50. Comment perdre avec panache

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 Charles-Emmanuel et Marie déambulaient au milieu des invités. La jeune dame présentait son camarade à qui voulait l’entendre, mais ce dernier avait l’esprit ailleurs. Il trouvait étrange de ressentir autant d’anxiété dans un cadre qui aurait dû le rassurer et le détendre. Peut-être avait-il rêvé toute cette aventure ? Peut-être se trouvait-il simplement dans une de ces soirées mondaines dont il avait l’habitude et qu’aucune voleuse n’allait survenir ? A cette idée, il ne put s’empêcher de se sentir un peu déçu.

 Il reçut comme un électrochoc en rencontrant le regard obscur d’Ysombre sous son habit de valet. Elle se composa une expression indifférente, mais l’éclat de ses prunelles lui confirma qu’elle était là pour lui.

  • Tout va bien, messire d’Urfé ?

 L’homme auquel Marie de Béthune venait de le présenter lui tendait un verre. Chem fut un instant désorienté et honteux de ne pas se souvenir de son nom. Il accepta le breuvage.

  • Dites-moi, sire Ville-Savin, vous avez sans doute suffisamment l’oreille de la reine pour lui présenter mon ami le comte d’Urfé ?

 Le secrétaire de Marie de Médicis considéra le jeune homme d’un œil critique.

  • Ma foi, pourquoi pas ! Il a l’air d’un parfait gentilhomme.

 Chem retint Marie par le bras alors qu’elle s’apprêtait à suivre Ville-Savin.

  • Ce n’est pas le plan ! souffla-t-il.
  • Mais si ! répondit-elle. La reine se trouve dans la salle de bal. Faites-moi confiance.

 Elle se dégagea de sa prise et trotta à la suite du secrétaire. Urfé jeta un œil qu’il espérait discret à Ysombre pour s’assurer qu’elle avait compris son intention et la suivit.

 Une musique de menuet animait la salle de bal. Une table recouverte de pyramides de douceurs diverses occupait l’un des murs, l’autre abritait l’orchestre. La place dégagée au milieu vibrait sous les pas des danseurs et danseuses. Chem et Marie se faufilèrent parmi les nobles et les serviteurs qui gravitaient près de la piste. Ils retrouvèrent la silhouette de Ville-Savin en train de s’incliner devant la belle et hautaine reine Marie de Médicis.

 Pas-de-lune observait autour d’elle. Chem et Marie de Béthune venaient de disparaître dans la salle adjacente, qui devait être la salle de bal si elle se fiait à son plan. Ils se débrouillaient convenablement jusqu’ici. Il fallait qu’elle trouve un moyen de passer dans le salon voisin pour attendre la diversion de Chem. Peut-être suffisait-il d’attendre que son plateau soit vide ?

 De son côté, elle craignait de perdre sa concentration tant ce costume l’insupportait, le pire étant les chaussures. Il allait absolument falloir qu’elle s’en débarrasse pour fuir. Même le faux sourire qu’elle se forçait à accrocher à ses lèvres l’insupportait moins.

 Elle circulait parmi les invités en s’efforçant de ne heurter personne tout en gardant les yeux baissés. La quantité invraisemblable de tissus soyeux, de dentelles et de scintillements de bijoux l’étourdissait. Elle tendait l’oreille autant que faire se peut, espérant capter un indice dans les conversations badines. Des messieurs chuchotaient des propositions indécentes, des vieux personnages emperruqués marchandaient des places en vue et des demoiselles s’échangeaient des stratégies de lansquenet. Rien de tout cela ne pouvait l’aider. Si la reine était aussi méfiante que le prétendait la fille Béthune, personne ici ne connaissait la présence du calice dans ces murs.

 Ysombre tourna sur place pour chercher le chemin vers la bibliothèque selon son plan et un visage connu passa dans son champ de vision. Elle se força à ne pas s’arrêter et à ne rien laisser transparaître, mais son cœur avait raté un battement. Elle prit d’un pas faussement léger la direction de la porte de salle de bal, s’efforçant de masquer le désarroi qui l’envahissait. Un frisson glacé parcourut ses veines lorsqu’elle s’aperçut que Paul de Sardiny la suivait.

 Il avait dû apercevoir son visage et cela lui avait évoqué quelque chose. S’il la retrouvait, elle ne s’en sortirait pas. Elle espérait le semer parmi les danseurs. Urfé, installé près de la table à liqueurs, croisa son regard et y vit l’alarme. Elle se dirigea vers lui. En passant dans son dos le plus discrètement possible, elle le poussa vers Marie de Béthune en lui chuchotant à l’oreille cette phrase, ignorant qu’elle deviendrait quelques siècles plus tard la devise de la comédienne Pina Bausch :

  • Dansez, sinon nous sommes perdus.

 Il obéit, saisissant la main de Marie étourdie et l’entraînant vers la piste. Il ordonna une passacaille aux musiciens et bien vite, un tourbillon fou de robes entrava le passage de Sardiny. Pendant qu’une marquise l’invitait, Ysombre en profita pour se faufiler vers le salon de réception. De grosses gouttes de sueur lui chatouillaient le dos.

