28. L'hostellerie de France

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 Elle fut introduite dans l’appartement de Charles-Emmanuel par un valet en livrée gris fer. Le jeune d’Urfé l’attendait, assis sur un canapé d’étamine blanche brodée de fleurs. Il dégustait une tasse fumante qu’il reposa précipitamment lors de son entrée.

  • Ysombre. Votre nuit a-t-elle été agréable ?
  • Épargne-moi les ronds de jambe et viens-en au fait. J’ai passé la nuit dans des latrines sans lumière, dérangée par une bande de soudards probablement. Mais je vois que tu n’as pas ce genre de problèmes, ricana-t-elle avec ce sourire féroce qui lui était familier.
  • J’en suis navré…
  • Tu t’en moques totalement, nobliau. Alors, qu’est- ce que tu me veux ?

 Il grimaça et s’enfonça dans le canapé.

  • J’ai longuement discuté avec Charles de Gonzague, hier soir. Il connaît bien la situation actuelle de notre pays. Il sait aussi que Paul de Sardiny est arrivé en ville récemment.
  • Ici ?! A La Rochefoucauld ?
  • Oui, il est descendu à l’hostellerie de France. C’est un établissement très luxueux, évidemment. Il doit se rendre à Angoulême au plus vite.
  • Que faisons-nous ? On va à Angoulême où on essaie de lui reprendre le calice avant ?
  • Nous ne sommes même pas sûrs qu’il l’ait toujours.
  • Il devait le remettre à Marie de Médicis, et ce n’est pas le genre de bonhomme à laisser cet honneur à quelqu’un d’autre.

 Elle s’assit en face de Charlie, sur un fauteuil rouge. Le noble marqua sa désapprobation, mais n’osa pas intervenir.

  • Alors nous devons le lui reprendre le plus vite possible. Ce sera l’occasion de mettre à profit votre entraînement de gibier de potence.

 Ysombre commença à cet instant à comprendre pourquoi Charles-Emmanuel détestait qu’elle l’appelle nobliau. Le nom de potence lui rappelait trop la mort de sa mère adoptive. Elle ferma les yeux une fraction de seconde pour que Charlie n’y voie pas sa détresse. Une fois le souvenir chassé au plus profond de sa mémoire, elle parvint à sourire et s’enfonça dans le fauteuil.

  • Parfait. Pour tout dire, je commençais à manquer de crimes à commettre. Je m’ennuyais.

 Elle ne prêta aucune attention à la réprobation visible sur le visage du noble. Elle avait encore réussi à l’énerver. Satisfaite, elle tira le tissu de sa robe et se pencha en avant.

  • Mais tu participeras à l’opération.
  • Vous n’avez aucun ordre à me donner, présomptueuse péronnelle !

 Pas-de-lune se leva et posa ses mains sur les coussins des deux côtés du noble, les yeux dans les yeux. Charles-Emmanuel s’écrasa sur l’étamine.

  • Parle-moi encore une fois sur ce ton, nobliau, et tu ne sortiras pas en vie de cet appartement ! Je croyais qu’on faisait équipe !

 La rage étincelait dans ses prunelles immensément noires. Le jeune Urfé déglutit.

  • Excusez-moi, demoiselle Ysombre. Je ferai ce qu’il faut.
  • Très bien. N’oublie pas que je ne suis pas ta suivante, ce n’est qu’un rôle. Qui ne me plaît pas du tout.
  • Je comprends bien, sourit Charles-Emmanuel en voyant la voleuse s’efforcer de se gratter la tête sous la cornette.

 Elle se dirigea vers la porte avec dignité.

  • Prends congé de notre charmant hôte et rejoins-moi à l’écurie, nous mettrons au point notre plan.
  • Tout de suite ?
  • Je croyais que nous devions faire vite.
  • Bien sûr, mais un tel délit demande beaucoup de préparation, non ?
  • Je suis une professionnelle, Charlie. A tout à l’heure.

 Elle quitta la pièce d’un pas altier, sous les yeux d’un marquis d’Urfé abasourdi.


 Pas-de-lune respira profondément en entrant dans l’écurie. Son Roi des Ombres l’attendait là. Elle posa ses doigts sur le chanfrein noir.

  • Bonjour, mon beau ! J’espère que tu as mieux dormi que moi. On va reprendre le boulot. Je commençais à m’empâter, ce n’est pas bon.

