Chapitre 4

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L’endroit était désormais bondé de monde. À croire que tous s’étaient donné rendez-vous dans le coin pour l’après-midi. Renard s’inquiétait, car déjà le soleil avait dépassé son zénith et déclinait lentement vers l’heure fatidique de son arrestation. Il frissonna en pensant au pire : que faisait-on des voleurs de noble dans ce pays ? Les fers ? La prison à vie ? Ou pire… ? Motivé à ne pas finir diminué, le jeune rouquin redoubla d’attention tout en saluant les passants avec élégance. Personne n’osait lui répondre, même si certains lui jetaient des regards surpris, parfois suspects, parfois faussement aimables.

Le jeune homme se fondit dans la foule, suivit le flux de la petite ruelle tout en regardant les alentours. Un homme avec un sac ? se dit-il. Aussi étrange qu’il puisse être, il n’avait aucun sac sur lui. Ce n'était donc pas de lui qu'on parlait. Décidé, il surveilla les allers et retours des gens, essayant de ne pas se faire bousculer par les différents marchands et paysans rentrant de leur labeur. Soudain, une ombre passa près de lui et son flair le mit en alerte : une étrange sensation, un mouvement à contre-courant qui n’était pas comme les autres. Un souffle chaud expira sur sa joue, et il entendit un murmure étrange.

« Voilà un peu d’aide pour toi, petit renard… Tu devrais te dépêcher ! »

Renard se retourna d’un coup mais ne vit rien hormis la foule, dévorante, roulant autour de lui. Il sauta sur un muret pour voir de plus haut, ne vit rien d’autre qu’un étrange papier piétiné par les badauds, tombé là quelques secondes plus tôt et voletant avec difficultés entre les jambes des passants. Le jeune homme plongea à nouveau dans la foule, écarta avec tact quelques badauds ronchonnant et attrapa le mystérieux morceau laissé à l’abandon. Quelqu’un l’avait visiblement laissé là à son attention. Le papier n’en était pas un, c’était plutôt une toile de lin peinte avec minutie, légèrement recouverte de boue et de traces de pas. Les oreilles de Renard se dressèrent, attentives. C’était une petite peinture comme on en trouve par dizaines chez les nobles, parfois démontées de leur cadre pour se glisser dans une parure, un livre ou la poche d’une veste. Une peinture familiale qui devait être très chère au porteur : une peinture de Dame Corbeau, âgée alors d’à peine 12 ans. Même à cet âge, elle ne souriait pas et restait figée comme une magnifique poupée d’ébène et de porcelaine. À côté d’elle, une ombre, une petite chose misérable, un autre enfant à peine visible. Il ne semblait pas ressembler à grand chose, et était complètement éclipsé par la présence de la jolie fillette aux grands yeux sombres... Renard plissa le regard, essaya de se concentrer. Cet air lui disait quelque chose. Ce teint blafard et discret, cette façon de se cacher, de se recroqueviller dans l'ombre de façon si maladroite... Cela ressemblait un peu au garçon tout en noir de ce matin. Le... le frère de Dame Corbeau ?!

Renard leva la tête, chercha tout autour de lui. Toujours rien. Le conseil de celui qui voulait l’aider résonna dans sa tête. Tu devrais te dépêcher ! Il rejeta un œil à la peinture, contempla le petit garçon. Il ne savait pas pourquoi, mais cet homme devait être la vraie solution à cette histoire. Rangeant la toile dans les replis de ses larges habits, il s’arrêta quelques secondes pour réfléchir, manquant de se faire emporter. La grange. Poussé par ses sens, il balaya du regard la ruelle jusqu'à la petite bâtisse de bois. Le monde grouillait devant, l'empêchait de bien voir, et pourtant, son cœur sursauta. Parmi la foule, une silhouette noire passa. Ce n’était pas la même qui lui avait murmuré à l’oreille quelques minutes plus tôt ; elle était plus chétive et craintive. Renard se concentra pour mieux la distinguer. D'un coup, la silhouette se tourna aussi vers lui. Leurs regards se croisèrent, et il sentit la peur dans ses yeux. Une décharge parcourut son échine et le temps sembla ralentir d'un coup. Après quelques courtes secondes qui semblaient presque des heures, l'homme tourna enfin la tête ; et Renard se mordit la langue en sautant à travers la foule. C'était lui, il en était sûr ! Il vit alors l'homme se faufiler à travers les personnes sans même être vu, fuir presque les regards à grandes foulées maladroites. Renard doubla le pas et tendit la main. Il le rata de justesse, bloqué par un badaud qui le bouscula avec agacement. Il accéléra encore en l’appelant :

« Hey, Monsieur du Corbeau ! »

L’homme ne se retourna pas, continuait son chemin d’un pas toujours plus rapide. Il portait un grand manteau noir, une capuche qui couvrait sa tête de façon suspecte, un sac de toile posé sur les épaules. Mais dans son regard mêlé de terreur, Renard en était de plus en plus certain, il avait reconnu l'éclat sombre de la famille Corbeau. Quand il prit le virage vers une autre ruelle, Renard crut voir sa peau de craie, une chevelure d’un noir d’encre et de petites lunettes. Il s’écartait toujours plus rapidement vers le fond de la ruelle, qui se dirigeait tout droit vers la sortie de la ville.

