Le banc voisin

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Samy: « Mais si je vous jure! Elle chantait « who’s bad? », en se prenant pour Michael Jackson en plein milieu du salon », raconte-t-il fièrement.

Ah ouais.

Donc il énumère les « fun facts » de ma soirée… Pas uniquement à qui veut bien l’entendre, mais aussi et surtout à ma famille!

Il est fait comme un rat.

Angela: « T’es sérieux là?? », dis-je énervée en posant mon couteau, avant d’être prise d’une envie de le lui lancer entre les deux yeux.

Samy: « Très », me répond-t-il sûr de lui.

Il se venge clairement pour cette histoire de doigt d’honneur. D’ailleurs je pensais qu’après ça il ne viendrait pas au dîner. Mais c’est apparemment impossible de me débarrasser de cette sangsue.

Angela: « Ok, là c’était la goutte d’eau de trop. Le dessert que J’AI préparé, tu peux te le carrer là ou je pense!! ».

Oups. Je crois que je viens d’offusquer ma mère.

Nathalie: « Angela!! Surveille ton langage! », me réprimande-t-elle.

Voilà.

Elle commence.

Bon, c’est vrai que j’y suis peut-être allé un peu fort… comme d’habitude.

Mais vous pouvez être sûrs qu’à chaque fois que Samy et moi sommes dans la même pièce qu’elle, un des deux a tord. Et devinez quoi? Samy a TOUJOURS raison.

Nathalie: « J’en profite pour te remercier Samy », annonce-t-elle en retenant mon attention. « Si tu n’avais pas été là, elle serait sans doute encore en train de se trainer dans son vomis », fait elle en m’assassinant du regard, sous les éclats de rire de mon oncle.

Il n’y en a même pas un dans mon camps.

C’est quel genre de famille ça?

Samy: « C’est rien », lui répond-t-il tête baissée, un petit sourire collé aux lèvres.

Il a l’air tout timide. C’est la première fois que je le vois dans cet état là depuis qu’on s’est revu. Il regarde ses deux mains entrelacées sous la table. Bordel ce qu’il est mignon!

Je m’égare la.

Regagne tes esprits Angela.

Je regarde ma mère qui fait une tête bizarre.

Ça n’indique rien de bon, cette expression là je la connais. Elle attend le bon moment pout placer une phrase destructrice.

Plus tôt que je ne l’avais prévu, elle m’arrache de mes pensées.

Nathalie: « D’ailleurs, tant qu’on y est, quand est ce que tu maries ma fille? Comme ça, tu l’auras tout le temps à l’oeil, et moi j’en serai débarrassée», explique-t-elle innocemment, comme si elle avait apprit le texte par coeur.

Angela: « i’fhm’jtmoijnhjyh », voici exactement ce que j’ai prononcé en avalant un brocoli de travers.

Déjà que de base, les brocolis c’est pas le top, mais alors là, c’était certain qu’avec cette phrase combinée, ça risquait pas de passer.

En me voyant manquer d’air et devenir toute rouge, Samy me tape dans le dos, chose à n’absolument pas faire.

Angela: « hrbfjrjgbhjb ».

Traduction: J’allais presque m’en sortir ducon, et toi tu m’achèves???

Samy: « Hein? ».

Je vais quand même pas mourir à cette table?

Avec pour dernière et unique phrase en tête ma mère qui demande à Samy quand est-ce-qu’il compte m’épouser??

Vous voyez, j’aimerais bien QUE la dernière imagine qu’ils aient de moi, ne soit pas celle d’un phoque qui agonise, mais quelque chose d’un peu plus digne.

Après de longues minutes à tousser comme un boeuf, je reprends vie.

Angela: « Je reviens dans 5 minutes », dis-je entre deux toussotements.

Je m’éclipse à toute allure dans la cuisine pour boire un verre d’eau. J’en profite pour me remettre les idées en place.

Ils allaient tous les trois me laisser crever ces enflures.

C’est ma fête ou quoi ce soir? Entre Samy qui me fou la honte, ma mère qui me jette dans la gueule du loup et mon oncle qui…. ne fait qu’observer et se foutre de ma gueule, je me sens comme un bouc émissaire, merde! Comme une énorme cible, rouge et blanche, pendant une partie de fléchettes.

Je ne devrais pas les laisser trop longtemps sans surveillance.

Ma mère est capable de sortir les…. ALBUMS PHOTOS. Et croyez moi, c’est pas beau à voir. Elle n’en est pas à son premier coup d’essai !

Empressée de retourner dans la salle à manger, je me bute sur quelque chose en voulant sortir de la pièce.

Federico: « Stai attenta Angela! Non ti sei fata male? », me demande mon oncle.

(Fais attention Angela! Tu ne t’es pas fait mal?).

Je lui fais signe que non. J’essaye de me faufiler pour échapper à ce moment que je sais pourtant inévitable, mais il m’en empêche.