On l’a échappée belle.

 Enfin en sécurité dans le second salon, elle s’autorisa à souffler un peu et à rajuster sa coiffure. Méfiance absolue, dès lors. Son cœur battait toujours un peu précipitamment. Il ne restait plus qu’à attendre l’annonce de la diversion de Charles-Emmanuel. La voleuse reprit donc son faux sourire et ses manières doucereuses.

 Lorsqu’un mouvement de foule commença à s’amorcer vers le salon blanc, Ysombre s’autorisa un léger sourire sous la masse de ses cheveux fraîchement bouclés, en espérant que nul ne le remarque. Des rumeurs s’élevaient.

  • Il a défié la reine !
  • Il est fou !
  • Combien vous croyez qu’il va perdre ?
  • Viens voir ça !

 Assez vite, le salon vert se vida complètement. L’idée de Charles-Emmanuel avait parfaitement fonctionné. Le jeune Urfé, redoutable joueur de lansquenet, venait de défier la reine à ce jeu dont elle était fort friande. Bien sûr, la bienséance exigeait qu’il perde. Mais l’arrogance qu’il fallait pour lancer le jeu défiait l’entendement de beaucoup des invités. Le jeune comte avait accepté cette idée avec un certain plaisir et un sourire dont la gourmandise rappelait assez celui de la voleuse.

 Elle s’accroupit aussitôt et tira ses crochets à serrures de ses manches. La serrure délicate fit courir quelques gouttes sur sa nuque. Elle n’avait que très peu de temps et une des pièces lui échappait continuellement à cause du tremblement anxieux de sa main. Enfin, le cliquetis caractéristique retentit. Une fois un mouchoir de soie noué sur la poignée comme le plan l’exigeait, elle se glissa derrière à toute vitesse. Un soulagement sans bornes l’inonda dès qu’elle put s’adosser au panneau et souffler profondément. Ce stress l’enivrait autant qu’il l’épuisait.

 Elle décida de se calmer. Pour l’instant, tout allait bien. Ses doigts rapides déboutonnèrent sa livrée et elle s’en débarrassa avec bonheur. Son habit de voleuse apparut dessous, noir et ajusté, invisible dans les ombres amies. Elle dénoua également les rubans dans ses cheveux, retira ses chausses et ses bas. Il ne restait plus que ses chaussures pour l’insupporter. Ses bottes lui manquaient. Avec un soupir, Pas-de-lune se contenta de raboter d’un coup de poignard le talon proéminent pour pouvoir courir.

 A présent, Chem devait terminer sa partie avec le plus de panache possible et laisser sa place à Philippe de Béthune. Enhardis par le défi, d’autres se présenterait peut-être. L’ancien joueur serait vite oublié et pourrait en profiter pour se glisser dans le salon vert.

 Ysombre recula un peu et se dissimula derrière l’une des étagères de la bibliothèque, pour le cas où un autre invité découvrirait la porte ouverte avant Chem. L’atmosphère chaude, veloutée et capiteuse de la pièce l’enveloppait. Le silence des livres, égal à nul autre, l’apaisa. Le temps filait et Urfé ne venait pas. Elle sursauta quand la poignée tourna. La silhouette élancée de l’aristocrate se découpa. Il avait à la main le mouchoir blanc.

  • Ysombre ?

 Elle allait avancer et se découvrir, mais se figea en voyant une seconde silhouette surgir derrière lui. Un cri naissait dans sa gorge pour l’avertir, mais elle s’en empêcha de force. Le froissement de tissu et le parfum fleuri lui firent reconnaître Marie de Béthune. La voleuse tira Charlie à elle par le bras, laissant la porte se refermer.

  • Pourquoi tu as amené cette péronnelle ? siffla-t-elle.

 Le jeune homme déglutit.

  • Elle dit qu’elle a entendu la cachette du calice, par la marquise de Guercheville.
  • Je vais vous suivre, annonça Marie.
  • C’est impossible. Vous ne faites pas partie du plan.
  • Mais vous avez besoin de moi.
  • Surtout pas. Vous allez vous faire prendre, on remarquera votre absence et vous ne savez pas vous battre.
  • Mais je connais la cachette.
  • Je n’ai pas envie d’être responsable de votre mort.

 Marie grimaça.

  • Je ne vous crois pas.
  • Tu as raison. J’ai envie. Mais je n’ai pas envie que Charlie me le reproche jusqu’à la fin de mes jours. Alors file ! Tu n’as qu’à nous le dire, si tu sais où il est, et on suit le plan, mais il faut que tu sortes d’ici !

 Pas-de-lune sut que tout était perdu dès le premier son. Elle se sentit très nettement sombrer dans le désespoir lorsque la poignée de la porte tourna, dans le dos de Charlie et Marie.

  • Les voilà !

 Le marquis de Thémines, capitaine de la garde, accompagné de Sa Majesté Marie de Médicis et de Paul de Sardiny, visiblement aux anges, venait de faire irruption dans la pièce.

Sardiny.

  • Je vous l’avait dit, ma reine, susurra le noble.
  • Courez ! hurla Pas-de-lune.

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