Par ailleurs II

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DRAKS, COVIN ET UN GROS GAILLARD

- Covin, on n'a rien d'autre à faire que de s'amuser, dit Draks en se penchant pour franchir la petite porte du bouge des bas quartiers. S'amuser et pourquoi pas gagner une petite somme !

- On ferait mieux de rentrer au village. Les festivités n'auront pas lieu, plus personne n'a besoin de nous ici, répondit le jeune Covin, en suivant malgré tout son compère qui s'engageait dans un escalier.

- Ce sera pareil au village de toute façon. Au moins, ici on va prendre du bon temps. Je n'ai jamais vu des rats des ruisseaux, encore moins en combat singulier, ça doit être quelque chose !

A la suite du petit bonhomme qui leur avait ouvert, ils descendirent des marches en colimaçon où résonnaient déjà les bruits agités des parieurs et des buveurs. Les combats devaient avoir commencé depuis un bon moment déjà.

En bas, l'espace embué de chaleur était rempli d'ombres mouvantes, qui gesticulaient au gré des grosses bougies pendues aux murs. Certaines tables respiraient la concentration, car un nouveau combat se préparait, tandis que d'autres hurlaient d'excitation, de rires et de vulgarités. Ils rejoignirent une des tables silencieuses, où deux types aux airs de malfrats présentaient leurs rats après s'être mis d'accord sur les conditions du combat.

- Matte ça, dit Draks, qui s'était placé derrière un gros gaillard aux petits yeux malins.

- On ne pourrait pas s'asseoir ? Covin fit le tour de la cave du regard, mais la soirée ne faisait que commencer, les parieurs ne rentreraient pas chez eux de sitôt. Au contraire, un groupe de jeunes artisans parfumeurs, reconnaissables à leurs blouses, s'était introduit dans la pièce peu après eux, contribuant à grossir les rangs des joueurs qui ne trouveraient pas à s'asseoir.

- Ce rat, poursuivit Draks, il est énorme ! Je ne vois pas comment il pourrait perdre un combat !

Dans une double cage de fer, un rat énorme sautillait, aussi excité qu'effrayé par l'agitation du bouge. Il était effectivement énorme, et une cicatrice à une oreille attestait qu'il n'était pas novice en combats.

- Draks, je crois que ce n'est pas la taille qui compte dans les combats de rats des ruisseaux. Ce sont les réflexes. Le premier qui mord à gagné, leur poison tue presque instantanément. Un bond, une morsure, et tu es mort.

- N'empêche, le petit rat, là, en face, qu'est-ce qu'il y pourra ? Comment veux-tu qu'il touche le gros ?

Le regard de Draks mêlait surprise et extase. Pour la première fois de sa vie, il se risquait dans une cave de paris clandestins, et c'est un moment dont il comptait bien profiter à fond.

Le gros gaillard assis devant Draks tourna un instant la tête vers lui, répondant à sa remarque par un sourire dédaigneux.

Mais c'était évident : dans sa petite cage, à gauche, le gros rat excité aurait terrifié n'importe qui. Côté opposé, séparé de lui par une grande arène entourée de barreaux au milieu de la table, un petit rat dans sa propre petite prison à deux rangées de barreaux. Un petit rat minable qui ne ferait peur à personne. Le combat s'annonçait complètement déséquilibré.

- Draks, tu n'y connais rien, tu es sûr de vouloir parier quelque chose ?

- Mais oui, 10 pièces sur le gros rat !

Autour d'eux, les paris battaient leur plein, sous l'égide d'un arbitre qui empocha les 10 pièces et fit signe à Draks qu'il avait bien pris son choix en compte. Il fit de même avec le gros gaillard obséquieux, qui misait 20 pièces sur le petit rat.

Covin se sentait déjà très mal à l'aise. Draks ne savait pas ce qu'il faisait, et cette soirée promettait de leur coûter l'équivalent de plusieurs jours de travail.

La table se mit brusquement à s'agiter sous les coups des hommes qui frappaient du poing pour encourager les rats à sortir de leurs cages, posées juste au-dessus de la grille du terrain de combat.

