La cahute /2

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Talixan restait incrédule :

- Vous les droguez ?!

- Non, pas moi. Vous n'avez jamais entendu parler de l'empathie des baribes ?

- Ça me dit quelque chose. Si l'un d'entre eux ressent une émotion, elle est ressentie par tous les autres, c'est ça ?

- Hmmm, c'est à peu près ça, juste un peu plus compliqué : il n'y a que quelques baribes dont les émotions et les états se diffusent aux autres membres du groupe. Alors ceux-là, le seigneur les met à l'abri dans une cave, et il les drogue. Résultat, tous nos baribes sont dans cet état léthargique et plein de soumission. Ils obéïssent sans se poser de questions.

- Mais, c'est affreux, c'est de l'esclavage généralisé !

Kanoo haussa les sourcils, peu habituée à ce genre de commentaires :

- Ce n'est pas partout comme ça ?

Zephyr avait l'esprit crispé sur sa douleur, et épuisé, sentait monter en lui un sommeil irrépréssible. Mais Bise, lui, bouillait de rage. De telles pratiques, dans leur royaume ! Le Duc et les seigneurs de Bel-Sarm baffouaient toutes les lois. La prospérité de cette province, qu'on leur avait vanté tout le long du chemin, était battie sur l'exploitation d'être humains asservis. Aussi bien des esclaves achetés à leurs ennemis ancestraux, les zagarites, que ces baribes, probablement capturés à l'occasion de raids ou par tromperie, et maintenant exploités grace à des produits qui brouillaient leurs capacités de raisonnement.

Talixan expliqua patiemment à la jeune fille que non, ailleurs dans le royaume les lois en vigueur n'autorisaient pas ce genre de pratiques. Que les seigneurs des environs se mettaient hors-la-loi, d'abord en achetant des esclaves, puis en les exploitant comme du bétail, et enfin, parce qu'ils détournaient l'eau du principal fleuve du Royaume sans l'accord des autres duchés.

- Et l'argent, murmura Zephyr qui parlait quasiment sans bouger les lèvres, ils détournent l'argent du Royaume. Ils attaquent le Temple pour s'autoriser à en récupérer plus, toujours plus.

Ses yeux se fermèrent et il tomba immédiatement dans un profond sommeil.

Talixan éclaira encore un bon moment Kanoo sur les lois du Royaume, et comment le Duc d'Opale et ses seigneurs entraient en conflit avec les principes établis. Les baribes rentrèrent pour manger, sans s'occuper d'eux. De son côté, Kanoo distribua à Talixan et Stepo des pains fourrés aux légumes qu'elle avait en réserve. Puis, d'un commun accord, ils profitèrent de l'état de Zephyr pour nettoyer à nouveau ses blessures. Il bougea à peine, même lorsqu'ils nettoyèrent une nouvelle fois ses plaies.

Stepo, lui, était fasciné par les baribes. Il s'installa rapidement sur les genoux d'une femme qui aurait pu avoir l'âge de sa mère. Cette dernière n'exprima aucune surprise, et géra sa présence avec nonchalance, mais sans manifester de grand intérêt non plus.

Lorsque vint le moment de se coucher, Kanoo monta dans son hamac, Stepo s'allongea sur la paille à côté de la femme qui l'avait accueilli sur ses genoux, elle-même serrée contre ses congénères, et Talixan se cala contre le mur, à côté de la porte. Visiblement, dormir assis ne lui posait pas de problème.

Lorsque la nuit tomba, le silence régnait déjà dans la cahute.

Un mouvement malheureux raviva brusquement la blessure de Zephyr. Il se réveilla en sursaut, plongé dans le noir, sans savoir où il se trouvait. Il frissonna de froid. Sa sueur s'était imprégnée de la fraîcheur de la nuit ; les gouttes s'écoulaient dans son cou et son dos comme autant de glaçons.

Il serra les bras autour de son torse, et sentit les lanières de tissu qui maintenaient en place les cataplasmes d'herbes.

On l'avait soigné, il s'en souvenait. Puis il s'était endormi. Et personne ne l'avait réveillé à la tombée de la nuit ! Il fallait pourtant qu'il tente un sort de soin, sous la lune verte, avant qu'elle ne disparaisse à l'horizon. Jamais il ne pourrait continuer la poursuite des zagarites dans cet état. Blessé et épuisé, il n'avait plus aucune chance de ramener les statuettes du Rite à Sil. Ou en tout cas de les subtiliser à l'ennemi.

Il devait toujours se trouver dans la cabanne de la jeune fille, Kanoo, et... de ses compagnons esclaves.

Péniblement, il se mit debout, et petit à petit ses yeux s'adaptèrent à l'obscurité, jusqu'à ce qu'il distingue le contour de la porte.

Il fit quelques pas silencieux pour s'en approcher, mais, lorsqu'il la poussa, le frottement réveilla Talixan. Le vieil homme ne dit rien, accompagna Zephyr du regard, et le suivit au-dehors après s'être étiré consciencieusement.

Dans la nuit, à la lueur de la lune verte resplendissante, le jeune Roi sortit de son sac un ensemble de petites pierres, pas plus grosses que des graviers, toutes très sombres mais avec des nuances de couleur variées. Il en extrait six cailloux aux reflets verts avant de ranger les autres. La lune était haute, il était encore temps de s'essayer à un petit sort qu'une sorcière du Pavillon des Formules lui avait fait répéter une bonne dizaine de fois, lors de ses cours de nuit. Dix ou onze fois, et la dernière avait enfin été couronnée de succès.

Il scruta le sol environnant, et choisit un emplacement de terre brute, sans herbes. Sous l'oeil intéressé de Talixan, il commença à dessiner du doigt, dans la terre, des cercles et des lignes, en portant une attention toute particulière aux distances et aux proportions.

Lorsqu'il eut terminé, il se plaça au centre de la figure ainsi tracée, et disposa les cailloux à certaines intersections.

Talixan était resté muet pour ne pas perturber le garçon, mais ne put retenir une exclamation lorsque les cailloux émirent une lueur de plus en plus évidente, et que des rais verts surgirent de chaque pierre pour les relier aux autres.

- QU'EST-CE QUE C'EST QUE CETTE SORCELLERIE ?! tonna une grosse voix dans un fourré tout proche. Un milicien de grande taille en sortit, et quatre autres gaillards apparurent de même en différents endroits autour des deux compagnons, qui n'avaient rien entendu venir.

En un réflexe immédiat, Talixan sortit et banda son arc, qu'il gardait en bandoulière même en dormant. Mais Zephyr, encore épuisé par les épreuves, plongé dans la contemplation des pierres illuminées, mit beaucoup trop de temps à réaliser ce qu'il se passait. Les hommes étaient déjà sur lui, et Talixan se retrouva à les menacer alors qu'ils tenaient le garçon par les épaules et les poignets.

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