L'ami ailé /1

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Ils suivirent un petit sentier jusqu'à la fin de la nuit, ignorant les fermettes isolées qui le bordaient de temps à autre. Lorsque l'aube s'imposa, ils décidèrent de se cacher dans un bosquet, à proximité d'une ferme, pour attendre le passage d'un habitant. Zephyr cacha comme il put le corps de son vieux mentor, qui commençait à émettre des odeurs nauséabondes, et se mit à guetter.

Il n'eut pas à attendre longtemps avant qu'une femme ne sorte de la ferme. Il recommanda à Kanoo de ne pas bouger jusqu'à ce qu'il revienne, et s'avança sur le sentier en hélant la fermière. La femme assez forte le laissa approcher, en rajustant la blouse qu'elle venait d'enfiler. Elle accueillit sans sourciller ses questions, et à la mention de Pelon s'exclama :

- Pelon ? Il était hier soir chez les Ransen, pour aider une jument à mettre bas ! Il y est peut-être encore - vous trouverez leur ferme au bout du virage, juste après le chêne que vous voyez là-bas.

Avant qu'il ne parte, elle s'enquit de s'il venait de loin, et s'il avait entendu parler de nouveaux raids de zagarites. Zephyr lui parla des paysans qu'il avait rencontrés, et comment une seule famille avait survécu de tout le hameau. Elle l'écouta en secouant la tête d'un air soucieux, et l'enjoignit ensuite de gagner la ferme des Ransen. Il ne se fit pas prier, sachant que Kanoo l'attendait et courait à tout moment le risque de se faire repérer.

Le sentier qu'il suivait était encore parsemé de flaques et de sillons boueux, résidus de la pluie fine tombée en fin de nuit. Les insectes sautaient, vrillaient et fusaient en tous sens dans l'air frais du matin, semblant chercher où se poser pour la journée. Il eut un regard pour sa luciole, toujours fidèlement accrochée à son poignet, et lui enjoignit d'aller monter le guet pour Kanoo. Elle s'envola aussitôt.

Il y avait bien une étable à la ferme des Ransen, et Zephyr, peu au fait des habitudes de la campagne, hésita à s'y rendre directement plutôt qu'à frapper à la porte de la ferme. Il opta pour la ferme, et cette fois, c'est un grand-père au menton broussailleux, fatigué par une nuit sans sommeil, qui lui ouvrit. Sur la table, à l'intérieur, trônaient une bouteille d'alcool et plusieurs verres vides.

Il expliqua l'objet de sa venue au vieil homme, qui malgré sa petite taille le prit par l'épaule et le ramena sur le chemin :

- Pelon vient de partir ! De ce côté ! Si tu cours, tu le rattraperas ! Il ne va pas très vite quand il a sa charette.

Zephyr le remercia et se mit à courir sur le chemin, suivant la trace toute fraîche de la charette dans la boue. Deux virages plus loin, il l'avait déjà en vue, et au troisième virage, il appela Pelon par son nom.

La charette s'arrêta, mais en arrivant à la hauteur de son conducteur, Zephyr eut l'impression de s'être trompé : il avait en face de lui un jeune homme, de moins de vingt-cinq ans, aux yeux rieurs et à la figure carrée et franche. Ca ne collait pas. L'ami de Talixan aurait dû être bien plus âgé. Y aurait-il plusieurs Pelon près de Garsal ? Il baffouilla un instant, avant de se reprendre :

- Bonjour, je suis à la recherche de Pelon, l'ami de Talixan. Le connaissez-vous ?

- Si je connais Talixan ? Le jeune homme recula de surprise et sembla hésiter à répondre. Vous connaissez Talixan vous-même ? dit-il en retournant la question.

- C'est Talixan qui m'envoie. Si vous êtes l'ami qu'il m'a mentionné, j'ai une très mauvaise nouvelle à vous apprendre.

- Je suis son ami, comme tu dis. Veux-tu monter avec moi et m'expliquer ce qui t'amène ?

- Attendez, je dois d'abord vous dire une chose. Talixan est mort. Nous avons été attaqués par des zagarites, et lors du combat, il a été mordu par un rat des ruisseaux. C'était à une journée de marche d'ici. Je ne savais pas quoi faire de son cadavre, alors je l'ai amené avec moi.

Le visage de Pelon, déjà pâle de nature, blanchissait à vue d'oeil, et sa mine se décomposait à mesure que Zephyr parlait. Son regard tout à l'heure vif et spontané se fixa dans le vide.

- Tu as vu mourir Talixan ?

- J'ai son corps avec moi, répéta Zephyr. Il grimpa à côté de Pelon et l'invita à faire demi-tour. Le jeune homme s'exécuta. Sous ses ordres, le magnifique cheval alezan effectua un demi-tour parfait malgré l'étroitesse du chemin. La charette reprit sa progression en grinçant légèrement, et Zephyr expliqua d'une traite que Talixan et lui-même étaient à la poursuite des symboles du rite, qu'ils avaient échoué à rattraper les zagarites, et qu'une mesmèze les avait rejoint avant que Talixan ne décède. Il omit juste de mentionner son statut, et ce qui l'avait entraîné dans cette histoire. Il ne faisait pas bon se vanter d'être le Roi en titre.

- Tu es donc Zephyr, l'interrompit Pelon.

Le jeune roi serra les poings, vexé et fâché de ne pas pouvoir garder son identité secrète.

- Qu'en savez-vous ? répliqua-t-il sans se contrôler.

- J'en sais plus que tu ne le penses, rétorqua aussitôt le jeune conducteur, et il pencha la tête vers Zephyr, de l'air de celui-qui-sait.

Zephyr abandonna la partie.

- C'est vrai, je suis le Roi. Mon armée me suit et mes sorts font trembler la terre, ajouta-t-il d'un ton amer.

Pelon ne se démonta pas :

- Tu as fait les bons choix, et tu trouveras les alliés dont tu as besoin. Regarde, je suis là.

Zephyr loucha sur son voisin en essayant de juger de son sérieux. Espérait-il qu'à eux deux, ils pénètrent en territoire zagarite, rattrapent le commando et s'emparent des symboles du Rite ? Il eut un instant de réflexion, et il lui revint à l'esprit les deux miliciens morts, le cou brisé, après avoir voulu l'arrêter.

- Qui êtes-vous, vous, les amis de Talixan ? lança-t-il.

Mais Pelon resta coi.

Ils arrivaient près de la cachette de Kanoo. Zephyr la désigna au jeune homme, en parlant fort pour que Kanoo reconnaisse sa voix malgré la distance. Elle sortit des buissons et se dirigea vers eux droite comme un "i", si bien que sa prestance et son courage frappèrent encore Zephyr. Du courage ou de l'inconscience ? Il n'en était pas encore bien sûr.

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