Après s'être retourné plusieurs fois dans tous les sens, le petit rat sauta le premier dans l'arène. Les parieurs qui avaient misé sur lui affichèrent un grand sourire de satisfaction, tandis que les autres grimaçaient en insultant le gros rongeur.

Quelques parieurs des tables voisines s'approchèrent pour profiter du spectacle.

Le gros rat se décida enfin, sous les injures et les quolibets de la plupart des personnes présentes.

Les deux rats s'observèrent un moment du coin de l'oeil, sans bouger. Tout le monde retint son souffle.

Le gros rat fut le premier à faire un petit bond de côté, aussi soudain que bref, afin de tester la réaction de son adversaire. Celui-ci ne broncha pas. Etait-il paralysé par la peur, ou attendait-il son heure ?

L'attente repris, et les murmures avec. Les joueurs étaient impatients de voir le combat se conclure.

Au bout d'un moment, c'est le petit rat qui bondit, sur le côté, comme son adversaire.

Le gros rat répondit mollement, d'un léger mouvement réflexe vers l'arrière, puis recula doucement vers le fond de l'arène. Nouveau bond du petit rat, et même réaction. Le gros rat semblait effrayé. Les injures plurent autour de lui. Des joueurs éméchés avaient la bave aux lêvres en attendant que la véritable attaque se produise. Ils n'en pouvaient plus. Deux bonds du petit rat plus tard, le gros se retrouvait acculé contre les barreaux. Il ne faisait toujours pas mine d'avancer ou même d'essayer d'intimider son adversaire.

Le petit rat voulu faire un nouveau bond, qui l'aurait amené au plus prêt de son opposant. Mais celui-ci réagit cette fois en bondissant lui-même de côté, et dans le même mouvement tenta d'accrocher la gorge de son adversaire avec ses dents pointues. Il s'en était fallu d'un cheveu.

Le petit rat se posa à nouveau, sembla étudier la situation, et tenta un nouveau saut.

Comme la fois précédente, l'énorme rongeur bondit instantanément, et tenta de lui cisailler le cou.

Pris de panique, le petit rongeur courrut jusqu'au coin opposé, où il se blottit contre les barreaux.

Les joueurs surexcités qui l'avaient soutenu se mirent avec un bel ensemble à l'arroser d'injures et de postillons. Sous le coup de la colère, le gros gaillard se leva et se pencha en avant, se retrouvant quasiment au-dessus de l'arène, et obligeant Draks et Covin à se déplacer pour continuer à observer le combat.

Le gros rat fit un bond impressionnant, sur plus de la moitié de la distance du terrain, et se posa à nouveau. C'était au tour du petit rat d'être effrayé. Le gros rat se mit à progresser à petit pas, tandis que l'autre frissonnait de peur. Comme son adversaire s'approchait dangereusement, il se mit à courrir, au lieu de bondir, vers un autre coin de l'arène. Il était clair que le gros rat allait en profiter pour lui bondir dessus. Comprenant cela, le gros joueur perdit définitivement le contrôle de ses nerfs. Il poussa un grand cri de rage et tenta d'attraper le gros rat de sa main gigantesque.

C'était incensé. Le rat interrompit la préparation de son saut, tourna la gueule aux dents acérées vers la main tendue dans sa direction, et mordit aussitôt. Le grand gaillard interrompit son mouvement et, sous le coup de la morsure, se redressa en hurlant. Perdant le contrôle de lui-même, il renversa la table. Les deux rats sautèrent par-dessus la grille et s'enfuirent entre les pieds des parieurs, sans que nul ne puisse plus les suivre des yeux dans la foule et les ombres. Le parieur mordu s'écrasa au sol comme une masse en étouffant un cri desespéré, et rapidement deux autres joueurs se joignirent aux hurlements.


Nos deux parieurs amateurs s'en sortirent indemnes, gagnant la sortie au milieu de la cohue, sans se faire écraser dans la panique, ni mordre par un rongeur aux abois. Draks avait abandonné sa mise en fuyant, il ne put jamais la récupérer. On déplora cinq décès, quatre par morsure et un par piétinement, mais la milice n'intervint pas. Elle restait mobilisée par les combats sporadiques entre partisans du Temple et partisans du Duc, et par les troubles épars liés aux déchirements politiques de la ville.

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