 Tout en parlant, elle retirait la jupe prêtée le matin même. Elle venait de passer par la cuisine rendre à Marguerite ses frusques, mais la servante avait refusé en poussant les hauts cris. Elle fut tout heureuse de remettre ses chausses, de retirer ce corset rêche et d’enlever enfin cette cornette instable. Ses longs cheveux châtains glissèrent devant ses yeux. Elle soupira d’aise en retrouvant le confort et l’efficacité de ses propres vêtements, puis prit soin de faire ressortir de son corsage le pendentif de Renart. Un sourire carnassier fendit son visage.

  • Je suis prête.

 Puis elle se mit en devoir de harnacher Mystère. Le noble n’arrivait toujours pas. La voleuse s’assit sur la paille, repoussant une mèche derrière son oreille. D’un geste machinal, elle sortit la toupie d’Henri et la lança devant elle.

  • Le voleur est un magicien qu’on n’applaudit pas.

 Mystère renâcla comme pour approuver. Ysombre sourit.

  • Heureusement que moi, j’ai un bon public !

 Elle s’allongea et tendit son bras en arrière pour caresser l’encolure musclée et sombre. Pourquoi Urfé ne venait-il pas ? Elle finit par se lever en ronchonnant. Au moment où elle ouvrit la porte de l’écurie, une voix qu’elle reconnut l’alerta. Mais qu’est-ce que ce satané nobliau faisait dans les jardins ?

 La porte de l’écurie grinça et arracha une grimace à Pas-de-lune. Elle dut cligner des yeux pour s’habituer au soleil qui écrasait la pelouse du château ducal de La Rochefoucauld. Charles-Emmanuel discutait juste devant la porte avec un homme grand et bien mis, d’une quarantaine d’années, accompagné d’une dame de la noblesse en robe d’un violet profond. Probablement le duc et la duchesse de La Rochefoucauld. Elle n’entendait pas ce qui se disait. Le jeune d’Urfé l’aperçut le nez dans la porte et lui fit les gros yeux pour l’inciter à rentrer. Elle se contenta d’esquisser un sourire en coin. Pas question. Il se désintéressa alors d’elle pour saluer ses deux hôtes et enfin se dirigea vers l’écurie. Ysombre se rejeta en arrière.

  • Vous avez failli vous faire repérer ! J’étais en train de prendre congé de ce cher Gonzague, et de sa femme.
  • On a mieux à faire que des politesses, le tança la voleuse.

 Elle s’assit dans un coin pour lui exposer son plan. Urfé, avec une grimace, préféra rester debout contre une botte de foin, chassant machinalement les brins qui s’accrochaient à son habit fraîchement lavé.

  • Combien d’étages à cette hôtellerie ?
  • Trois, mais je ne sais pas auquel loge Paul de Sardiny. Sans doute pas au rez-de-chaussée.
  • Il nous faudrait un plan précis, ou un repérage des lieux. On ne peut pas y aller à l’aveuglette comme ça, ce serait du suicide.
  • Vous êtes drôle, vous ! Je ne connais pas l’hôtellerie !
  • Nous n’avons pas d’informations, pas d’intelligences dans la place, nous ne sommes que deux, dont une seule qui a des compétences de voleuse, deux chevaux et aucune connaissance des lieux. Je vais être franche, nobliau, c’est mal parti. Alors on va y aller jeter un œil. Qu’avons-nous comme matériel ?

 Elle décrocha son sac à dos de la selle de Mystère, l’ouvrit et commença à répertorier son contenu.

  • Mes bolas, une pierre à feu, mes vêtements de voleuse, une gourde, ma bourse, une longue-vue, le dessin du calice, mon poignard, mon pendentif, mon roi-David. Et toi ?
  • Un roi David ?
  • Mon crochet. Tu as quoi ?
  • Mon épée, un pistolet à pierre, ma bourse, du linge de rechange, deux ou trois livres. Plus le harnachement de nos chevaux.
  • Ton pistolet sera précieux. Il nous faut aussi nous assurer que personne n’entrera dans la chambre de Sardiny pendant que j’y serai. Il nous faut une diversion. C’est là que tu interviens, Charlie.
  • Moi ? Comment ?
  • On verra selon la configuration des lieux. Monte, on y va.