Renard se mit enfin à courir dès que le monde le lui permettait. Pourquoi fuyait-il ?

« Arrêtez-vous ! » cria Renard, exaspéré.

Aussitôt, l’homme se mit à courir aussi, s’écarta à toute vitesse sans répondre. Le Maître accéléra aussi autant qu’il put quand, soudain, il fut arrêté avec force.

« Hé toi ! Le voleur de ce matin ! Alors, comme ça on fuit de la ville en courant ? »

Renard jeta un regard effaré sur la personne qui venait de l’arrêter. C’était un garde, visiblement armé et peu commode, qui le regardait d’un air hilare.

« Tu pensais vraiment pouvoir quitter la ville comme ça ?!

— Ce n’est pas ce que vous pensez… Vous… le coupable s’enfuit ! »

Renard pointa du doigt vers l’homme en noir déjà loin.

«Ho oui, ou plutôt « il voulait » s’enfuir ! Heureusement, nous surveillons toutes les sorties… Il fallait bien se douter que tu voudrais t’esquiver avant la tombée de la nuit…

— Ce n’est pas ça !!! glapit Renard.

— Garde ! Garde ! Faites appeler Sire Coq. Le suspect a voulu s’échapper. »

Renard hocha la tête, empressé.

— Oui, oui, faites-le venir ! Lui seul pourra comprendre ce qui se passe ! »

Attendant, le souffle court, regardant le fuyard s’écarter à l'horizon, il se laissa attacher. Déjà le soleil tombait sur la campagne et commençait à flamber les nuages d’une belle couleur orangée.

Coq arriva vite. Mais pas assez vite au goût de Renard. Le frère de Dame Corbeau s’était déjà enfoncé dans les bois depuis bien longtemps.

« Que se passe-t-il encore ? » demanda Coq, le panache au vent, ses petits yeux sévères le regardant durement derrière ses lunettes rondes.

— Le voleur ! Il est parti par là !

— Il a voulu s’enfuir, coupa un garde. Nous l’avions aperçu passer la sortie du village en courant…

— Voyez-vous ça, continua Coq », sceptique.

Renard se mordit les lèvres, attrapa avec difficulté la peinture cachée dans son habit.

« J’ai trouvé ça par terre.

— Qu’est-ce ? »

Coq jeta un œil sur la toile et fronça les sourcils.

« Ce n’est qu’une peinture, continua l’oiseau.

— Du frère de Dame Corbeau.

— Et en quoi cela l’accuse-t-il ? »

Renard resta muet, un frisson désagréable lui parcourant le dos. Il ne devait pas abandonner.

« J’étais justement sur sa piste ! Quelqu’un m’a donné cette peinture pour me guider jusqu’à lui.

— Quelqu’un ? Qui donc ? »

Renard secoua la tête.

« Vous devez me croire. Je suis sûr que c’est lui ! »

Coq se tut, interdit. Il regarda le portrait sans piper mot, attendant la suite.

« Vous avez d’autres preuves ?

— Je... Je… »

Renard reprit du poil de la bête, poussa une longue inspiration.

« Libérez-moi, je vais le chercher !

— Écoute, tu peux crier autant que tu veux, mais le soleil est couché. Un marché est un marché, dit le Coq d'une voix sévère.

— Je... laissez-moi juste un peu plus de temps !

— Tu as eu tout le temps qu'il fallait...

— Mais...

— Cesse cela, le renard ! Je veux bien être indulgent, mais tu restes avant tout un criminel ! J'ai bien voulu te donner une chance, mais tu as voulu en profiter...

— Je vous assure que...

— Accuser un autre noble ne te rend que plus coupable encore. Je ne veux plus te croire ! », fulmina le coq.

Le rouquin écarquilla les yeux, déboussolé.

« Mais… je suis innocent !

— C'est ce que disent tous les renards... soupira le crieur. J'aurais voulu, pour une fois, me tromper sur tes intentions...»

Renard se sentit tiré malgré ses protestations. Il lança un regard désespéré vers Coq qui ne le regardait même pas, semblant détourner les yeux d'un air déçu.

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Maître Renard avait suivi les gardes jusqu’aux geôles, poussé presque et se débattant comme il put. Mais ce fut peine perdue. Il protesta enfin vigoureusement quand on l’enferma derrière les barreaux d’une cellule décrépie, sentant l’humidité, le moisi et la maladie.

« Je suis innocent… gémit-il encore, les oreilles basses.

— Tu diras ça au juge… si tu le vois… se mit à rire l’un des hommes qui fermait sa grille. C’était un vrai ours, rude et impressionnant, qui semblait trouver la situation très drôle.

— Et quand serai-je jugé ? »

Le garde secoua la tête, un petit sourire en coin.

« Si j’étais toi, je n’espérerais pas trop. Tu as volé une noble, accusé son frère… C’est culotté ! »

Puis il s’écarta en riant, faisant tourner les clefs sur son index d’un geste nonchalant.

Renard recula, s’assit dans la paille crasseuse de la cellule, effrayé. À deux doigts seulement de la liberté, il avait échoué. Enfermé ici, peut-être à jamais, il finirait par mourir de faim et de désespoir. On n’enferme pas un renard ! pensait-il, découragé. Pas si près du but ! Lentement, il posa sa main sur l’œil caché par ses cheveux.

Tout ceci me rappelle de douloureux souvenirs…

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