Federico: « Ti devo dire una cosa », grogne-t-il, comme exaspéré de devoir se charger de cette affaire une fois plus.

(Je dois te dire quelque chose).

Angela: « Non bisogna perdere tempo zio, so benissimo cosa vuoi dirmi ».

(Ça ne sert à rien de perdre du temps tonton, je sais très bien ce que tu veux me dire).

Le moment fatidique est arrivé, je ne peux plus y réchapper.

Federico: « Tuo padre non può più pagare il mantenimento », lâche-t-il d’un coup pour soulager sa conscience. « Te lo dicco io perch….», essaye-t-il de finir alors que je le coupe.

(Ton père n’est plus apte à payer la pension alimentaire (… )Je te le dis moi parce qu…).

Angela: « Perché si vergogna? O perché non se ne frega un cazzo? », crachais-je.

(Parce qu’il a honte? Ou parce qu’il n’en a rien à foutre?).

Federico: « Non parlare così Angela! ».

(Ne parles pas comme ça Angela!).

Angela: « Allora non dire bugie! Non è che non può più, la verità è che non vuole, perché non se n’è mai fregato di sua unica figlia, mai.. » lui lançais-je avec le peu de force qu’il restait dans ma voix.

(Alors ne mens pas! Ça n’est pas qu’il ne peut plus, la vérité c’est qu’il ne veut pas, parce qu’il n’en a jamais rien eu à foutre de sa fille unique, jamais…).

Mon oncle a toujours été présent pour moi, en dépit de l’inexistence de mon père resté en Italie pour « les affaires ». J’ai toujours su qu’il trempait dans des business un peu « louches », et que de moi, il s’en souciait peu. Mais avec Federico, c’est différent. Quand il a vu que son frère ne jugeait pas important de quitter le pays pour s’installer auprès de sa nouvelle famille, lui est resté aux côtés de ma mère pour l’épauler. Et il aujourd’hui, le seul homme qui m’ait jamais élevé.

Malgré tout l’amour que j’ai pour lui, la situation m’oppresse. Et l’ayant laissé bouche béé avec mes derniers mots, je me fraye un chemin et réussi à atteindre le salon où se trouvent maintenant mes deux autres bourreaux.

Je me sens au bord d’une nouvelle crise, bien trop fréquentes ces derniers temps. Je prends alors frénétiquement la laisse du chien, et enfile mon manteau.

Ma mère n’a pas le temps de desserrer les dents, que je claque la porte du petit appartement et me retrouve assise sur la dernière marche des escaliers, incapable de faire un pas de plus, et pourtant avide d’un bon bol d’air frais.

J’ai l’impression de suffoquer, de ne plus pouvoir respirer. Mon corps entier se met à trembler et les larmes ne s’arrêtent plus de couler.

Je ne vois presque plus mais je sais que Samy a dévalé les escaliers si rapidement après moi, qu’il est déjà assis à côté. Je mets ma tête sur épaule, un peu pudique, en essayant de calmer mes sanglots. Il reste là, sans rien faire, mais sa seule présence me fait du bien.

De longues et étroites minutes s’écoulent, sans que nous ne bougions. Heureusement, personne n’est sorti ou rentré de l’immeuble pour constater le carnage.

Je relève ma tête tout doucement, puis je me lève moi, toute entière. Il en fait de même, et nous nous extirpons du hall d’entrée miteux dans lequel nous nous trouvions.

Une fois dehors, la brise glacial fouette mon visage, et ça me fait un bien fou. Les bras croisés sur la poitrine je déambule, suivie de très près par mon garde du corps, sachant exactement où je veux aller.

Samy: « J’espère que tu t’es pas mouché dans mon sweat », engage-t-il la conversation, en riant légèrement.

Angela: « T’inquiète, je vais économiser et t’acheter une paire de chaussures et un sweat tout neuf, parole d’honneur », dis-je toute sérieuse, en reniflant.

C’est lui qui tient mon tout petit chien, depuis que je l’ai lâché plus tôt dans les escaliers.

Je le regarde et me mets à rire comme jamais, tant il semble ridicule avec mon petit spitz nain, au bout d’une laisse rose à strass.

J’essuie mes dernières larmes.

Samy: « Qu’est-ce qui te fait rire? ».

Angela: « Rien rien ».

Si je commence à me moquer, j’en ai pour la soirée toute entière, et je n’ai vraiment pas envie de me bagarrer ce soir.

Dieu merci il ne cherche pas à en savoir plus.

On arrive enfin à destination, et je m’assoie sur le même banc que plus tôt dans la journée.

Je sens enfin le calme regagner mon corps. L’air est doux, parfumé de la délicieuse odeur des grands arbres de tilleul qui nous entourent. Le ciel et noir, clairsemé de quelques fines étoiles. Le petit croissant de lune ne suffit pas à nous éclairer, et comme régulièrement dans mon quartier, la plupart des réverbèrent ne fonctionnent pas. Son visage disparait presque dans le noir, mais je n’en ressens pas moins sa présence.