 Il ne devait pas attendre plus de précisions, alors obéit rapidement à la jeune hors-la-loi. Charlemagne l’attendait en renâclant doucement. Charles-Emmanuel fut soulagé de le retrouver et passa une main amicale sur ses épaules, puis se mit en devoir de le seller. Il se retourna pour annoncer qu’il était prêt, mais la voleuse avait disparu. Il traîna Charlemagne dehors. Pas-de-lune l’attendait, déjà en selle, et Mystère piétinait d’impatience. Il grimpa en selle et jeta un regard aux fenêtres du château ducal. Ysombre, toujours habillée en servante et montant en amazone, passait à peu près inaperçue, heureusement. Elle ralentit le Prince de la Nuit pour demander :

  • Où se trouve l’hôtellerie ?
  • A l’intérieur de la ville, mais je ne sais pas où précisément. Il faudra demander le chemin.
  • Ça ne me plaît pas, ça fait un risque de plus de se faire repérer.

 Charlie haussa les épaules.

  • Eh bien tant pis.

 Elle le foudroya du regard.

  • Tant pis ? Si on me chope, je vais poser ma chique à la verticale, moi !
  • Quoi ?

 Elle lâcha un soupir.

  • Je serai pendue comme la voleuse que je suis, après tortures pour me faire avouer tous mes délits ! Alors on fait gaffe, d’accord ?
  • Bien sûr, pas de problème.

 Ils entrèrent dans la ville de La Rochefoucauld, les sabots de leurs montures claquant sur les pavés. Ysombre se tortillait, mal à l’aise en amazone et encore plus avec la jupe donnée par Marguerite. Charles-Emmanuel dut plusieurs fois lui conseiller de refréner son langage fleuri, ayant droit à chaque fois à un regard assassin. Arrivant sur la place du Champ de foire, plutôt fréquentée, il approcha Charlemagne d’un porteur de bois.

  • S’il vous plaît mon brave, savez-vous où se trouve l’hostellerie de France?
  • Pour sûr, vot’ seigneurie ! Vous traversez la place par là, vous suivez la grande rue des Halles jusqu’au Châtelet et vous tournez à droite. L’hostellerie sera devant vous.
  • Merci beaucoup !

 Il se retourna vers Pas-de-lune.

  • Hâtez-vous donc, Isabelle !

 Il jouait son rôle à merveille, et elle dût obéir, mais elle n’en pensait pas moins.

 L’hostellerie de France était en effet superbe. Trois bâtiments encadraient une cour bien ratissée, eux-mêmes encerclés d’une galerie en hauteur de bois tout nouvellement restauré et sculpté à la mode, avec des fenêtres de verre poli et une peinture fraîche. Des rideaux en étoffe précieuse couvraient l’intérieur de la plupart des fenêtres, quand il ne s’agissait pas de croisées pour les voyageurs discrets. Un toit de tuiles rouges et luisantes recouvrait l’ensemble, dont le double rang proclamait la richesse et la respectabilité de l’établissement. Des cavaliers au port noble et un brin hautain traversaient la cour, et des chevaux attendaient sagement à la plupart des anneaux encastrés dans le mur. A peine le jeune Urfé eut-il posé le pied à terre qu’un aubergiste bien bâti se précipita pour les accueillir. Pas-de-lune s’en serait bien passée.

  • Bienvenue à l'hôtellerie de France, noble voyageur ! Vous êtes nouveau en ville ?

 Urfé acquiesça d’un air distrait.

  • Je vous en prie, maître aubergiste, où puis-je trouver une place et de l’avoine pour mon cheval ?

 L’aubergiste héla un des commis qui traversaient la cour.

  • Ce valet va vous conduire aux écuries, seigneur.

 Le valet désigné s’empara de la bride de Charlemagne et l’emmena vers l’écurie, suivi d’Ysombre qui s’occupait de Mystère, et de Charles-Emmanuel à pied. Dès que les montures furent en sécurité, il disparut.

  • Bon, nous sommes dans la place. Toi, nobliau, tu cuisines le maître d’hôtel pour savoir dans quelle chambre loge Sardiny et s’il est accompagné. Moi je vais visiter l’hôtellerie et repérer les lieux. Rendez-vous ici même au prochain son de cloche. Compris ?
  • Et s’il vous arrive quelque chose ?

 Elle le regarda et haussa les épaules.

  • Improvise !

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