’agit de l’anniversaire surprise de notre meilleure amie que l’on à organisé et on veut absolument en profiter à notre manière. On lance chacune nos arguments tour à tour en contrant ceux de l’autre.

Les images changent.

Je suis dans la voiture. Il y a du verre brisé partout. Le silence qui nous entoure m’oppresse. Je vois un pneu pas loin, ce doit être le nôtre. Je regarde mes mains. Elles sont pleines de sang. J’ai la tête qui tourne, j’ai l’impression qu’elle pèse une tonne. Difficilement je tourne la tête vers la gauche. Je réalise alors que je suis côté passager et que ma sœur conduisait. Elle est couchée sur le volant. L’airbag c’est dégonflé. Elle ne bouge pas. Elle a du sang plein le visage. « Anna » je murmure. « Anna ». « Anna s’il te plaît, répond moi ! ». « Anna ! » Je fini par crier.

Mais pas de réponse, pas de réaction, rien.

Je suis seule.

Je ferme les yeux et la dernière chose que j’entends, ce sont les sirènes des secours au loin.

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