Samy: « C’est à cause de ton père pas vrai? », me demande-t-il, plein d’amertume.

Mon nez commence à piquer, et je sens les larmes qui refont surface.

Angela: « Tu veux bien qu’on parle d’autre chose pour ce soir? », prononçais-je faiblement.

De sa tête que je distingue à peine, il me fait signe que oui.

Samy: « De quoi tu veux parler ? », me questionne-t-il, soucieux de ce qui pourrait bien me remonter le moral.

Angela: « De rien ».

Il ne répond pas, et regarde droit devant le noir obscurcir un peu plus les rues où nous avons grandit.

Angela: « Merci », lui dis-je soudain.

Avant qu’il n’ait le temps de répondre j’enchaine.

Angela: « Merci pour tout ce que tu as fait pour moi ces derniers, malgré mon humeur… massacrante? », finissais-je.

Je l’entrevois à travers l’opacité de la nuit, plus songeur que jamais.

Samy: « J’avais besoin de toi y a 3 ans, et t’as été là. Aujourd’hui c’est à mon tour ».

Angela: « Tu t’en rappel? ».

Samy: « Évidemment, pourquoi est-ce que j’aurais oublié? ».

C’est vrai, pourquoi est-ce qu’il aurait oublié? Comment aurait-il pu oublié ce jour là…

Angela: « Je ne sais pas. Comme je n’ai plus eu de nouvelles de toi, je me suis dis que c’était pas assez important pour que tu t’en souvienne ».

Samy: « C’était important », poursuit-t-il simplement.

Angela: « Alors pourquoi tu n’as plus donné de nouvelles? ».

Samy: « C’est compliqué ».

Ça ne sert à rien de creuser, autant me faire une raison.

Toujours assise sur le banc, Je rabats mes jambes contre moi et les entoure de mes bras. Je lève les yeux pour regardé le ciel nébuleux, reflet de notre relation.

Angela: « C’est toi qui leur a fait découvrir? ».

Samy: « De quoi tu parles? ».

Angela: « La vue? Qui donne sur la baie. C’est toi qui leur a fait découvrir? ».

Il acquiesce d’un simple oui.

Angela: « Je pensais que c’était spécial tu vois. Je pensais que c’était un truc entre toi et moi », rétorquais-je, vidée de toute émotion, les yeux toujours rivés vers les cieux.

Il ne sait pas quoi dire. Ça s’entend aux sons qu’il émet en essayant de commencer une pauvre phrase.

Angela: « T’as pas à te justifier, au contraire, c’est de ma faute! », volais-je à sa rescousse.

Il penche la tête et me regarde, étonné de ce que je viens de dire.

Samy: « Comment ça ? ».

Et c’est parti, me revoilà dans le pétrin parce que je parle trop et trop vite.

Angela: « Je me rends bien compte que moi, je me suis fais des films, et que toi non. Je comprend mieux pourquoi ces derniers temps je prenais tout trop à coeur ».

Samy: « Non, dis pas ça Lina… », sort-il l’air désolé.

Angela: « Si, c’est vrai. Je me suis imaginé des choses, et c’est sûrement parce que je suis plus jeune, et trop naïve. Les signaux étaient clairs, et je suis navrée d’avoir tout gâché quand même ».

Putin je rêve ou je viens de lui avouer que je l’aime depuis toujours. J’espère que j’hallucine à cause du froid qui congèle mon cerveau.

Mais attendez, en fait je viens carrément de m’avouer À MOI MÊME que je l’aime.

Je devrais consulter un psy.

Au bout de quelques secondes qui m’ont paru une éternité, il décide de prendre la parole.

Samy: « Oui c’est moi qui les ai emmené à la vue », insiste-t-il.

Oui, ben je l’ai compris ça. Pourquoi il en rajoute une couche? Pourquoi tu remue la HACHE dans la plaie mon coco?

J’allais le lui demander mais il me devance.

Samy: « C’était un moyen pour moi te t’oublier en passant du temps avec les autres, et bizarrement en même temps, de me sentir proche de toi parce que c’était notre endroit ».

Notre endroit.

Il a bien dit je cite « NOTRE ENDROIT ».

Je passe de « vidée de tout émotion » à « mon coeur va exploser ».

En fait je ne me suis pas fait de films.

Lui aussi ressent la même chose.

Ou presque.

Tout se bouscule dans ma tête.

Je le fixe encore merde.

Il ricane, me laissant entendre sa voix douce et mature, qui a le don de me faire craquer ces derniers temps.

Je regarde le sol en en souriant.

Clover aboie, nous ramenant à la réalité.

Samy: « Et tu sais Angela, l’âge, c’est qu’un chiffre », me souffle-t-il..

Croyez-moi, ce soir, je vais faire de beaux rêves.

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