Ma croix

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Angela: « Et celle ci maman? ».

Nathalie: « Non... toujours pas mon ange ».

Ma mère arborait un air si triste et désolée... Mais du haut de mes 4 ans, je ne m'en rendais pas compte. Et tout ce à quoi je pensais était le programme de la journée, qui n'attendait que son arrivée tardive.

Comme à chaque fois, ma grand mère m'avait coiffé les cheveux de deux jolies tresses, m'avait enfilé les plus beaux de mes vêtement, réservés exprès pour l'occasion. Et comme à chaque fois, fin prête à passer la porte, je n'attendais que lui.

Une, deux, quinze et quelques fois même des centaines de voitures défilaient sous mes yeux de petite fille, mais aucune d'entre elles n'étaient celle de mon papa.

J'attendais patiemment devant la grande baie vitrée du salon, les yeux fixés sur la grande route faisant défiler véhicules sur véhicules, que mon père vienne me chercher comme il me l'avait promis.

Je passais toute la matinée le nez collée à la vitre, à espionner les moindres bagnoles grises s'approchant plus au moins de mon quartier, sans me douter qu'il ne viendrait pas.

Presque constamment à la même heure, le téléphone de ma mère sonnait. Mais jamais pour lui indiquer que mon père avait dépassé la frontière française, et qu'il serait là d'une minute à l'autre. Non, plutôt pour confirmer ce qu'au fond de moi, je savais déjà.

Nathalie: « Chérie... ».

Angela: « Oui maman? », lui disais-je enjouée sans pour autant quitter la route des yeux.

Nathalie: « Ton... Ton père ne pourra pas venir aujourd'hui... il est très occupé au travail tu sais ...», répondait-t-elle en cherchant quelle excuse inventer cette fois-ci.

Soudain dépourvu de cette joie qui ne m'avait pas quitté depuis la veille au soir, je me retournais vers elle, pendant qu'elle s'avançait vers moi.

Angela: « C'est pas grave, il viendra la prochaine fois pas vrai? », lui demandais-je en la regardant de mes grand yeux, troublés par quelques larmes qui refusaient de s'enfuir.

Elle ne répondait jamais, quand je lui posais cette question. Elle se contentait de me faire un câlin en me serrant de toute ses force contre elle, pour ne pas que j'ai l'impression de manquer d'affection, mais au contraire, afin que je sente assez d'amour pour pouvoir croire une seconde, que lui aussi était là. Et que lui aussi, me prenait dans ses bras.

Plus tard, j'ai compris que toutes ces fois où il n'était pas venu, il n'était en effet pas retenu au travail, mais essayait plutôt « refaire sa vie », comme il aimait dire. Avec sa nouvelle femme. Et plus tard, ses nouveaux enfants.

Des années se sont écoulées sans qu'il ne prenne le temps de me rendre visite. Quelques fois même, il n'appelait pas pendant des mois, si bien que j'en oubliais presque sont existence.

À la naissance de ses jumeaux, j'ai du aller voir un psy, car ma mère pensait que tout ce qui arrivait était trop soudain pour un esprit d'enfant. En réalité, je n'en avais pas besoin. Naïvement, j'idéalisais cet homme et j'étais heureuse qu'il m'ait donné un semblant de fratrie.

Pendant tout ce temps, Federico était à nos côtés, prenant la place que son propre frère, avait délaissé.

Petit à petit, mon père a repris contact, comme par rédemption. À mon adolescence, j'ai fait le choix de passer régulièrement mes vacances chez lui, pour apprendre à le connaitre, en pensant qu'il valait mieux avoir des remords que des regrets.

J'ai rencontré ma famille, mes frères. Je me suis familiarisée avec cette culture et cette langue qui étaient les miennes mais que je n'avais pas connu avant.

Plus je passais du temps chez lui, moins je me sentais à ma place. La nuit, j'avais l'impression de m’endormir au milieu d’une bande d’étrangers. Quelques fois, il semblait tellement différent, que je m'en voulais presque d'avoir un sentiment d'altérité, de fossé qui se creusait de plus en plus entre nous. Évidemment, je n'osais pas lui en parler par peur de lui faire de la peine. Car malgré cette animosité que je ressentais envers lui et tout ce qu'il a bien pu faire, je ne souhaitais pour rien au monde qu'il ressente ce que moi, j'ai pu ressentir par sa faute.

J'ai arrêté de me rendre chez lui quand je me suis rendue compte que je n'étais finalement qu'un repentir, qu'une tentative de rachat de conscience, et que quoi que je puisse faire, les choses resteront comme elle sont.

Contrairement à ma mère qui travaille d'arrache pieds pour un maudit salaire de caissière, mon père lui, a toujours magnifiquement bien gagné sa vie. Bien sûr, ça il ne l'avouera jamais, mais je sais très bien qu'il est dans des business pas vraiment légaux. Ce qui ne tranche pas avec le personnage. Et pourtant, il a toujours tout tenté pour arrêter de payer la ridicule pension alimentaire qu'il me verse chaque mensualité, et sans laquelle avec ma mère, ne pourrions pas aboutir à la fin du mois.

Je me souviens de la dernière fois qu'il m'a appelé. Il me criait dessus car je lui avais demandé de me payer des cours d'espagnol, parce que mes frères eux, suivent des cours de karaté et de natation alors que moi nada. Pas un cadeau de Noel et encore moins d'anniversaire.

Ce jour là, j'ai abdiqué. J'ai assimilé le fait qu'à ses yeux, je ne serai jamais qu'un trou sur son compte bancaire, un vrai gouffre financier. J'ai compris que je devrai m'en sortir sans son aide et que c'est très bien comme ça.

Depuis, nous ne nous sommes plus parlé.

Il a toujours adoré dire que la distance était notre croix. Mais en réalité, c'est la sienne. La distance qui nous sépare n'est que le fruit de ses choix. J'aurais des fois voulu qu'il choisisse de tout quitter pour moi, de s'installer ici, en France, pour me voir grandir, et m'aimer. Mais avec des « si », on refait le monde. Et lui, on ne le changera jamais. Ça, c'est ma croix.

Alors oui, je ne saurais jamais vraiment ce que c'est que d'avoir un père. Oui, je douterai toujours de moi en me demandant si je mérite ce qu'il m'arrive ou non. Et oui j'aurais toujours un pincement au coeur quand je verrai dans la rue une fillette sur les épaules de son père, ou un homme tenir la main de son enfant en sortant d'un magasin de jouets. Mais je m'en suis aguerris. On a tous une fardeau à porter et le mien est bien moins lourd que certains autres.

Je repense à ces mots de Jack London: « il ressemblait un peu à ces gens qui, tourmentés par une souffrance - véritable ou fictive, - rompent périodiquement un silence méritoire, pour plaisanter sur l'objet de leur martyr, avec d'autant plus de violence qu'ils se sont contenu davantage ».

Jamais cela n'aura sonné aussi vrai.

Je préfère être celle qui rit de ses misères, plutôt que celui qui pleure sa vie. 

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